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mardi 29 novembre 2022

Le professeur Sheehan discute des pasdaran, des manifestations en Iran et du dossier nucléaire – Interview

 La Commission des Affaires étrangères du CNRI a rencontré le professeur Ivan Sascha Sheehan pour un entretien sur le soulèvement national de 72 jours en Iran. Le professeur Ivan Sascha Sheehan est le directeur exécutif de la School of Public and International Affairs de l’Université de Baltimore. Suivez-le sur Twitter @ProfSheehan.

Voici l’intégralité de l’interview :

Commission Affaires étrangères CNRI : Nous sommes maintenant dans la 9ème semaine du soulèvement iranien. Est-il possible que le régime iranien abandonne et se retire si les manifestations se poursuivent ?

Prof. Sheehan : L’issue finale des soulèvements peut sembler incertaine. Mais ce qui est clair et tangible en ce moment, c’est que le régime n’a pas réussi à étouffer ou du moins à contrôler la situation. Et ce n’est pas comme si Téhéran n’avait pas essayé. Les plus hautes autorités, notamment le duo formé par le Guide Suprême, Ali Khamenei, et le commandant en chef du Corps des gardiens de la révolution islamique (pasdaran), Hossein Salami, ont à plusieurs reprises menacé sans ménagement les manifestants de rentrer chez eux. Le fait que les manifestants n’aient pas abdiqué est non seulement embarrassant pour le régime, mais cela révèle les fissures et les faiblesses fondamentales de Téhéran. Il y a quelques jours à peine, le chef du pouvoir judiciaire du régime a menacé les manifestants de la peine capitale. En outre, le Corps des gardiens de la révolution islamique (pasdaran) est fortement impliqué dans la répression et fait preuve d’une violence quotidienne. Mais la persistance du soulèvement est un signe essentiel de sa longévité et de son intensité croissante. En ce sens, on peut parler d’une révolution en marche, car le système théocratique est à court d’options et le peuple gagne en courage et en élan. Mais il serait faux de penser que le régime va abandonner ou se retirer de lui-même. Le peuple devra poursuivre son soulèvement et sa résistance, notamment contre les forces répressives de la théocratie. Et la communauté internationale doit renforcer son soutien au peuple iranien, en particulier les appels du peuple à se défendre légitimement par tous les moyens, afin d’atténuer la brutalité et la répression de la théocratie. Cela permettra à la « révolution en marche » de perdurer, d’affaiblir encore davantage le régime et, à terme, de le renverser.

Les pasdaran et les forces Basij ont recours à la violence pour empêcher les manifestations. Cela aura-t-il une incidence sur les manifestations en Iran, et seront-ils en mesure de repousser les manifestants ?

Prof. Sheehan : Jusqu’à présent, malgré la répression sévère des pasdaran, les manifestations ont persisté. Et ce, alors que, selon des informations classifiées obtenues par la Résistance iranienne, Salami et d’autres commandants supérieurs des pasdaran dirigent la réponse du régime. Pourtant, les manifestations ont touché au moins 252 villes. Malgré le coût élevé de la participation aux manifestations de rue – jusqu’à présent, plus de 660 personnes ont été tuées et plus de 30 000 ont été arrêtées – les jeunes ne se laissent pas abattre et les femmes continuent de prendre la tête du soulèvement. D’autres signes indiquent que les gens sont plus intrépides et déterminés que jamais. Certains des meurtres et des actions de répression les plus graves ont eu lieu dans la province du Sistan-Baloutchistan au cours des deux derniers mois. Pourtant, pas plus tard que le vendredi 10 novembre, les gens ont manifestés avec plus de férocité. Des rassemblements de protestation ont été signalés à Zahedan, Khash, Rask et Saravan. Les gens ont scandé des slogans tels que « A bas Khamenei ! » et « A bas les bassidjis ! ». Même lorsque les forces de sécurité ont ouvert le feu et tenté de disperser les manifestants, les rassemblements ont continué. À l’occasion du 40e anniversaire de la mort de chaque martyr, les manifestants trouvent opportun de se soulever à nouveau, ce qui laisse présager d’autres manifestations et affrontements à venir contre le régime. La perte de la peur chez les manifestants a marqué un tournant important dans cette bataille. Comme l’ont découvert de nombreux journalistes de médias tels que Reuters, CNN ou le New York Times, par exemple : « J’ai une vie et je veux la vivre librement », a déclaré Shideh, 17 ans. « Nous n’avons pas peur d’être tués. Nous finirons par changer le régime. » Les faits sur le terrain parlent d’eux-mêmes et les gens montrent qu’ils sont déterminés à renverser le régime malgré la répression violente.

Peut-on envisager le retour de l’accord nucléaire avec l’Iran ?

Prof. Sheehan : Même à l’apogée des espoirs occidentaux d’un retour à l’accord, Téhéran le bloquait délibérément et recourait à des tactiques dilatoires, indiquant qu’il n’était pas sérieux quant à l’obtention d’un résultat mutuellement satisfaisant. Cela ne devrait pas être une surprise. Depuis des décennies, Téhéran s’est constamment engagé dans un schéma de tricherie et de comportement trompeur pour faire avancer ses ambitions nucléaires. Il a utilisé le processus de négociation pour réduire l’examen international alors que ses plans pour l’obtention de la bombe nucléaire progressent. Et même après la signature du premier accord (JCPOA), Téhéran en a constamment violé les termes. En décembre 2015, l’Institute for Science and International Security a publié une analyse d’un rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur les éventuelles dimensions militaires du programme nucléaire iranien. Selon ce rapport, Téhéran a violé le JCPOA en refusant de coopérer avec l’AIEA sur les éventuelles dimensions militaires du programme. En 2017, les services de renseignement allemands ont déclaré que même lorsque les États-Unis faisaient encore partie du JCPOA, le régime a tenté plus de 100 fois d’obtenir une technologie nucléaire illicite. La Résistance iranienne a également révélé les activités de recherche de bombes du régime à de nombreuses reprises, notamment les activités de recherche et de développement en cours sur le site militaire de Parchin en 2017, hors de portée des inspecteurs de l’AIEA. Aujourd’hui, avec les troubles en cours en Iran et l’opinion publique internationale qui se tourne vers la détresse du peuple iranien pour la démocratie, il est devenu encore plus intenable pour les puissances occidentales de poursuivre un accord avec le diable.

La crise économique iranienne avec les manifestations peut-elle faire perdre le contrôle du régime ?

Prof. Sheehan : La théocratie a déjà fait son temps. Au cours des 43 dernières années, elle a fait l’objet de multiples crises existentielles, mais n’a réussi à garder le contrôle que par des massacres, des meurtres, des emprisonnements, des tortures et des actes de violence. En 1988, il a tué au moins 30 000 prisonniers politiques, dont plus de 90 % étaient des membres du principal mouvement d’opposition, l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI). Mais aujourd’hui, la situation atteint un point de rupture. Selon les statistiques officielles, plus des deux tiers de la population vivent dans une pauvreté abjecte, et le taux d’inflation monte en flèche. À l’origine des troubles qui couvent se trouve une profonde antipathie de la population envers des décennies de mauvaise gestion économique, de corruption institutionnalisée, d’aggravation des crises sociales et de répression dans presque toutes les sphères de la société. Dans ces circonstances, le régime va certainement perdre le contrôle. Ce n’est qu’une question de temps.

De nouvelles sanctions seront-elles appliquées contre le régime iranien, surtout après l’absence de solutions pour rétablir l’accord nucléaire ?

Prof. Sheehan : En effet, il est impératif de rétablir les six résolutions suspendues du Conseil de sécurité des Nations unies relatives aux sanctions contre le régime des mollahs. Mais les sanctions ne suffisent pas. L’histoire a montré à maintes reprises que la bonne politique pour traiter avec le régime iranien n’est pas la clémence et le dialogue, mais la fermeté et l’esprit de décision. Les capitales occidentales doivent être conscientes de cette réalité. Au cours des deux derniers mois de soulèvements, le régime a tué des dizaines d’enfants. La communauté internationale ne peut continuer à négocier avec une théocratie meurtrière d’enfants. Dans le cadre d’une politique décisive, le régime doit être expulsé des Nations unies et de toutes ses institutions. De manière critique, la communauté internationale doit reconnaître le droit du peuple iranien à l’autodéfense et renverser le régime, tout en reconnaissant que la lutte des jeunes contre les pasdaran est légitime et nécessaire. Les ambassades du régime dans les pays occidentaux doivent être fermées. Et la force de répression des pasdaran doit être désigné comme une entité terroriste.

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