samedi 7 juin 2014

LETTRE D'UN PRISONNIER POLITIQUE À SON FRÈRE PARTANT À LA POTENCE


Saïd Massouri : Lettre à mon frère Gholam-Reza Khosravi, quelques heures avant son départ vers la liberté

Avec mes salutations sincères aussi élevées que l'histoire pourra les porter,
Il est deux heures et demie du matin, en ce dimanche 1er juin 2014. J’aurais aimé que ce soit toi qui m’écrives cette lettre, oui, je l’aurais tant aimé ...
Je sais que tu es encore en vie. Tu es sans doute en train de prier, sans la moindre hésitation, sans regret ni peur. Tu les as fait courir pour t’arracher un seul mot de remords et de repentir, contre  leur acharnement, et tu savais que ça te coûterait la vie. Et comme d’habitude tu dois certainement réciter : «Merci à Dieu qui nous a guidés dans cette voie. » (Coran, sourate Araf, verset 42).

En fait, Gholam-Reza, j’ai passé toute la nuit à prier pour toi, en souvenir de toi. J'ai prié et supplié Dieu pour ta vie. Et je ne te le cacherai pas, avec beaucoup de tes codétenus, nous avons pleuré, oui beaucoup pleuré, non pas sur toi, mais sur nous et la situation de notre pays et parce qu’ils ont fait de ce pays et de la ville de nos camarades un enfer et une morgue. Nous avons pleuré parce que le monde n'a toujours pas compris ce que ce régime nous a fait, à nous et à notre peuple. Nous avons pleuré parce qu'ils ont transformé ce pays en un abattoir de ses enfants les plus courageux et que le monde garde le silence. Nous avons pleuré parce que nous ne savons pas ce que les politiciens et les organisations mondiales peuvent négocier et marchander avec les auteurs de ces massacres et de ces calamités ? Ne voient-ils donc pas ce qu'ils nous ont fait à nous et à notre peuple ?

Nous venons juste de recevoir la nouvelle qu’une équipe de bourreaux est arrivée à la prison pour t’exécuter et nous avons aussi appris que pour que tu ne sois pas conscient au moment de ta pendaison et que tu ne puisses pas lancer des slogans, ils t’ont piqué de force à la morphine. (1)

Nous avons encore pleuré des larmes de sang, parce que nous ne pouvions rien faire et que, pieds et poings enchainés, nous sommes contraints de regarder quand ils emmènent nos êtres chers et les enfants de cette terre, pour les abattre.

Oui, nous avons beaucoup pleuré et nous pleurons encore, parce qu'ils commettent tous ces crimes au nom de l'islam. Ils veulent sous ce nom, déraciner l'islam et le chiisme. Mais c’est toi qui aujourd’hui avec ton sang porte le drapeau de l'honneur et de la liberté de notre peuple enchainé. Ainsi tu deviens un phare pour que nos enfants et les générations futures n’aient pas honte d'être Iraniens ou musulmans. Mais au fait, que dis-tu en ce moment à Dieu ?

Et maintenant dans quelques instants, tu vas sortir de la file de ceux qui attendent pour celle des fidèles à leurs promesses et leur engagement (J’aurais tant aimé être avec toi) et j’aurais été béni et sauvé, car notre salut ne peut se faire qu’en conservant l’honneur et l’intégrité de notre nation et de nos principes. Parce que nous voulons rendre à notre peuple ce qu’on lui a volé.

Mon ami et frère que je n’ai pas vu mais que je connais, nous nous approchons petit à petit de la prière du matin. Mais bien que nous adorions l’appel à la prière, aujourd’hui nous prions tous pour qu’il n’arrive pas, parce qu'ils exécutent à la prière du matin et que c’est ainsi qu’ils utilisent l’appel à prier et la prière pour assassiner et verser le sang !

Pourtant, nous sommes assis à prier Dieu pour que peut-être Il modifie ce chemin. Dieu seul sait ce qui se passe dans nos cœurs et dans le cœur de tous tes amis et tes proches. Chaque larme ressemble à une mer de feu. Malheureusement, rien ne peut exprimer cette énigme douloureuse.

Maintenant, il est quatre heures et demie du matin. Le muezzine cette fois appelle pour l'éternité. Félicitations pour ton départ, désormais ton sang coule dans les veines de l'histoire. Ils te tuent pour l'anniversaire du seigneur des combattants de la liberté (le petit-fils de Le Prophète, l’Imam Hussein). Dis-lui ce qu'ils nous ont fait subir à nous et notre peuple tout au long de ces années.

Ton exécution sonne le début d’une série d'exécutions ou d'autres actes meurtriers. Les prisonniers sont dans l’attente de ces crimes, nous nous attendons à plus de crimes. C'est peut-être le prix à payer pour le dernier tour de cette guerre sans répit, la guerre pour la liberté et le bonheur de notre peuple.

Il est maintenant cinq heures du matin. Maintenant, je sais que tu n’es plus parmi nous et j'ai honte d'être en vie... Mais honte à tous ceux qui ont trempé dans ton assassinat et même à ceux qui l’ont approuvé par leur silence.

En t'envolant, haut, loin de ton nid
Tu briseras les plumes des vautours
Dans l'ascension, tu passeras les sept cieux
et tu atteindras l'Eden en brisant la tromperie

Mon cher frère Gholam-Reza !
Je suis sûr à présent que tu ne liras jamais cette lettre parce que la nouvelle de ton exécution en tant « qu’hypocrite » et « espion étranger » vient d’être annoncée.

Sois bienheureux car ils ont porté contre toi les mêmes charges qu’aux (les saints Imams du chiisme) Ali, Hussein, Moussa Kazem, et tous les autres défenseurs de la liberté.

Saïd Massouri
1 juin 2014
Prison de Rajaï-Chahr (Gohardacht)

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