Le président américain Donald Trump a annoncé le 13 octobre sa nouvelle stratégie iranienne. Refusant de « certifier » le respect par l'Iran de l’accord nucléaire signé par les cinq puissances mondiales, sans formellement s’en retirer, il a opéré un tournant majeur dans la politique américaine en plaçant le Corps des Gardiens de la révolution (CGRI ou Pasdaran), la milice armée du régime iranien, sur la liste spéciale des terroristes mondiales (SDGT) pour son soutien au mouvements extrémistes au Moyen-Orient et au régime de Bachar Assad.
L’inscription des CGRI et les sanctions de cette entité par le Département du Trésor, risque de compromettre les investissements étrangers en Iran, où cette armée d’élite du régime islamiste contrôle l’économie.
Pour un éclairage sur les enjeux de cette nouvelle conjoncture, nous avons interrogé François Colcombet, président de la Fondation d'Études pour le Moyen-Orient (FEMO) et co-auteur de « Où va l’Iran », Éditions Autrement.
Quels sont en substance les changements intervenus dans la politique américaine ?
Sur ces trente dernières années la politique américaine sous les présidences démocrates ou républicaines a plutôt consisté à trouver un terrain d’entente avec la théocratie iranienne. Le récent discours du
président américain tranche avec ce passé. Quel que soit l’appréciation que l’on peut avoir sur la personne de Trump, il faudrait analyser avec sérieux ce changement de cap. Les changements se déclinent
dans trois domaines : le nucléaire, les missiles balistiques et le terrorisme. Sur le nucléaire, Donald Trump estime que le régime iranien a violé l’esprit et le contenu de l’accord passé entre Téhéran et les cinq
membres du Conseil de sécurité plus l’Allemagne. Cet accord que l’on nomme, le « Plan d’action global commun » est considéré par les puissances comme un moyen de contrôler le programme nucléaire
controversé du régime iranien. Selon Trump cet accord n’est pas suffisant. Mais il ne le déchire pas comme on l’avait annoncé. Selon lui des inspections doivent désormais inclure les sites militaires
actuellement inaccessibles aux inspecteurs de l'AIEA. Toujours selon l’actuel président des Etats-Unis, l’esprit de l’accord est aussi violé aussi par la poursuite d’un programme balistique controversé du
régime et par ses activités militaires dans la région. Trump se réfère pour cela à la résolution 2231 du Conseil de sécurité violée par les multiples essais balistiques réalisés par les Gardiens de la révolution.
Les américains ne sont pas le seuls à s’inquiéter des essais de missiles. Les pays arabes de la région, Israël et les Européens s’inquiètent aussi. De plus, ce qu’on peut appeler la politique hégémonique des
Pasdaran visant à dominer le Moyen-Orient a abouti à des ingérences. Des ingérences directes ou par le biais de forces supplétives islamistes. Voilà un sujet d'inquiétude tant pour les États-Unis, pour
l'Europe que pour les voisins d’Iran.
Sous l’administration Obama et sous ses prédécesseurs la volonté fut de tenter de changer le comportement du régime. D’où des concessions et des gages visant à favoriser la faction dite « modérée » du
régime. C’est dans cet esprit que l'accord nucléaire intervenu en juillet 2015 devait, comme le précise son préambule, « contribuer positivement à la paix et à la sécurité au niveau régional et international ».
Or les choses sont loin d'avoir évolué dans ce sens. En Iran c’est le Guide suprême et ses Pasdaran qui ont le dernier mot. Aucune réforme n’est intervenue, ni sur le plan d’une ouverture politique à
l’intérieur, ni sur la scène étrangère et régionale où la situation est chaotique.
L'inscription des Pasdaran sur une liste d’entités terroristes est-elle justifiée ?
Le Departement du Tresor américain a agi en conformité de ce que l’on appelle l’ordonnance présidentielle n° 13224 qui établit une liste des terroristes mondiaux, la SDGT ou Special Designated Global
Terrorists. Dorénavant le Corps des Gardiens de la révolution est inscrit sur cette liste. Cette liste est différente de celle des organisations terroristes étrangères (FTO) du Departement d’Etat. Mais elle a des
conséquences semblables. L’« exportation de la révolution islamique » est, en effet, une mission clairement inscrite dans les statuts des pasdaran créée en 1979 par le fondateur du régime islamiste,
l'ayatollah Khomeiny. Cette mission « internationale » est expressément mentionnée dans la constitution iranienne. D’ailleurs le nom du « Corps des Gardiens de la révolution islamique » ne comporte pas le
nom Iran, ce qui est bien significatif. Les dirigeants du régime théocratique d’Iran se considèrent donc comme chargé d’une véritable mission de créer un « axe» allant de Téhéran jusqu'aux rives de la
Méditerranée. Selon une enquête du Comité international pour la recherche de la justice (ISJ) publié par la FEMO, le régime s’ingère directement dans les affaires internes ou complote contre les Etats d'au
moins 8 pays de la région : l'Irak, la Syrie, le Yémen, le Liban, la Palestine, le Bahreïn, l'Égypte et la Jordanie. Enfin, alors qu’il fait du prosélytisme chiite, le régime iranien n’hésite pas à soutenir les groupes
extrémistes sunnites pour déstabiliser ses rivaux.
Le préambule de la Constitution de la République islamique est explicite : « La Constitution prépare le terrain pour la poursuite de cette révolution à l’intérieur et à l'étranger. Plus spécifiquement, elle servira
à développer les relations internationales avec d'autres mouvements et peuples islamiques afin d'ouvrir la voie à l’avènement d'une communauté universelle, unique, en conformité avec ce verset du Coran…».
L'exportation du terrorisme et l’expansion du fondamentalisme est donc un des pilier du régime islamiste d’Iran et une composante stratégique pour sa sécurité . Ce thème brillamment développé par l’auteur
de « Gardiens de la révolution, une armée intégriste et terroriste », Mehdi Abrichamtchi, paru aux éditions Jean Picollec.
Quelles sont les conséquences de cette décision pour les affaires ? Quel avenir pour la promesse de l'eldorado iranien ?
La décision américaine fragilise encore plus la perspective qu’on nous promettait d’un eldorado iranien pour les investisseurs étrangers. Selon les analystes, la part des pasdaran dans le produit national brut
de l’Iran se situe à près des deux tiers du PNB, soit quelques 400 milliards de dollars. Contrôlée à près de 70% par les pasdaran et les fondations affiliées au Guide, dont le patrimoine a été estimé en 2013
par Reuters à 95 milliards de dollars, l'économie iranienne est donc loin d'être une économie libérale où il serait bon d’investir.
Cette implication des Pasdaran et autres entités suspectes fait que plusieurs grands groupes français risquent d’être pénalisés en raison de ses sanctions décidées par Etats-Unis contre les pasdaran. Total,
qui a signé un contrat sur vingt ans avec la compagnie pétrolière NIOC pour exploiter le gisement de South Pars, pourrait être contraint d’abandonner le projet. Les compagnies d’automobiles risquent
davantage. De nouvelles sanctions contre les Gardiens de la révolution, qui gèrent la part la plus juteuse de l’économie, vont sans doute finir par effrayer les compagnies qui ont été les plus aventureuses.
Quel regard portent les Iraniens, le peuple, sur cette volte-face ? et quelles sont les conséquences au sein des factions du pouvoir ?
Les factions du régime ont en réalité la même position. Le guide suprême a affirmé qu’il ne déchirerait l’accord que si les Américains décidaient de le faire. Ce qui n’est pas encore le cas. Le chef du
gouvernement Hassan Rohani a fait l’éloge des Gardiens de la révolution. Son ministre des affaires étrangères Javad Zarif a cru bon de prétendre que chaque Iranien est « un membre des Pasdaran », ce qui
a suscité une vive réaction de rejet unanime des jeunes sur les réseaux sociaux : la phrase « Je ne suis pas un Pasdaran » a abondamment circulé. Il est vrai que le peuple n’a pas vu venir les bienfaits
économiques de l’accord nucléaire. L’argent du pétrole et les sommes dégelés, ne sont pas venu dans la poche des citoyens ni sur les nappes des familles iraniennes. L’argent a été utilisé sur les champs
dans batailles en Syrie ou en Irak ou au Yémen…les villes iraniennes sont le théâtre de manifestations de personnes ruinées par les faillites des banques et des caisses d’épargne appartenant, la plupart, aux
Gardiens de la révolution. Ces gens reprochent au régime d’avoir gaspillé leurs économies en Syrie ou au Liban…En un mot les Pasdaran sont très impopulaires. Les Iraniens leurs reprochent de leur avoir
confisqué les bénéfices du rapprochement avec l’Occident. Les opposants iraniens se sont réjouis de l’inscription des pasdaran sur la liste noire. Ils estiment qu’investir dans le régime iranien ne profitent qu’à
ces forces de répression. Maryam Radjavi, présidente du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), a approuvé la politique visant à « condamner les violations flagrantes des droits humains en Iran
et à priver le régime iranien et notamment les pasdaran de financement pour leurs activités néfastes qui pillent les richesses du peuple iranien. » A mon avis cette position ne peut qu’être partagée par une
majorité d’Iraniens.
Quelle est la position de l'Europe ?
Il y a une divergence de vue entre l’Europe et les Etats-Unis sur la suite à donner à l'accord nucléaire. Le Congrès doit se prononcer deux mois après le refus du président américain de certifier l’accord. Ce
qui peut entrainer de nouvelles sanctions. Les pays européens font un travail de lobbying au Congrès américain pour éviter la fin de l’accord avec l’Iran. On constate cependant une convergence de vues,
entre les USA et les Européens, sur la nécessité de contrer la menace balistique du régime et stopper ses ingérences dans la région. Après l'annonce américaine, les dirigeants français, allemand et
britannique ont publié une déclaration commune. Confirmant leur décision de défendre et préserver l'accord nucléaire, ils ont toutefois partagé « des préoccupations quant au programme de missiles
balistiques de l’Iran et à ses activités dans la région, qui affectent également nos intérêts de sécurité européens. Nous sommes prêts à prendre, affirment-ils, de nouvelles mesures adéquates pour traiter ces
questions, en étroite coopération avec les États-Unis et tous les partenaires concernés. »
Quant au président Marcon, il a en marge de l’Assemblée générale de l’ONU, le 20 septembre à New York, exprimé aux journalistes présents ses inquiétudes : « Cet accord est-il suffisant ? Non. Il ne l’est
pas compte tenu de l’évolution de la situation régionale, de la pression croissante que l’Iran exerce dans la région et compte tenu de l’activité depuis l’accord accrue de l’Iran sur le plan balistique (…) Disons-
nous les choses en vérité, les tensions sont croissantes. ». Il a ensuite évoqué le Hezbollah et la Syrie. « Je regarde l’activité du Hezbollah d’une part et la pression de l’Iran sur la Syrie d’autre part et sur ces
sujets nous avons besoin d’avoir un cadre clair et de pouvoir rassurer les pays de la région comme les États-Unis d’Amérique. » Le 15 octobre, dans une interview sur TFI, il a plaidé dans le même sens en
affirmant : « Soyons beaucoup plus exigeants sur l’activité balistique de l’Iran et sur son action dans la région ». Or, pour être exigeant il faut cesser de faire des concessions au régime. Si le Guide suprême
où Rohani n’osent pas déchirer l’accord, c’est qu’ils en ont bien besoin et que le régime est trop faible pour pouvoir répliquer. C’est le moment pour nous d’être exigeants. Veillons à ne pas apporter un crédit
aux dirigeants de ce régime impopulaire. La visite évoquée d’un président français en Iran serait un cadeau inutile à une théocratie en fin de parcours et de plus en plus isolé. D’autant plus qu’aucun
Président français n’a, jusqu’à présent, jugé nécessaire de donner ce gage à l’Iran des ayatollahs.
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