CSDHI - Arrêtée une première fois au début des années 1980 en Iran, Touba Mirzai a perdu une quinzaine de membres de sa grande famille, exécutés par les mollahs en Iran. Ces épreuves intolérables ont laissé un masque de tristesse sur son visage. Cependant Touba n’a jamais renoncé à combattre l’extrémisme et l’intégrisme religieux, fidèle à la voie et au but de ses frères, sœurs et proches, tombés martyrs pour la liberté en Iran.
Alors que se célèbre le 30e anniversaire du massacre de 30.000 prisonniers politiques pendant l’été 1988 en Iran, Touba Mirzaï raconte comment les siens ont fait partie des convois de la mort.
Les gardiens de la révolution (les pasdaran) nous disaient : « vous êtes des hypocrites, on doit aussi exécuter vos enfants. Il ne doit rester aucun survivant de votre génération. » A ce moment j’ai réussi à faire glisser le bandeau que j’avais sur les yeux, et j’ai vu que plein de pasdaran et de mollahs étaient assis tout autour de la pièce. Un pasdaran m’a alors envoyé un coup de poing dans la figure et on m’a emmenée immédiatement sous la torture jusqu’au matin. Là ils m’ont dit : « quand tu seras prête à parler, ouvre et ferme tes poings ! » pour qu’ils ne pensent pas que je veuille leur parler, j’avais tellement serré les poings, que les ongles étaient entrés dans ma chair.
« Et c’était tous les jours la même chose. Le matin on nous emmenait à la salle de torture. C’était moi ou les autres. Pour moi c’était pire quand c’était les autres qui étaient torturés, leurs cris me déchiraient. J’aurais préférée être suppliciée à leur place et ne pas entendre les cris des filles et des garçons. Je devais endurer ça, devant la porte de la salle de torture en attendant mon tour. »
« J’ai été à nouveau arrêtée en 1988. Quand on m’a emmenée à nouveau dans les services des pasdaran, on m’avait bandé les yeux, mais je voyais que tous les résistants qui avaient été libérés, avait de nouveau été arrêtés. Partout où on allait, c’était remplis de prisonniers qu’ils venaient juste d’amener. »
Quinze membres de ma famille ont été exécutés :
- Mon frère Hossein, 33 ans, licence de sociologie
- Ma sœur Massoumeh, 25 ans, baccalauréat
- Mon frère Mostafa, lycéen, arrêté à l’âge de 16 ans
- Ma sœur Khadijeh, 22 ans, étudiante en mathématiques
- Ma belle-sœur, Mahnaz Youssefi-Louyeh, 27 ans, baccalauréat
- Ma belle-sœur, Fatemeh Poulchi, 24 ans
- Le frère de ma belle-sœur, Mahmoud Poulchi, 27 ans, baccalauréat
- Mon cousin Seyfollah Rajabi, 27 ans, enseignant
- Mon cousin Hossein Karimi-Biria, 25 ans, ingénieur, mort sous la torture
- Mon cousin Morteza Heydari, 29 ans, Maitrise
- Ma cousine Behjat Heydari, lycéenne, arrêtée à l’âge de 18 ans
- Mon cousin Chaban Gholipour, 27 ans, étudiant
- Mon cousin Jafar Karemi Peyman, 29 ans, commerçant
- Mohammad-Ali Totounchian, 36 ans, étudiant
- Mon neveu Parviz Nazari, 30 ans, baccalauréat
L’histoire de Hossein
Mon frère Hossein a été arrêté le 9 juin 1981. Ils l’ont gardé un an et demi en isolement, six mois dans une cellule sous les escaliers de la prison d’Evine, en position assise, recroquevillée. Personne ne savait où il était. C’est Ali Toutounchian qui nous a avertis : « Mohsen est vivant. » Mohsen a été torturé durant toute la durée de sa détention. A chaque arrestation d’un membre de la famille, Mohsen partait en salle de torture. Pendant 7 ans, ils ne lui ont rien épargné, mais il n’a pas dit un mot.
En 1982, alors que j’étais emprisonnée, je suis allée faire mes ablutions pour la prière. J’ai vu dans les toilettes, une bassine remplie de vêtements pleins de sang. Tout autour il y avait du sang. Alors je me suis mise à laver ces vêtements. J’ai dit aux filles « j’ai le sentiment que ce sont les habits de Hossein » et je me suis demandé ce qu’il faisait ici, parce qu’il était à Evine et que c’était la prison de Gohardacht. Et les filles m’ont dit que mon frère n’était pas ici, qu’il était dans une autre prison. Mais j’ai lavé ces vêtements, j’ai frotté le sang avec un morceau d’éponge et je les ai étendus. Et je me suis dit, comme ça le prisonnier à qui ça appartient saura qu’ils ont été nettoyés avec une éponge et il pourra les reprendre. Le jour suivant, le pasdaran qui était notre gardien, a ouvert la porte de la cellule et m’a dit : « si j’avais su que Hossein était ton frère, je t’aurais permis de le voir. Ils ont amené Hossein depuis Evine. Ils l’ont beaucoup torturé, mais il n’a pas parlé. Il s’est coupé les veines, mais je l’ai sauvé. » C’est comme ça que j’ai compris que j’avais eu raison, c’était bien les vêtements de mon frère. Ensuite ils l’ont ramené à Evine.
Il avait été condamné à 15 ans de prison, pendant 7 ans il avait été sous les pires tortures, et il a été exécuté lors du massacre de 1988.
Après son exécution, ils nous ont donné un droit de visite. Et lorsqu’on s’est rassemblé, pour voir qui il restait, ma mère a dit : « tu sais quand ils ont tué l’Imam Hossein (3e imam des chiites et symbole de la lutte contre l’injustice sous le couvert de la religion), Yazid, son ennemi avait coupé tous les accès à l’eau (dans le désert irakien). Quand l’Imam Hossein a été tué, l’ennemi a ouvert l’accès à l’eau et a crié aux survivants : venez boire ! Cette visite, je ne peux pas l’accepter. » Et Lajevardi, le boucher d’Evine, a dit à ma mère : « tu sais ce que j’ai fait à ton fils ? Je l’ai collé au mur et je lui ai tiré 7 balles dans la tête » et ma mère a crié avec tout le courage d’une lionne « Mon fils, tu as sanctifié le lait que je t’ai donné car tu n’as pas plié devant le bourreau ! » et ma mère a refusé la visite.
L’histoire de Massoumeh
« Massoumeh avait 18 ans, quand ils l’ont arrêtée. Puis elle a été libérée. A nouveau, elle a été arrêtée à Machad et emprisonnée à la maison d’arrêt de Vakil-Abad. Elle a été en isolement tout le temps. Une fois ma mère lui a demandé : « Massoumeh, tu es toute seule ? », « non maman, lui a-t-elle répondu, le Bon Dieu est toujours avec nous. » Avec un minimum de moyen, elle faisait de la broderie, du tricot. Elle disait « vendez-le et donnez les sous à la résistance. » Elle avait été condamnée à cinq ans de prison. A chaque fois que ma mère demandait si sa peine était terminée, on lui répondait que « Massoumeh ne sera pas libérée, parce qu’à sa sortie elle filera tout droit dans la résistance. On ne la libèrera jamais. » Massoumeh et sa compagne de cellule Zahra Charifi ont été exécutée en 1988. »
L’histoire de Mostafa
« Mon petit frère Mostafa, à la fin de 1981, avait à peine 16 ans lors de son arrestation. Quand ils l’ont emmené ils n’ont eu aucune pitié de lui. Il a été constamment sous la torture. Il était menu et faible et la plupart du temps il était au dispensaire de la prison d’Evine. Je me souviens qu’à l’âge de 15 ans, il avait écrit son testament. Il avait écrit : « je ne possède rien au monde, j’ai une mobylette. Papa voudrait m’acheter une maison. Alors je donne tout ça à la résistance. » Il avait caché son testament dans son armoire, avec autour un ruban rouge pour qu’on le donne après sa mort à la résistance. Lors du massacre de 1988, il a fait partie des premières personnes qui ont été exécutées.
« Mon père s’était rendu au Komiteh. On lui a dit que Mostafa avait été exécuté. Moi et mon père nous sommes allés au cimetière de Behecht-Zahra, à Téhéran, pour voir où la terre avait été fraichement retournée. Il y avait là-bas Mère Ali. En 1981, son fils unique avait été exécuté et depuis elle passait sa vie sur sa tombe, sept ans sur une tombe. Quand elle nous a vus, elle s’est mise à pleurer : « mais où êtes-vous ? Mais où êtes-vous ? » Et puis elle nous a raconté comment elle avait vu creuser de grandes fosses depuis le début du massacre. C’était le jour de l’anniversaire de son fils, elle avait apporté des fleurs, avec d’autres mères. Le jour tombait quand elle a vu arriver deux camions qui ont déversés des cadavres dans la fosse. Elle a dit aux mères : « partez, mais moi je reste ici. » Elle voyait tous ces cadavres qui étaient jetés dans la fosse et elle s’est mise à crier, à pleurer. Les pasdaran l’ont entendue. Ils se sont rués sur elles, l’ont frappée à coups de pieds « Silence, qu’est-ce qui te prends, qu’est-ce que tu as vu ? ». Elle leur a répondu : « laissez-moi, c’est l’anniversaire de mon fils ! » Alors ils l’ont prise, l’ont enroulée dans son tchador et l’ont emmenée jusqu’au bord de la route. Depuis ce jour, cette mère était devenue curieuse, et chaque jour elle recherchait les nouvelles fosses. Elle avait vu un endroit où des camions avaient déversé des corps de femmes et des bulldozers les avaient recouverts de terre. Cette mère avait repéré plusieurs endroits dans le cimetière de Behecht-Zahra et elle nous en a donné les informations.
L’histoire de Khadijeh
Quand Khadijeh a été arrêtée, ils l’ont emmenée en prison. Pendant qu’elle était sous la torture, ils ont voulu que mon père vienne la voir. Quand mon père l’a vue au parloir, il lui a demandé : « mais qu’est-ce qu’ils veulent de toi ? » Elle lui a répondu « je n’ai rien qu’ils puissent vouloir. Mais ils veulent que je fasse une interview à la télévision [pour dénoncer la résistance] et ça je ne veux pas. » Et puis elle avait ajouté à mon père : « j’ai une bague et une montre. On a été arrêté à trois. Deux ont été exécutées et moi je suis condamnée à mort. Ils veulent que je passe à la télé, moi je ne veux pas. Je t’en prie, ne les supplie pas pour avoir un parloir. » Elle a donné la bague en disant « c’est un souvenir de Hussein, et ça c’est ma montre. Salue tout le monde de ma part et donne ceci à la résistance en souvenir de moi. » Après trois mois sous la torture, elle est morte. »
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