J’avais 15 ans en 1981 lorsque j’ai été arrêté par les forces de sécurité iraniennes. Après qu’il était devenu clair que j’étais un partisan de l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI/MEK), j’ai été soumis à une procédure judiciaire inique qui m’a valu d’être condamné à 10 ans de prison. J’avais purgé environ sept ans de cette peine lorsque le Guide suprême des mollahs, Rouhollah Khomeiny, a publié sa fatwa déclarant que tous les partisans de l’OMPI sont des ennemis de Dieu et a appelé à ce qu’ils soient exécutés sans pitié ni hésitation.
Après que les « commissions de la mort » de Téhéran ont été convoquées pour mettre en œuvre la sinistre fatwa à l’été 1988, j’ai été emmenée dans le « couloir de la mort » de la prison de Gohardasht à six reprises. Ainsi, j’ai eu des relations plus étendues que la plupart de mes codétenus avec l’homme qui deviendra, en 2021, président du régime iranien. Ebrahim Raïssi était l’un des quatre membres de la commission de la mort, et mon expérience avec lui a confirmé ce que de nombreux autres survivants du massacre de 1988 ont dit au fil des ans : un zélé particulièrement machinal dans l’accomplissement de la tâche sanglante qui lui avait été confiée.
D’après ce que j’ai personnellement vu et entendu de manière indirecte, il y a eu plusieurs occasions où les collègues de Raïssi au sein des commissions de la mort ont remis en question l’opportunité de la peine de mort pour certains partisans accusés de l’OMPI et d’autres groupes dissidents. Mais à chaque fois leur jugement a été annulé par Raïssi. Le jeune juge religieux occupait le poste de procureur adjoint de Téhéran avant l’époque de la fatwa, et il a joué un rôle plus actif dans le massacre qui a suivi.
La volonté de Raïssi de tuer en toute impunité a continuellement porté ses fruits tout au long de sa carrière. Sa performance initiale dans les prisons d’Evine et de Gohardasht a apparemment attiré l’attention du Guide suprême cruel alors que le massacre s’intensifiait. La juridiction de Raïssi a rapidement été étendue, car Khomeini lui a ordonné de corriger la «faiblesse du système judiciaire» dans plusieurs autres villes en mettant en œuvre ce qu’ils appelaient « le commandement de Dieu ».
L’intention du massacre était d’anéantir l’OMPI
Ce langage montre que le Dieu professé par les mollahs est un Dieu assoiffé de sang qui aurait non seulement ordonné le meurtre systématique de milliers de personnes, le tout dans le but de sauvegarder le pouvoir autoritaire des intégristes iraniens. Il ressortait clairement du contenu de la fatwa de Khomeiny et de l’expérience de ceux qui étaient détenus dans des quartiers politiques, que l’intention du massacre était d’anéantir complètement l’OMPI, ainsi que toute autre menace sérieuse pour la dictature théocratique.
Dans les années qui ont suivi le massacre, le réseau de renseignement de l’OMPI a révélé l’emplacement des fosses communes et est arrivé à une estimation d’environ 30 000 pour le nombre total de morts sur environ trois mois en 1988. Pour ceux qui ont été présente dans les centres de détention du régime et ont réussi à survivre au génocide, cette estimation est très facile à accepter. Sur des centaines d’autres sympathisants de l’OMPI dont je savais qu’ils étaient détenus à Gohardasht avec moi cette année-là, j’étais l’un des rares à sortir vivant.
Pour autant que j’aie pu comprendre, je dois ma vie à une erreur d’écriture. Après l’une de mes rencontres avec la Commission de la mort de Raïssi, le jugement écrit a apparemment été abandonné lorsque j’ai été conduit hors de la pièce. Je suis resté dans l’antichambre de la mort jusqu’à tard dans la soirée pendant qu’un responsable de la prison lisait les noms, puis ne sachant que faire d’autre de moi, il m’a ramené dans ma cellule.
La personne qui m’aurait autrement envoyé à la potence m’était connue sous le nom de Hamid Abbasi, appelé également Hamid Noury. C’est sous ce nom qu’il est actuellement jugé en Suède pour crimes de guerre et meurtre de masse, résultant de sa participation au massacre de 1988. Noury est le tout premier responsable iranien à faire face à sa responsabilité pour les exécutions massives. Or, son rôle dans ces exécutions est mineur par rapport à d’autres, comme Raïssi, qui a été récompensé à plusieurs reprises en montant les échelons du pouvoir Iranien.
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En 2019, Raïssi a pris le contrôle du système judiciaire iranien sur ordre d’Ali Khamenei. Ce poste lui a donné l’occasion de superviser les aspects clés de la répression contre les opposants qui ont participé au soulèvement national de 2018 et les « unités de résistance » de l’OMPI. Lorsque les slogans anti-gouvernementaux associés avec ce soulèvement est apparu à une échelle encore plus grande en novembre 2019, le régime a répondu par une des répressions les plus brutales, tuant 1 500 personnes en quelques jours seulement, puis en torturant d’innombrables autres manifestants.
Raïssi a prouvé pendant la répression que son engagement envers la violence politique était toujours aussi impitoyable qu’il ne l’avait été lorsqu’il siégeait à la Commission de la mort. Je n’attendrais rien d’autre de l’homme que j’ai vu prononcer des condamnations à mort en 1988 avec tant de désinvolture. Il était clair qu’à son avis, comme de l’avis de son chef suprême, tout signe de soutien à l’OMPI ou à ses valeurs démocratiques était une justification suffisante pour être exécuté.
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Au fil des ans, alors que je parlais aux côtés d’autres survivants et d’autres personnes directement touchées par le massacre de 1988, j’ai rencontré diverses histoires de proches de prisonniers tellement secoués par l’anxiété et le chagrin qu’ils sont tombés malades et sont décédé de chagrin après le massacre, augmentant ainsi le nombre de morts de facto bien au-delà de la barre des 30 000.
Il ne fait aucun doute dans mon esprit que Raïssi porte une responsabilité majeure dans tout cela, bien que cette responsabilité soit finalement partagée par tous ceux qui ont occupé des postes gouvernementaux de haut niveau ou travaillé pour la justice pendant le massacre. Pour ces raisons, j’accueille avec enthousiasme la poursuite par la Suède d’Hamid Noury et je m’attends à ce qu’il reçoive la peine la plus sévère possible. Mais j’espère également que son cas sera un modèle pour l’application de la « compétence universelle » à tous les auteurs connus du massacre de 1988.
C’est sur la base de ce principe que Noury a été arrêté en Suède en 2019, pour des crimes commis en Iran. C’est sur la base de ce principe que Raïssi pourrait être arrêté à son arrivée dans tout État qui valorise les principes universels des droits de l’homme. Des juristes ont plaidé en faveur de cette ligne de conduite lors de récentes conférences sur le dossier de Raïssi en matière de droits humains et sa nomination à la présidence, et certains sont même allés jusqu’à dire qu’il pourrait être poursuivi pour génocide.
Quand je repense aux rangées et aux rangées de cellules vides qui ont été laissées après que la Commission de la mort de Raïssi a terminé son travail, je ne peux m’empêcher de penser de la manière adéquate pour décrire l’énormité de son crime.
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