mercredi 12 juin 2013

Tahar Boumedra : « J’ai refusé de cautionner les mensonges de l’ONU »

                               
L’ancien chef du bureau des droits de l’homme en Irak jette un pavé dans la mare en livrant les dessous de sa démission
Par Alain Jourdan
Tribune de Genève, 10 juin 2013 – « Je suis parti parce qu’on me demandait de cautionner des choses qui heurtaient ma conscience », explique Tahar Boumedra. L’ancien responsable du bureau des droits de l’homme de la Mission des Nations Unies en Irak (MANUI) a claqué la porte de l’ONU le 5 mai 2012. L’homme n’a pas supporté les pressions exercées pour cacher la réalité des violences commises sur les résidents du camp d’Achraf.
Depuis des années, le sort réservé aux 3000 réfugiés iraniens, honnis par le régime des mollahs et haïs des Irakiens, divise la communauté internationale. En novembre 2008, Tahar Boumedra reçut pour mission de veiller notamment à la sécurité de ce camp. Après l’attaque du 8 avril 2011, qui fit 34 victimes, le transfert de ses occupants vers le camp Liberty a été la goutte d’eau qui fit déborder le vase.
UN PAVE DANS LA MAREL’ancien responsable du bureau des droits de l’homme de la MANUI poursuit sa mission, hors du cadre onusien. S’il a démissionné, c’est pour jouir pleinement de sa liberté de parole. Tahar Boumedra était à Genève ces jours derniers pour rencontrer des diplomates et des responsables d’ONG auxquels il a remis son livre ; « The untold story of camp Achraf ». Sur 300 pages, l’ancien envoyé spécial révèle, documents à l’appui, comment l’ONU s’est employé à minimiser la gravité de la situation. Un vrai pavé dans la mare qui ne devrait pas ébranler les certitudes des diplomates qui sont à la manœuvre.
« Je sais le cynisme dont ils sont capables », soupire Tahar Boumedra. « Depuis que les Etats-Unis ont quitté l’Irak, tout est mis en œuvre pour donner à l’extérieur l’image d’un régime stable. Lorsque j’étais à Bagdad, la consigne était claire : il fallait minimiser les incidents et soutenir le premier ministre Maliki », explique-t-il. Autrement dit, le sort de 3000 réfugiés iraniens d’Achraf transférés à Liberty ne pèse rien au regard des contingences géostratégiques régionales.
UN RAPPORT MIS DE COTESelon Tahar Boumedra, l’ONU et les Américains se trouveraient eux-mêmes pris au piège d’une situation totalement contradictoire. Leur obstination à soutenir que la situation est en train de se normaliser en Irak les obligerait, en fin de compte, à blanchir des accusations de violation des droits de l’homme du régime Maliki que soutiennent les Iraniens.
« Quand on travaille dans un tel environnement, où les vérités sont transformées, cela pose un vrai problème de conscience », poursuit Tahar Boumedra, qui reconnait ne pas être taillé pour ce job. « Je ne suis pas un politique. Je viens du monde des ONG. Ma vocation est de défendre les droits de l’homme », explique-t-il. Lorsqu’il était détaché auprès de Martin Kobler, représentant spécial de l’ONU en Irak, Tahar Boumedra affirme avoir éprouvé « un lourd malaise ».
En janvier 2012, le rapport de l’expert suisse, Marin Zirn, chargé d’inspecter le camp Liberty, est mis au panier. Le document a en-tête du Haut commissariat aux réfugiés, n’a jamais été rendu public. « Le HCR n’est pas en mesure de certifier ou de vérifier que le lieu en question répond aux normes humanitaires », concluait l’expert suisse. Quinze jours plus tard, le 1 janvier 2012, Martin Kobler publiait pourtant un communiqué affirmant exactement le contraire.

Conscient de jouer le rôle du caillou dans la chaussure, Tahar Boumedra assure ne pas avoir tout dévoilé dans son livre pour ne pas compromettre la sécurité de certaines personnes. Quant à la résonance de son combat, l’ancien envoyé spécial est sans illusion. Le conflit syrien et ses milliers de morts constituent un argument de plus déployé par les diplomates pour relativiser l’importance de ce qui se passe au camp Liberty.

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