vendredi 1 décembre 2017

Rama Yade : Pourquoi faudrait-il se soucier de l’Iran?

 S’engager, c’est consentir à faire société. Il n’est rien de plus civilisé que l’engagement. Il est acte de foi dans la volonté humaine. Il est le contraire de subir sa vie. L’engagement fait de l’engagé un acteur de sa vie et un rédacteur du monde, » a déclaré Rama Yade dans un vibrant témoignage pour les droits de l’homme.
Elle intervenait mardi à une conférence tenue à la mairie du 5ème arr. de Paris sur le thème : « Massacre de milliers de prisonniers politique en Iran en 1988 – Droit à la vérité pour les familles des victimes». Sous les auspices du maire Florence Berthout, une exposition permettait de mesurer l’ampleur d’une tragédie qui reste une actualité brulante en Iran, où des voix se lèvent pour demander une enquête internationale.

Organisé conjointement par le Comité de Soutien aux Droits de l’Homme en Iran (CSDHI) et le Comité des maires de France pour un Iran Démocratique, plusieurs personnalités politiques et élus se sont exprimées : Mgr Jacques Gaillot, Bernard Kouchner, Sid Ahmed Ghozali, Ingrid Betancourt, William Bourdon, Tahar Boumedra Intervenant à la suite de mères de martyrs de la Résistance, massacrés en 1988, l’ancienne secrétaire d’Etat chargée des Affaires étrangères et des droits de l’homme a déclaré :
« Il faut l’intimité de ces témoignages de mamans tellement endeuillées pour donner corps à nos discours désincarnés. Face à la douleur des mères, une douleur toujours vive, les mots manquent. Mais ces témoignages sont précieux pour prouver ce qui est nié et nous insuffler l’obligation d’agir.
Comme aujourd’hui au cœur des couloirs de la mairie du 5ème arrondissement, c’était le 24 août dernier. Dans les longs couloirs de la mairie du 2ème arrondissement, les mêmes milliers de photos. Jeunes étudiants, femmes enceintes, adolescentes. Ce sont les martyrs héroïques du massacre de 30.000 prisonniers politiques durant l’été 1988. Abattus de sang-froid. Ce fut un crime contre l’humanité. Soudain une voix : celle d’un haut responsable de cette tuerie. L’aveu -glaçant- du crime. Il est encore vivant, membre éminent du régime de Rohani. Le fils de l’ayatollah déchu Ali Montazeri venait de rendre publics des documents sonores mettant en cause des membres du gouvernement iranien. Il sera condamné pour cette révélation.
Comme on le disait hier de Moscou, l’ordre règne donc à Téhéran.
La réaction du régime de Rohani au massacre de 1988 est à l’image du caractère répressif d’un pouvoir qui ne supporte aucune contestation. La communauté internationale reste sourde et aveugle, trompée par les promesses tactiques d’un régime plus tyrannique que jamais, quand ce n’est pas le business qui motive cet aveuglement.
Comment faire confiance à un système économique tenu par des milices ? Quelle erreur d’avoir provoqué, accompagné, soutenu cet accord nucléaire qui ne réduira ni les capacités balistiques du régime ni les violations des droits de l’homme. Aucun doute que le monde y perdra et en sécurité et en dignité humaine. L’accord nucléaire, c’est un chèque en blanc, le vil prix des lâchetés internationales.
Comme toujours, dans la nuit des misères humaines, une poignée de femmes et d’hommes, héros vaillants du quotidien, tentent à l’intérieur ou à l’extérieur de cette prison à ciel ouvert qu’est devenue l’Iran, de réveiller les consciences humaines, de réclamer justice, de briser le silence. Oui, il faut une Commission d’enquête immédiate, indépendante, transparente pour faire la lumière sur les crimes impunis de 1988. Oui, la Cour Pénale Internationale restaurerait sa crédibilité en traduisant les auteurs devant ses instances. Non, il n’y aura pas de paix en Iran sans justice. Les victimes nous rendent «intranquilles ».
Il est temps pour l'UE et en particulier la France, pays des droits de l’homme, d'adopter une position ferme condamnant les violations flagrantes des droits de l'homme en Iran, en particulier le nombre élevé d'exécutions, et en conditionnant le commerce avec l'Iran à la fin des violations des droits de l'homme.
Il est temps pour l'UE et en particulier la France, pays des droits de l’homme, d’exiger de la Syrie le retrait immédiat des gardes révolutionnaires et de ses mandataires qui soutiennent les groupes terroristes de la région.
Il est temps pour l'UE et en particulier la France, pays des droits de l’homme, d’exiger la fin de son programme de missiles balistiques, qui viole les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU. Si le régime refuse de retirer ses mercenaires de Syrie et de mettre fin à son programme de missiles, imposer des sanctions au régime.
Au cours des 4 premières années de mandat de Rohani, l’Iran détenait le sordide record du plus grand nombre d’exécutions par habitant. Le simulacre d’élection présidentielle qui l’a reconduit à la tête du pays ne change rien. Où est la démocratie quand le choix est entre des démagogues, des autocrates ? Où est la démocratie quand la peur, l’intimidation, le chantage règnent partout ?
Puissions-nous être plus nombreux, plus déterminés pour conduire cet indispensable changement ! Nous le devons à ce grand peuple iranien, l’une des plus vieilles et brillantes civilisations que le monde ait portées ! En soutenant le désir du peuple iranien pour le changement de régime et l'instauration d'une république laïque fondée sur la séparation de la religion et de l'État, l'égalité des sexes, la liberté d'expression.
L’engagement
Je voudrais à ce moment de mon propos m’arrêter un moment sur un point fondamental: l’engagement. Ce qui nous réunit régulièrement. Parce que je sens bien le silence, l’indifférence des opinions sur la cause -celle-ci et bien d’autres qui nous mobilisent. Pourquoi faudrait-il se soucier de l’Iran? C’est loin. On a assez de problèmes à gérer chez nous. C’est dramatique de constater le repli des sociétés occidentales qui ne veulent plus penser le commun. Penser le commun, cela avait été la prétention historique de l’Occident. Ce n’est plus le cas. Pour son plus grand malheur.
Il n’y a pas être que je plains plus que ceux qui se contentent d’être eux-mêmes. Seulement eux-mêmes. Misère. Misère d’une vie qui ne prétend à rien qu’à végéter. A se contenter de ce qui existe.
L’engagement, c’est quelque chose de plus grand que soi, l’exacerbation de la vie portée à sa plus haute intensité. L’engagement, ce n’est jamais être soi, mais se concevoir dans sa plus riche potentialité.
Que d’émotions dans cet accomplissement, dans ses réalisations comme dans ses frustrations, ses tensions, ses heurts, les doutes qu’il comporte comme les certitudes qu’il confère. L’engagement n’aboutit jamais dans la facilité, car son essence, forcément sublime, s’épanouit dans le franchissement des obstacles. C’est ce qui motive mon engagement à vos côtés.
L’engagement permet d’échapper à sa simple condition d’homme. Que serions-nous réduits à la profane trinité : métro, boulot, dodo ? Cet engagement où l’on se donne corps et âme car on appartient plus à son pays qu’à soi-même ; la résistance iranienne à qui je rends hommage l’éprouve si durement depuis 30 ans. Tant d’entre eux ont fait sacrifice de leur vie pour défendre un autre destin pour leur pays. Il y a de la transcendance dans l’engagement qui fait que ses héros y laissent quelquefois leur santé. L’engagement et sa part sacrificielle.
On s’étonne souvent que des femmes et des hommes d’une grande banalité en temps de paix deviennent des héros face à l’adversité, surprenant leur monde ! Les tragédies terroristes sont le témoin de ces moments où un obscur quidam devient sauveur dans la bravoure du danger. Qui l’eût cru d’eux ? Savaient-ils eux-mêmes de quoi ils pouvaient être capables ? « Je ne savais pas que c’était si simple de faire son devoir quand on est en danger » écrira Jean Moulin à sa sœur Laure après son premier fait d’arme du 17 juin 1940 à Chartres. Beaucoup d’hommes et de femmes de la résistance iranienne pourraient en dire autant.
La question taraude encore chaque Français, ou presque, traumatisé de ne pas avoir su être lui-même quand les Nazis sont arrivés : aurions-nous, à Vichy, été collaborateurs ou maquisards ? La nation ne s’engagea pas mais les plus illustres de ses fils le firent. Dans les forêts, à Londres, à Brazzaville.
Mais l’engagement ne saurait rester individuel : il ne se réalise pleinement que dans le collectif. Son effet d’entraînement, à coup sûr…... C’est pour cela que la résistance iranienne a besoin de nous. S’engager, c’est consentir à faire société. Il n’est rien de plus civilisé que l’engagement. Il est acte de foi dans la volonté humaine. Il est le contraire de subir sa vie. L’engagement fait de l’engagé un acteur de sa vie et un rédacteur du monde.
L’engagement n’est certes pas désordonné puisqu’il a un objectif. L’engagement n’est pas compatible avec ce qui est brouillé, pas clair, tempéré. Il est radical par nature. Il porte une idéologie, qu’il le pense ou non. Il y a de l’obsession dans l’engagement. Ici, pour la vérité, pour la justice. Il peut conduire à la mort, sublime celle-là, forcément. Combien de martyrs dans cette glorieuse résistance iranienne! La dimension utopique de l’engagement n’est jamais loin, serait-on tenté de penser. Rend-elle l’engagement pour autant vain ? C’est ne pas comprendre son sens, sa portée, son miracle intime.
Il y eut dans l’histoire des engagements qui n’aboutirent pas au but recherché : l’insurrection de Bucarest de 1956 par exemple. Que de suppliciés ! Quel échec : le siège de Budapest finit écrasé avec 26 000 Hongrois devant les tribunaux, 22 000 condamnés, 13 000 emprisonnés, des centaines d'exécutions et le Cardinal Mindszenty confiné à l’ambassade américaine au titre du droit d’asile pendant quinze ans. Fut-elle pour autant vaine, cette révolution hongroise ? Non, car le résultat de l’engagement ne se jauge pas toujours sur le moment mais des années, voire des décennies voire des siècles après. 1956 a été la première grande fissure sur le bloc soviétique qui finira bien par s’effondrer. Il en sera de même pour l’Iran. Nos combats n’ont rien de vain. Toutes ces générations d’Iraniens qui se succèdent dans la résistance en sont le témoin. Elles se battent pour la pérennité de l’Iran. Pour qu’un jour leurs enfants y vivent libres.


Dans nos démocraties malades dont tant de citoyens se sont retirés du champ, où est le sacrifice, où est l’exploit, où est le collectif, où est l’éternité ? Où est la France ? C’est au degré d’engagement de ses citoyens qu’on mesure l’élan vital d’une nation. L’anthropologue Margaret Mead disait : « Ne doutez jamais qu'un petit groupe d'individus conscients et engagés puisse changer le monde. C'est même de cette façon que cela s'est toujours produit ».

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