mercredi 21 mai 2014

Faut-il aller chez les mollahs iraniens ? par François Colcombet

                    
La semaine de l'Allier - La chronique de François Colcombet : Alors que la France se débat dans de sérieuses difficultéséconomiques et politiques, le printemps est revenu. Et avec lui la saison des voyages. Députés et sénateurs en profitent. La destination de l'année, c'est l'Iran! Jusque là peu fréquentable, l'Iran leur arrêt au contraire l'endroit où il faut absolument aller. Bien à tort, à mon avis. Ces ce que j'écris, sans doute sans résultat, à une de nos sénatrices et à quelques députés tête de linotte.
 « Madame la Sénatrice et chère amie, je viens d'apprendre qu'une délégation de la commission des finances du Sénat doit se rendre en Iran. Tu le sais, je m'intéresse, depuis prés de 20 ans, aux relations franco-iraniennes. Cela me permet d'évoquer de vieux souvenirs: en 1997, l'élection à la présidence de la république du mollah Khatami, alors considéré comme un modéré, avait provoqué de grands espoirs en Occident. L'Assemblée nationale avait aussitôt envoyé une délégation à Téhéran. Le tapis rouge avait été déroulé un peu partout dans le monde à ce nouveau président. On n'avait même pas hésité à lui accorder, sans doute en gage de joyeux avènement, l'inscription sur la liste des organisations terroristes des opposants iraniens réfugiés en Europe. Et même en France, nous étions allés jusqu'à ouvrir une information pénale contre ceux-ci.
Or, au moment du bilan, on a dû constater que, dans cette affaire, l'Occident s'était honteusement déconsidéré, puisse que toutes les mesures contre les opposants ont été annulées aussi bien par la justice internationale que par les tribunaux anglais, français et américains. Quant à la prétendue amélioration des libertés en Iran sous la présidence Khatami, elle fut pratiquement nulle, l'utilisation à grande échelle de la peine de mort, la poursuite des opposants, les assassinats, la torture n'ayant pas cessé. Enfin on s'est aperçu que, pendant la période Khatami, l'Iran avait, à bas bruit, continué de s'équiper en nucléaire à des fins militaires. Personne ne s'en serait aperçue si les opposants au régime (ceux-là mêmes que nous persécutions son en Occident) n'avaient, en 2002, rendu publique l'existence des centrales de Arak et Natanz.
Hélas, ce précédent ne nous a pas servi de leçon. Mais il sert de modèle pour la nouvelle opération de séduction à laquelle se livre aujourd'hui le régime des mollahs. Sauf que cette fois, il s'agit d'amadouer ouvertement les occidentaux à propos du dossier nucléaire pour faire oublier la violation systématique des libertés et la politique d'exportation de la révolution en Irak, en Syrie et ailleurs.
A cette fin, le nouveau président a été très habilement choisi. J'ai bien écrit "choisi ". En Iran, en effet, c'est une commission nommée et étroitement contrôlée par le guide suprême qui présélectionne les candidats aux élections. Certains ont été écartés parce que trop populaires. D'autres ont été retenus parmi les plus rétrogrades et, enfin, Rohani qui a pu passer ainsi pour modéré. Il a, comme prévu, été élu. Certes, le parlement européen a souligné que cette élection " ne s'était pas déroulée dans le respect des normes démocratiques ". Néanmoins, comme prévu, la manoeuvre frauduleuse a parfaitement réussi : l'Occident est sous le charme. On s'imagine déjà signer un traité sur le nucléaire et reprendre de fructueuses relations commerciales.
Sauf qu'agir ainsi serait, pour les démocrates, fermer volontairement les yeux sur une situation qui n'a pas cessé être intolérable. Et ce, sans même être sûr d'obtenir quoi que ce soit. Dans une récente déclaration, sans doute à usage d'Iraniens de l'intérieur, le guide suprême a d'ailleurs annoncé qu'il ne renoncerait à rien de ses conquêtes en matière nucléaire.
Depuis l'élection de Rohani, les exécutions capitales n'ont pas diminué. Le secrétaire général de l'ONU écrit que celui-ci " a échouée à concrétiser ses promesses de campagne pour une plus grande liberté d'expression". Il y a même eu, toujours selon l'ONU, " recrudescence des exécutions" dont sont victimes de nombreux mineurs au moment des faits qui leur sont reprochés. En même temps qu'il tient des propos conciliants sur l'usage des réseaux informatiques et sur l'accès à l'information, le régime fait détruire les paraboles de télévision et continue de persécuter les usagers d'Internet et les journalistes.
Sans doute par provocation, l'Iran vient de désigner pour le représenter à l'ONU comme ambassadeur, un individu auquel la justice italienne reproche d'avoir coordonné, à Rome en 1993, l'assassinat d'un opposant. Les USA, qui font grief à cet ambassadeur terroriste d'avoir participé à la prise d'otages à l'ambassade américaine de Téhéran en 1979, lui ont, quant à présent, refusé tout visa.
Enfin du côté iranien, l'accueil fait récemment aux délégations étrangères à Téhéran provoque des réactions violentes d'hostilité si les visiteurs font mine de s'intéresser aux droits de l'homme. C'est ainsi que Mme Ashton, de passage à Téhéran, avait, il y a peu, reçu à l'ambassade d'Autriche, deux femmes, une avocate longtemps incarcérée et la mère d'un jeune blogueur mort sous la torture. Lorsque cette entrevue a été connue, le gouvernement iranien a annoncé qu'il ne tolérerait plus désormais qu'on s'intéresse aux droits de l'homme sur son territoire, sinon il prendrait des mesures de rétorsion. Il a d'ores et déjà prévu que des agents des services secrets suivraient en permanence les délégations étrangères. De ce fait, une délégation parlementaire des Pays-Bas vient, sagement, de renoncer à se rendre à Téhéran. Tout récemment, le parlement suisse a annulé un voyage.
La situation catastrophique des droits de l'homme en Iran a fini par mobiliser le parlement européen. Dans une résolution en date du 3 avril 2014, ce Parlement prend acte des espoirs qu'il fonde sur les négociations en matière nucléaire mais déplore la situation des droits de l'homme en Iran "particulièrement au vu des allégations répandues de torture, de procès inéquitables - notamment d'avocats et de militants des droits de l'homme - et d'impunité pour les violations de ces droits". Le Parlement se dit " alarmé par le grand nombre d'exécutions en 2013 et 2014". Il observe que la plupart des exécutions de 2013 ont eu lieu pendant les cinq derniers mois de l'année, c'est-à-dire depuis l'élection de Rohani. Enfin, le Parlement demande que toute future délégation de ce parlement en Iran s'efforce " de rencontrer des membres de l'opposition politique et des militants de la société civile et de rencontrer des prisonniers politiques".
Dans ces conditions, le déplacement de sénateurs français les amènera à demander au pouvoir iranien de visiter les prisons, ce qu'il n'autorisera certainement pas, et à se plier aux diktats du régime. Leur présence servira surtout et même uniquement de faire valoir à celui-ci. Certes, il peut être possible d'essayer de voir des opposants. Mais ce serait faire courir des risques bien réels à ceux-ci et à leurs familles. Bien entendu les sénateurs français pourraient prendre l'initiative d'assister à une exécution capitale publique puisque celles-ci sont généralement publiques, et manifester leur désaccord. Mais, à la vérité, je doute que notre ambassadeur les laisserait ainsi être courageux jusqu'à l'imprudence. »
La semaine de l'Allier, 24 avril 2014

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