LeTemps (Suissse) - Le 12 décembre, l’Arabie saoudite a autorisé pour la première fois des femmes à assister à un match de football.
Ce n’est toujours pas possible en Iran, malgré les manifestations de militantes. «Le Temps» a rencontré l’une d’elles.
Le 12 janvier 2018, Al-Ahli a battu Al-Batin 5-0 au King Abdullah Sports City stadium de Djeddah. L’ancienne équipe de Christian Gross pouvait compter ce jour-là sur un public inhabituel. Pour la première fois, des femmes étaient autorisées dans un stade en Arabie saoudite. Dans quelques mois, elles pourront même s’y rendre en voiture.
De l’autre côté du golfe Persique, les femmes iraniennes n’ont toujours pas cette chance. Les stades leur ont progressivement été interdits après la révolution islamiste de 1979. Elles n’ont par exemple plus pu assister au «Surkhabi», le derby entre Persepolis et Esteghlal qui enflamme Téhéran, depuis le 5 octobre 1981. «Lorsque j’ai vu les images des Saoudiennes, j’étais très heureuse pour elles mais d’un autre côté, je pensais à mes amies et au fait que nous sommes toujours maintenues à l’écart des événements sportifs en Iran. Un jour, ce sera notre tour», postait @OpenStadiums le 14 janvier sur Twitter.
Situation ubuesque
Ce compte anonyme est tenu par une militante d’un genre un peu particulier. Une femme qui se bat pour le simple droit de pouvoir assister à des compétitions sportives. Le Temps a pu la rencontrer l’an dernier à Genève. Elle nous fut présentée sous un pseudo, Sara, avec interdiction de la photographier, question de sécurité.
Ce compte anonyme est tenu par une militante d’un genre un peu particulier. Une femme qui se bat pour le simple droit de pouvoir assister à des compétitions sportives. Le Temps a pu la rencontrer l’an dernier à Genève. Elle nous fut présentée sous un pseudo, Sara, avec interdiction de la photographier, question de sécurité.
Avec ses joues rondes, son sourire avenant et sa mèche recouverte d’un foulard aux couleurs vives, Sara ressemble plus à une matriochka qu’à une agitatrice. Très vite pourtant, on devine la force et le courage derrière la bonhomie. Et aussi pas mal d’humour lorsqu’elle nous résume l’ubuesque de sa situation. «En Iran, j’ai le droit d’aller au cinéma, qui est un lieu mixte, mais pas dans un stade. Je peux regarder du sport à la télévision, mais le sport féminin n’est pas diffusé. J’ai le droit d’aller à la Coupe du monde mais pas d’acheter des billets, qui sont boycottés en tant que produits américains.»
La parade du déguisement
La revendication des femmes d’assister aux matchs trouve un large écho dans la société iranienne. En 2006, le réalisateur Jafar Panahi y a même consacré un film (Hors Jeu). Il faut dire que la thématique est riche en situations absurdes. Fin décembre, le quotidien Hamshahri a publié en une la photo d’une jeune femme déguisée en homme (avec barbe au cirage), assistant à un match de l’équipe de Persepolis à Ahvaz, dans le sud du pays. La scène fait immédiatement penser à La Vie de Brian, parodie biblique des Monty Python où des femmes se munissent de fausses barbes (et de grosses voix) pour assister à des lapidations.
La revendication des femmes d’assister aux matchs trouve un large écho dans la société iranienne. En 2006, le réalisateur Jafar Panahi y a même consacré un film (Hors Jeu). Il faut dire que la thématique est riche en situations absurdes. Fin décembre, le quotidien Hamshahri a publié en une la photo d’une jeune femme déguisée en homme (avec barbe au cirage), assistant à un match de l’équipe de Persepolis à Ahvaz, dans le sud du pays. La scène fait immédiatement penser à La Vie de Brian, parodie biblique des Monty Python où des femmes se munissent de fausses barbes (et de grosses voix) pour assister à des lapidations.
La supportrice grimée se prénomme Shabnam et a revendiqué son acte dans le journal local. «Lorsque je levais les bras, les quelque vingt hommes autour de moi ont compris que j’étais une femme, mais ils m’ont fait signe de la tête comme pour me rassurer qu’ils ne me dénonceraient pas. Il n’y a pas eu la moindre remarque ni hostilité», a-t-elle expliqué.
Surenchère religieuse
Une autre vidéo postée le 18 décembre 2017 par @OpenStadiums sur Twitter montre une jeune femme du nord du pays grimper sur les épaules d’un ami pour s’asseoir sur le mur d’enceinte et suivre un match de football. Ce qui frappe, c’est la bienveillance, voire le désintérêt, des témoins masculins de la scène. Le téléphone qui filme semble les importuner plus que la présence de cette femme. «La société est prête à ce changement, assure Sara. Le problème en Iran, c’est qu’il y a une surenchère constante entre les différentes factions religieuses. C’est à celui qui en fera le plus.»
Une autre vidéo postée le 18 décembre 2017 par @OpenStadiums sur Twitter montre une jeune femme du nord du pays grimper sur les épaules d’un ami pour s’asseoir sur le mur d’enceinte et suivre un match de football. Ce qui frappe, c’est la bienveillance, voire le désintérêt, des témoins masculins de la scène. Le téléphone qui filme semble les importuner plus que la présence de cette femme. «La société est prête à ce changement, assure Sara. Le problème en Iran, c’est qu’il y a une surenchère constante entre les différentes factions religieuses. C’est à celui qui en fera le plus.»
Au fil des années, la justification – le terme de «prétexte» serait plus approprié – de l’interdit a évolué: les femmes devaient être protégées du comportement vulgaire des hommes dans les stades, les femmes ne devaient pas voir des hommes en short (qu’elles peuvent voir à la télévision), les stades ne sont pas conçus pour accueillir des femmes. «L’an dernier, hommes et femmes étaient réunis dans un stade pour un meeting du président Rohani. Ce jour-là, les infrastructures ne posaient pas de problème», ironise Sara.
La frilosité des fédérations internationales
Quelques mois plus tard, en septembre 2017, des femmes ont bien pu entrer dans le stade Azadi et assister au match Iran-Syrie, qualificatif pour la Coupe du monde 2018. Il s’agissait de Syriennes, en vertu de la réglementation FIFA. Quelques Iraniennes avec drapeau syrien avaient réussi à se glisser dans le lot. Et deux députées furent invitées, en signe d’ouverture. «En Iran, on dit non d’abord et on discute ensuite. C’est comme ça… Mais il ne faut pas baisser les bras, insister, continuer de mettre la pression.»
Quelques mois plus tard, en septembre 2017, des femmes ont bien pu entrer dans le stade Azadi et assister au match Iran-Syrie, qualificatif pour la Coupe du monde 2018. Il s’agissait de Syriennes, en vertu de la réglementation FIFA. Quelques Iraniennes avec drapeau syrien avaient réussi à se glisser dans le lot. Et deux députées furent invitées, en signe d’ouverture. «En Iran, on dit non d’abord et on discute ensuite. C’est comme ça… Mais il ne faut pas baisser les bras, insister, continuer de mettre la pression.»
Si ces anecdotes prêtent à sourire, la répression peut être sévère. «En 2014, 20 femmes ont été arrêtées pour avoir assisté à un match de volley-ball», rappelle Sara, qui aimerait que les grandes fédérations sportives internationales, la FIFA en tête, aillent enfin plus loin que les déclarations de principe et les belles campagnes publicitaires. «Si la FIFA menaçait l’Iran de l’exclure de la Coupe du monde aussi longtemps que les femmes ne seront pas admises dans les stades, cela pourrait se régler très vite.»
La hantise de la subversion
La fédération internationale de volley-ball, un sport très populaire en Iran, eut ce courage en 2015. «Il y a eu quelques ouvertures et nous avons été autorisées à assister à quelques matchs de volley. La télévision a montré des femmes qui avaient retiré leur foulard dans le stade et les mollahs ont crié au scandale, alors ils ont remis l’interdiction. Le gouvernement craint aussi que des femmes voient à la télévision d’autres femmes non voilées, que le stade devienne un lieu de revendication politique.»
La fédération internationale de volley-ball, un sport très populaire en Iran, eut ce courage en 2015. «Il y a eu quelques ouvertures et nous avons été autorisées à assister à quelques matchs de volley. La télévision a montré des femmes qui avaient retiré leur foulard dans le stade et les mollahs ont crié au scandale, alors ils ont remis l’interdiction. Le gouvernement craint aussi que des femmes voient à la télévision d’autres femmes non voilées, que le stade devienne un lieu de revendication politique.»
N’est-ce pas le cas? «Si, reconnaît Sara. Au début, je manifestais juste parce que je voulais avoir le droit de voir du sport. Je n’avais pas d’autre revendication et je ne me sentais pas particulièrement féministe. Avec le temps, la situation est devenue tellement absurde que oui, bien sûr, aujourd’hui l’enjeu est plus grand qu’entrer ou non dans un stade.»
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