Amnesty International, le 28 mai 2019 - Imaginez que vous êtes une femme menant une vie relativement normale. Vous prenez le métro ou le bus pour vous rendre au travail ou à l’université.
Vous passez du temps avec vos ami·e·s. Peut-être avez-vous les moyens de disposer d’un smartphone et aimez-vous diffuser des selfies sur les réseaux sociaux. Peut-être avez-vous parfois la chance de vous promener sur la plage et de sentir l’air marin dans vos cheveux.
Maintenant, imaginez qu’avant de sortir de chez vous et de faire l’une ou l’autre de ces choses vous deviez prendre le temps de vérifier que vos cheveux sont correctement cachés par un foulard et que vos membres sont couverts.
Bien que cela puisse sembler extrême, vous risquez de subir de graves conséquences si vous ne le faites pas. Vous savez que, dès que vous quitterez votre domicile, votre corps et vos vêtements seront jaugés par des étrangers. Vous devrez vous soumettre à des « contrôles de moralité » : des agents de l’État jugeront si votre tenue est conforme ou non au code vestimentaire strict qui s’applique aux femmes. Si vous ratez le test, vous risquez d’être arrêtée, voire torturée et condamnée à une peine d’emprisonnement ou de flagellation.
Alors chaque jour, avant de sortir de chez vous, vous devez décider des risques que vous êtes prête à prendre. Souhaitez-vous exercer votre liberté et porter ce que vous voulez, ou ferez-vous le choix de la sécurité pour éviter d’être arrêtée, agressée ou interdite d’entrée sur votre lieu de travail ou à l’université ?
Cette histoire n’est pas une dystopie
Elle en a peut-être l’apparence mais elle est bien réelle. C’est la réalité de millions de femmes et de filles en Iran, où l’État exerce un contrôle fort sur le corps des femmes.
En vertu de la législation imposant le port du voile, les femmes et les filles – dès l’âge de sept ans – sont obligées de couvrir leurs cheveux d’un foulard. Celles qui ne le font pas sont traitées comme des criminelles.
La police des mœurs surveille l’ensemble de la population féminine, soit 40 millions de femmes et de filles. Ses agents parcourent la ville en voiture pour examiner la tenue des femmes : ils évaluent scrupuleusement le nombre de mèches de cheveux qu’elles laissent apparaître, la longueur de leur pantalon et de leur manteau, et la quantité de maquillage qu’elles ont appliquée.
Le fait d’être vue en public sans foulard peut entraîner diverses sanctions : arrestation, peine d’emprisonnement, flagellation ou amende, au seul motif que l’intéressée a exercé son droit de choisir comment s’habiller.
Même lorsque les femmes couvrent leurs cheveux d’un foulard, elles peuvent encore être considérées comme en infraction à la législation sur le voile obligatoire si quelques mèches dépassent ou si leurs vêtements sont jugés trop colorés ou trop près du corps. Il existe d’innombrables récits de femmes giflées par la police des mœurs ou rouées de coups de matraque et jetées dans des fourgons en raison de leur tenue.
Cependant, la surveillance du corps des femmes n’est pas l’apanage de l’État. La législation abusive, discriminatoire et dégradante qui impose le port du voile permet non seulement aux agents de l’État mais aussi aux malfrats et aux membres de groupes d’auto-défense qui se sentent le droit et le devoir de faire respecter les valeurs de la République islamique de harceler et d’agresser des femmes en public. Ainsi, les femmes et les filles sont confrontées quotidiennement, au hasard des rencontres, à des étrangers qui les battent ou les aspergent de gaz poivre, les traitent de « putes » et les obligent à baisser complètement leur foulard pour que toute leur chevelure soit couverte.
Un mouvement courageux pour les droits des femmes
Ces dernières années, un mouvement grandissant contre le port obligatoire du voile a émergé en Iran ; des femmes et des filles se livrent courageusement à des actes de défiance. Debout dans des lieux publics, elles agitent silencieusement leur foulard au bout d’un bâton ou diffusent des vidéos où on les voit dans la rue, la tête découverte – chose que beaucoup d’entre nous considèrent comme normale.
Des hommes ont aussi rejoint le mouvement, ainsi que des femmes qui portent le hijab par choix. En effet, le mouvement revendique le droit de choisir quoi porter sans craindre le harcèlement, les violences, les menaces ni l’emprisonnement.
Des hommes ont aussi rejoint le mouvement, ainsi que des femmes qui portent le hijab par choix. En effet, le mouvement revendique le droit de choisir quoi porter sans craindre le harcèlement, les violences, les menaces ni l’emprisonnement.
La force de ce mouvement terrifie les autorités iraniennes, qui ont réagi en lançant une répression sans merci. Depuis janvier 2018, elles ont arrêté au moins 48 défenseur·e·s des droits des femmes, dont quatre hommes. Certaines de ces personnes ont été torturées et condamnées à des peines d’emprisonnement ou de flagellation à l’issue de procès manifestement iniques.
Traiter comme des criminelles les femmes et les filles qui refusent de porter le hijab est une forme de discrimination extrême. La législation imposant le port du voile bafoue une multitude de droits, notamment les droits à l’égalité, à la vie privée et aux libertés d’expression et de croyance. Au bout du compte, elle est dégradante pour les femmes et les filles, qu’elle prive de leur dignité et de leur estime de soi.
Des défenseur·e·s des droits des femmes en détention
Parmi les nombreux et courageux défenseur·e·s des droits des femmes qui s’opposent à la législation imposant le port du voile figure Nasrin Sotoudeh, une éminente avocate spécialiste des droits humains. En mars 2019, elle a été déclarée coupable à l’issue de deux procès manifestement iniques et condamnée au total à 38 ans et six mois de prison, ainsi qu’à 148 coups de fouet. Certaines des charges retenues contre elle, notamment l’« incitation à la corruption et à la prostitution », sont liées au fait qu’elle a représenté des femmes arrêtées pour avoir protesté contre la législation en question, s’est elle-même opposée au port obligatoire du voile et a retiré son foulard en prison. Elle doit purger 17 ans de réclusion.
Parmi les nombreux et courageux défenseur·e·s des droits des femmes qui s’opposent à la législation imposant le port du voile figure Nasrin Sotoudeh, une éminente avocate spécialiste des droits humains. En mars 2019, elle a été déclarée coupable à l’issue de deux procès manifestement iniques et condamnée au total à 38 ans et six mois de prison, ainsi qu’à 148 coups de fouet. Certaines des charges retenues contre elle, notamment l’« incitation à la corruption et à la prostitution », sont liées au fait qu’elle a représenté des femmes arrêtées pour avoir protesté contre la législation en question, s’est elle-même opposée au port obligatoire du voile et a retiré son foulard en prison. Elle doit purger 17 ans de réclusion.
En avril 2019, peu après la condamnation de Nasrin Sotoudeh, sa mère Yasaman Aryani, Monireh Arabshahi et Mojgan Keshavarz ont été arrêtées après avoir diffusé une vidéo qui a fait le tour d’Internet à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. On les voit se déplacer sans foulard dans une rame de métro à Téhéran et distribuer des fleurs aux passagères. « Un jour viendra où les femmes n’auront plus à lutter », déclare Monireh Arabshahi alors que Yasaman Aryani tend une fleur à une femme portant un hijab, avant d’ajouter qu’elle espère qu’elles marcheront un jour dans la rue côte à côte, l’une sans le hijab et l’autre avec. Des sources indiquent que cette vidéo est à l’origine des charges retenues contre Yasaman Aryani et Monireh Arabshahi, qui portent notamment sur la « propagande contre le régime » et l’« incitation à la corruption et à la prostitution ».
Vida Movahedi a été condamnée à un an de prison parce qu’elle a protesté pacifiquement contre le voile obligatoire. Arrêtée en octobre 2018 pour avoir manifesté seule en se tenant debout, sans hijab, au sommet d’une grande structure en forme de dôme au milieu de la place de la Révolution, à Téhéran, et en agitant des ballons colorés, elle se trouve encore en détention. Elle figure parmi les prisonniers et prisonnières que le guide suprême de l’Iran a graciés en février 2019, à l’occasion du 40e anniversaire de la révolution de 1979, mais l’administration pénitentiaire refuse de la libérer.
Le mari de Nasrin Sotoudeh, Reza Khandan, a été arrêté en septembre 2018, après avoir publié des messages sur Facebook au sujet des violations des droits humains en Iran, y compris les poursuites engagées à l’encontre de femmes qui protestaient contre la législation imposant le port du voile. En janvier 2019, Farhad Meysami et lui ont été condamnés à des peines d’emprisonnement parce qu’ils soutenaient le mouvement en faveur des droits des femmes. Déclarés coupables tous les deux de « propagande contre le régime » et de « rassemblement et collusion en vue de commettre des infractions compromettant la sécurité nationale », ils ont été condamnés à six ans de prison.
Participez à notre action
Le contrôle exercé sur le corps et la vie des femmes en Iran ne se limite pas aux choix vestimentaires. Cependant, c’est l’aspect le plus visible et l’un des plus choquants de l’oppression plus générale dont les femmes sont victimes, et il attise les violences à leur égard.
C’est pourquoi Amnesty International met en lumière les actions courageuses des femmes et des hommes qui font campagne pour l’abrogation de la législation imposant le port du voile et demande aux autorités iraniennes de libérer les défenseur·e·s des droits des femmes qui sont encore derrière les barreaux.
Soutenez les millions de femmes et de filles iraniennes qui continuent à lutter pour leurs droits en partageant ce billet de blog.
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