Le Monde, le 24 mai 2019 - Arrêté en 2013 et emprisonné pendant deux ans, cet artiste veut continuer la musique coûte que coûte dans son pays, malgré les risques et la répression que subissent les artistes.
Le 5 octobre 2013, le musicien Mehdi Rajabian et son frère Hossein, documentariste, sont arrêtés par les gardiens de la révolution, l’organisation militaire sous autorité du Guide suprême iranien. Mehdi Rajabian est accusé d’avoir insulté les valeurs sacrées de l’islam et diffusé de la propagande contre le système. On ne lui accorde pas d’avocat pour sa défense.
Avec sa maison de disques, créée en 2008, Barg Music, Mehdi Rajabian a milité pour les droits de l’homme et aidé à la diffusion de musiciens indépendants. Il a aussi fait chanter des femmes, ce qui est strictement interdit – en Iran, elles n’ont pas le droit de chanter en public. Alors qu’il écrivait un album sur l’histoire de son pays, il a été arrêté, sa compagnie et son matériel ont été saisis. Condamné à six années de prison, il tente de dénoncer les conditions de sa détention par une grève de la faim de trente jours, qui finit par l’envoyer à l’hôpital.
Après deux années dans la prison d’Evin, à Téhéran, la capitale, dont trois mois à l’isolement, il vit aujourd’hui en liberté conditionnelle, chez lui, à Sari, dans le nord du pays. Il a interdiction, pour toujours, de faire de la musique, mais aussi d’étudier, de créer une entreprise ou de quitter le pays. S’il est arrêté à nouveau, il purgera le reste de sa peine (jusqu’en octobre), en plus d’une nouvelle condamnation.
Conscient des risques et malgré son isolement depuis que « les musiciens et producteurs iraniens ont peur de travailler » avec lui, il a décidé de continuer : « Je veux me battre pour la liberté, même si ça doit me renvoyer en prison. »
C’est dans ces conditions qu’est né l’album Middle Eastern, imaginé en prison et sorti en mars chez Sony Music après un an de travail. Une centaine de musiciens, qui ont tous connu la pauvreté, la guerre, la prison, les violations des droits humains, et issus de douze pays du Moyen-Orient, y ont collaboré.
Cet album aux accents nostalgiques a une histoire singulière ; l’une des chansons a été enregistrée pendant un bombardement et une autre par un migrant qui a fui sur un bateau.
La photo de la pochette est signée Reza Deghati, photojournaliste franco-iranien mondialement connu qui le soutient. Son histoire est la même : prisonnier politique, torturé, enfermé dans la même prison d’Evin pendant trois ans pour son travail en faveur des droits humains. « Pour sauver sa vie », comme il l’explique au Monde, Reza vit depuis quarante ans en exil, en France et salue le courage de Mehdi Rajabian : « Il risque gros. Quand la répression est très forte, les artistes se mettent torse nu devant les balles. C’est ce qu’il fait. »
Une artiste et journaliste kurde de Turquie, Zehra Dogan, a rejoint ce projet. Elle aussi a été prisonnière politique, pendant deux ans, en Turquie. Elle va réaliser onze peintures, une pour chaque morceau de cet album dédié à la paix. Mehdi Rajabian et Zehra Dogan ont tous deux été distingués par le prix des artistes en rébellion décerné par le Réseau international de journalisme d’investigation (GIJN) en 2017.
L’Iran est un pays où la liberté d’expression, notamment des artistes, est très encadrée et durement réprimée. Pour Reza Deghati :
« Il y a deux formes d’artistes en Iran. Ceux qui se montrent prorégime, on les appelle “celebrities”, terme devenu l’équivalent de “traître aux ordres du gouvernement”. Tous les festivals et les galeries leur sont ouverts. Ceux qui ne sont pas spécialement militants et les contestataires sont en grande partie en prison ou assassinés. »
Dans leurs rapports sur les droits humains dans le pays, les ONG Human Rights Watch et Amnesty International évoquent arrestations arbitraires, procès inéquitables, mauvais traitements et actes de torture. Plus de 7 000 militants, manifestants, étudiants, journalistes, artistes et autres défenseurs de la liberté d’expression ont été emprisonnés depuis 2018, selon Amnesty International.
Plusieurs de ces prisonniers d’opinion ont, comme Medhi Rajabian, commencé une grève de la faim pendant leur détention. « Il n’y a pas que les militants qui sont attaqués. Il s’agit simplement de faire taire les personnes qui s’expriment librement, comme les artistes. Ils sont en train de fermer tous les espaces d’expression critiques et libres », s’alarme Katia Roux, chargée de plaidoyer libertés à Amnesty International France.
Pour elle, « ce n’est pas un hasard que cela arrive maintenant » : la répression semble devenir d’autant plus forte que la population aspire à plus de liberté. Le pays a connu, en 2017 et 2018, une série de manifestations contre le pouvoir en place. Elles ont été brutalement réprimées, faisant plusieurs dizaines de morts.
En août 2018, le mouvement iranien #MyCameraIsMyWeapon (#MaCaméraMonArme) a été suivi dans le monde entier. Il invitait les femmes à filmer les agressions dont elles étaient victimes, de la part de passants ou des autorités, lorsqu’elles sortaient sans voile ou que leur voile était jugé mal ajusté, puis à les partager sur les réseaux sociaux. La condition des femmes au Moyen-Orient, c’est justement le sujet que Mehdi Rajabian veut évoquer dans son prochain album.
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