CSDHI - Iran Human Rights Monitor a rapporté, le 22 mai, un raid, en plein Ramadan, qui a eu lieu dans un restaurant situé sur le campus d’une université de la « deuxième ville » iranienne, Mashhad.
Le reportage était accompagné d'une vidéo postée sur les médias sociaux montrant des étudiants et des clients s’enfuyant sur les toits pour échapper aux forces de sécurité. Tous ceux qui ont été capturés lors du raid feront probablement l'objet de poursuites pour le délit d’avoir mangé pendant la journée, durant le mois sacré du Ramadan. Les autorités avaient précédemment mis en garde contre de telles violations de la pratique islamique, soulignant que quiconque aurait été attrapé, serait arrêté et puni en vertu de la loi.
Le raid sur le campus n’a pas été le seul cas signalé par les autorités sur cette menace. Ce n'était pas non plus la seule source de vidéo diffusée sur des sites de réseaux sociaux interdits en République islamique. Le rapport de l'IHRM incluait une autre publication de vidéo publiée sur Twitter montrant « les forces de sécurité officielles ayant recours à la force brutale » lors de l'arrestation d'un homme « vu en train de manger en public pendant les heures de jeûne ». De telles arrestations ont lieu chaque année, mais il y a lieu de croire que la période actuelle du Ramadan donnera lieu à des incidents plus nombreux et plus dramatiques en raison de la vaste intensification des efforts déployés par le régime iranien pour renforcer ses principes islamistes révolutionnaires.
En plus de menacer de poursuites, les personnes qui ne respectent pas le jeûne du jour, les responsables gouvernementaux et les religieux ont également émis des avertissements beaucoup plus larges. Parmi ceux-ci figurent des déclarations insistant sur les restrictions concernant la diffusion de musique en direct ou enregistrée là où elle peut être entendue par le public ainsi que des déclarations appelant à une plus grande conformité au code vestimentaire islamique du pays. Ces avertissements propres au Ramadan interviennent à la suite des efforts à long terme déployés par la police morale et les milices civiles pour dissuader les femmes de porter des hijabs amples que les extrémistes jugent insuffisamment conformes aux lois sur le voile obligatoire.
Les conflits entre le public et le régime sur ces questions ont éclaté plus tôt en mai lorsque des étudiants de l’Université de Téhéran ont protesté contre la révision des directives universitaires et le déploiement de patrouilles de moralité supplémentaires pour contrôler le « hijab incorrect » et d’autres violations présumées des lois religieuses parmi les étudiants. Ces manifestations ont rapidement mené à des affrontements avec des contre-manifestants intransigeants, apparemment dirigés par les pasdarans de sa milice civile, le Basij.
Les patrouilles de moralité sur le campus ressemblent à celles qui existent dans tout le pays et se voient généralement attribuer plus de personnel et un mandat plus large au moment du Ramadan. Comme l'indique le rapport de l'IHRM, le pouvoir judiciaire iranien a demandé à ces patrouilles d'être à l'affût des signes, même subtils, d'une violation de la piété religieuse. Le porte-parole du pouvoir judiciaire, Gholam Hossein Esmaili, aurait notamment déclaré que « les hommes doivent éviter de regarder directement les passantes ». Il va de soi que s’ils se font prendre à le faire, les hommes risquent d’être ouvertement et légalement harcelés par la police de la moralité des volontaires civils fondamentalistes.
« Toute personne ignorant les instructions du pouvoir judiciaire pendant le Ramadan commettra un délit et devrait s'attendre à ce que les unités de la force publique la punissent », a conclu M. Esmaili. Toutefois, comme le prouvent les affrontements liés au hijab qui ont eu lieu avant le mois saint, les citoyens iraniens peuvent difficilement présumer que ces mesures de contrôle agressif se limiteront au Ramadan. En fait, de nombreux experts des affaires iraniennes ont prédit une augmentation importante des activités répressives exercées par le système judiciaire, à la suite d'un changement de direction survenu il y a environ deux mois.
En mars, le Guide suprême Ali Khamenei a nommé Ebrahimi Raisi en remplacement de Sadeq Larijani, qui a été rétrogradé à un poste à la tête d’une des fondations religieuses influentes de l’Iran. Bien que Larijani ait acquis une solide réputation d’intransigeant et d’application stricte de la loi religieuse, son remplaçant devrait faire preuve d’encore plus de mépris pour les préoccupations nationales et internationales suscitées par le bilan du régime en matière de droits humains. En effet, entre autres abus dans son bilan en tant que clerc et juge, Raisi a joué un rôle important dans l’exécution en masse de quelques 30 000 prisonniers politiques au cours de l’été 1988.
La nomination de Raisi à la tête du pouvoir judiciaire a été largement reconnue comme la preuve d'un virage stratégique vers une plus grande répression et un durcissement identitaire du Guide suprême. Les déclarations, actions et nominations ultérieures de Khamenei ont renforcé cette perception. Par exemple, IranWire a indiqué mercredi que le contre-amiral Ali Fadavi avait assumé le poste de commandant en second des pasdarans, tandis que le général de brigade Mohammad Reza Naghdi avait été nommé coordinateur adjoint de l'organisation paramilitaire.
« Avec les deux nouvelles nominations, l'ayatollah Khamenei envoie un message aux Iraniens et au monde extérieur », a déclaré IranWire dans un article précédent. « Les pasdarans seront plus bellicistes à l'intérieur et à l'extérieur de l'Iran ». L’article de mercredi a ensuite été suivi d’une citation des théories du complot diffusées par Naghdi, qui semblaient mettre en lumière les racines du virage radical du régime et son insistance sur l’adhésion stricte du public aux lois religieuses.
Qualifiant Naghdi « l'un des dirigeants iraniens les plus ignorants, égoïstes, paranoïaques et opiniâtre », IranWire lui a attribué le mérite d’avoir verbalisé une vision du conflit religieux qui est partagée par les pasdarans et le Basij dans son ensemble. Il décrit les « ennemis » étrangers de l’Iran, dirigés par les États-Unis, comme s’appuyant sur des « Iraniens immoraux et occidentalisés » pour mener une « guerre douce » contre la dictature théocratique. Sur la base de ce discours rhétorique, les autorités sont en mesure de caractériser toutes les activités progressistes et laïques d’Iraniens ordinaires dans le cadre d’une campagne coordonnée d’espionnage et de trahison, et de la réprimer en conséquence.
Plus tôt en mai, un article du blog d'IranWire indiquait des racines encore plus profondes de cette vision du monde, soulignant que le juriste du XIIIe siècle, Cheikh Ibn Taymiyya, avait ouvert la voie au développement de diverses branches de l'extrémisme islamique quand il a décrit la religion comme ayant quatre catégories d'adversaires. Ces écrits préconisent des peines sévères pour les personnes qui rejettent l'islam et pour ceux qui n’appliquent pas correctement ses pratiques. Ils appellent également à la réintégration dans la société islamiste des musulmans qui assument des « habitudes infidèles » et permettent la coexistence pacifique avec des groupes religieux « infidèles » tels que les chrétiens, à condition que les dirigeants musulmans occupent une position dominante.
Une grande partie de cela est reflétée dans la structure gouvernementale et les lois de la République islamique. Les groupes religieux traditionnels tels que les chrétiens et les zoroastriens sont officiellement tolérés en vertu de la constitution nationale, mais jouissent de droits moindres, sont fréquemment victimes de persécution et ne sont pas exemptés des exigences religieuses du régime. Les femmes en Iran sont tenues de porter le hijab, quelle que soit leur religion ou leur nationalité. Et comme le montre l'expansion des patrouilles morales chaque année, les non-musulmans peuvent être punis par la loi pour leur non-respect des traditions en lesquelles ils ne croient personnellement pas. De plus, se convertir à une autre religion musulmane est illégal et potentiellement punissable de mort.
Alors que ces « apostats » représentent l’une des catégories de l’ennemi de Taymiyya, un autre groupe est constitué de ceux qui ne renoncent pas à leur foi musulmane mais qui sont pris en train de manger pendant le Ramadan, ou à retirer leur hijab ou à se livrer à des modes de vie « occidentaux ». Et à mesure que ces modes de vie deviennent de plus en plus populaires, les autorités du régime montrent peu de différenciation parmi leurs répressions à l’égard des différentes catégories d’adversaires. Dans chaque cas, Téhéran s’efforce de déployer des ressources plus sophistiquées contre eux, qu’ils se trouvent chez eux ou à l’étranger.
Le Centre pour les droits de l'homme en Iran a souligné lundi un aspect de cette tendance, à savoir l'utilisation croissante de logiciels malveillants comme moyen d'espionner les groupes de minorités ethniques et religieuses et ceux qui défendent leurs intérêts. Une enquête a identifié 74 personnes touchées par des cyberattaques au cours de l’année écoulée, en Iran, aux États-Unis et en Europe. Selon toute vraisemblance, le chiffre réel est encore plus élevé, car certains incidents peuvent ne pas avoir été rendus publics et certaines victimes peuvent ne pas savoir que des pirates iraniens ont tenté de voler leurs données personnelles.
Le CDHI note que les premières attaques connues de cette campagne visaient les administrateurs du site Web officiel d'informations de la minorité religieuse des Soufis Gonabadi. Cela a coïncidé avec des affrontements entre le groupe et les forces de sécurité iraniennes en février 2018, à la suite de manifestations contre l’arrestation présumée de leur chef, Nour Ali Tabandeh. Environ un mois après cet incident, le site Web de Majzooban a reçu un courrier électronique contenant un programme malveillant capable de collecter une liste de fichiers informatiques, de prendre des captures d'écran, d'enregistrer les impressions au clavier et d'accorder un accès à distance au périphérique infecté.
Des logiciels malveillants similaires auraient été déployés contre au moins 27 cibles, la semaine dernière, toutes membres de la communauté arabe azerbaïdjanaise. Le CDHI écrit : « Le type de logiciel malveillant qui a été déployé et les personnes ciblées révèlent que les cyberattaques ont pour origine les services de sécurité du pays, qui comprennent les pasdarans (IRGC) et le ministère du renseignement ». Cela confirme une fois de plus que les institutions du régime se tournent vers des activités encore plus radicales, bien que le CDHI note également que le programme malware et la campagne sous-jacente remontent au moins à 2009.
Néanmoins, il n’y a pas de doute sur la trajectoire ascendante de ce que Iran Human Rights Monitor a décrit la semaine dernière comme une « tyrannie en ligne ». Son article sur ce phénomène indiquait une coordination accrue entre les pasdarans et les autorités cybernétiques, comme en témoigne la nomination par le Guide suprême Khamenei d’un ancien commandant en chef des pasdarans au quartier général culturel et social de Baghiyatollah, une institution qui serait chargée d'aider l'Iran à se défendre contre la prétendue « guerre douce » qui se déroule dans le cyberespace.
« Les commentaires de hauts responsables, les nominations à des postes de responsabilité et les mesures prises par les pouvoirs législatif et exécutif sont autant de signes montrant que le régime s'emploie à imposer des restrictions plus strictes aux activités en ligne et aux utilisateurs d'Internet », a déclaré IHRM.
Le même article reliait cette tendance à la récente révision des normes disciplinaires universitaires, à l’origine des manifestations de ce mois-ci à l’Université de Téhéran. Il a souligné que l'amendement d'avril interdisait « la publication de photos contraires à l'éthique » et « la perpétration d'actes immoraux dans le cyberespace », mais qu'il n'avait pas non plus défini ces termes. Cela pourrait avoir des graves conséquences pour les internautes, qui pourraient être poursuivis en justice sur la base de décisions arbitraires et capricieuses de la part des autorités chargées de l'arrestation.
Cela met en évidence des problèmes que connait bien le système de justice pénale iranien, qui peuvent avoir des conséquences pour les minorités religieuses, les convertis et les Iraniens musulmans laïcs dans le climat actuel de répression accrue. Des déclarations du responsable du pouvoir judiciaire et d'autres autorités importantes sur des sujets tels que « regarder directement les passantes » suggèrent que les pasdarans, le Basij et la police de la moralité de la nation pourraient être libres d'interpréter un certain nombre de comportements ordinaires comme des violations de la loi religieuse, et de poursuivre les soi-disant délinquants pour avoir mené une « guerre douce » contre la République islamique.
Source : INU
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