La candidature d'Ebrahim Raïssi à l'élection présidentielle du 19 mai en Iran « représente un grand mépris pour les droits humains, les droits du peuple iranien et des familles des personnes tuées dans les années 1980 », a déclaré Shadi Sadr, une experte en droit international au Centre pour les droits humains en Iran (CHRI).
En 1988, Raïsssi faisait partie d'un panel de quatre hommes - avec Hosseinali Nayeri, Morteza Eshraghi et Mostafa Pourmohammadi - qui ont ordonné les exécutions extrajudiciaires de milliers de prisonniers politiques.
« Avec la candidature de Raïssi, le régime envoie un message clair, à savoir, qu'il ne se soucie pas des crimes contre l'humanité et qu’il n’a pas non plus l'intention d'enquêter sur les crimes commis en 1988 et, qu’en fait, il installera les responsables du massacre aux postes gouvernementaux les plus élevés du pays », a déclaré Sadr, qui a été basée en Iran jusqu'en 2009.
« En vertu du droit international, ce qui est arrivé aux victimes du massacre de 1988 relève de la « disparition forcée » parce que les lieux où ont été commis les crimes et les lieux où les victimes ont été enterrées n'ont jamais été divulgués.
« Les familles n'ont jamais été informées de quoique ce soit et les crimes ont été couverts de mensonges et de tromperies », a-t-elle ajouté.
À ce jour, personne en Iran n'a été tenu responsable des exécutions en masse.
« C'était très méprisant envers toutes les familles qui ont perdu des êtres chers dans les années 1980, en particulier en 1988, que le président Hassan Rohani nomme Mostafa Pourmohammadi au poste de ministre de la justice en 2013 », a déclaré Sadr. « À l'époque, beaucoup ont écrit des lettres à Rohani pour s'en plaindre, mais bien sûr, cela n'a rien changé ».
Instauré en 2010, Sadr dirige maintenant la Justice pour l'Iran, une organisation basée en Allemagne qui vise à « remédier et éradiquer la pratique de l'impunité dont sont habilités les fonctionnaires de la République islamique d'Iran à commettre des violations continues des droits de l'homme contre leurs citoyens et à les tenir pour responsables de leurs actions ».
L’ascension de Raïssi
Raïssi, 56 ans, est officiellement candidat à la présidence, le 14 avril 2017
Raïssi, 56 ans, est officiellement candidat à la présidence, le 14 avril 2017
Désigné par la suite comme étant le « Comité de la mort », le groupe dont il a été membre en 1988, a été créé par le fondateur du régime des mollahs, l'ayatollah Khomeiny, qui a ordonné l'exécution de milliers de prisonniers politiques après un interrogatoire par le panel.
Les victimes, qui avaient déjà été jugées et purgeaient des peines d'emprisonnement, ne savaient pas qu'elles étaient confrontées à la peine de mort alors qu'elles faisaient l'objet de procédures d'inquisition.
Raïssi a commencé sa carrière dans le système judiciaire au début des années 1980 en Iran. Il était vice-procureur de Téhéran lorsqu'il était membre de la commission de quatre hommes en 1988.
Il a été promu Chef adjoint du pouvoir judiciaire en 2004 et il a occupé le poste jusqu'en 2014, avant de devenir procureur général.
En 2016, le guide suprême, Ali Khamenei, a nommé Raïssi pour diriger Astan Qods Razavi, l'une des institutions religieuses les plus riches de l'Iran qui fonctionne efficacement comme un immense conglomérat d'affaires.
Crimes contre l'humanité« Des avocats internationaux expérimentés ont enquêté sur le massacre de 1988 et la plupart estiment qu'il s'agit d'un crime contre l'humanité et qu’il figure parmi les crimes les plus graves que le monde ait jamais connu », a déclaré Sadr.
« Si quelqu'un commet de tels crimes et bénéficie d’une immunité pour des raisons politiques dans son propre pays, il ne sera pas à l'abri de la justice aux yeux de la loi internationale », a-t-elle ajouté. « Cependant, il est difficile de poursuivre les crimes de 1988 devant les tribunaux internationaux ».
« Ce n'est pas impossible, mais le premier problème est que l'Iran n'a pas signé d'importantes conventions sur les droits humains qui incluent des mécanismes permettant de poursuivre les violateurs des droits de l'homme, à savoir la Convention des Nations Unies contre la torture, et l'Iran n'est pas membre de la Cour internationale de Justice », a-t-elle dit.
« Deuxièmement, depuis que les crimes de 1988 ont eu lieu, le droit international n'a pas beaucoup progressé et il n'existe aucun mécanisme permettant de responsabiliser les violateurs des droits de l'homme comme nous pouvons le faire aujourd'hui », a poursuivi Sadr. « Et comme les lois ne sont pas rétroactives, les crimes commis dans le passé ne peuvent être poursuivis ».
« Le rôle de Raïssi, Pourmohammadi, Eshraghi et Nayeri dans le massacre de 1988 est clair, et avec le fichier audio rendu public de la réunion de l’ayatollah Montazeri avec les quatre hommes, il ne reste plus aucun doute », a-t-elle ajouté. « Mais même s'ils voyagent à l'étranger ou résident dans d’autres pays, il sera difficile de les juger pour ce qu’il s'est passé en 1988 ».
À cette époque, le Grand ayatollah Hossein Ali Montazeri, qui était le successeur du guide suprême Khomeiny, avait déclaré au groupe : « Je crois que c'est le plus grand crime commis en République islamique depuis la révolution de 1979 et l'histoire nous condamnera pour cela... L'histoire vous décrira comme des criminels ».
Le fils de Montazeri, Ahmad, a rendu public l'enregistrement de cette conversation dans un fichier audio mis en ligne en août 2016, hissant le massacre au premier rang de la mémoire publique.
En guise de punition pour avoir publié la bande, il a été condamné à six ans de prison en 2016 par le tribunal spécial du clergé, que Raïssi a dirigé en tant que procureur en chef. Le ministère du Renseignement a également tenté de supprimer et de confisquer les enregistrements.
Ahmad Montazeri est actuellement en congé (permission temporaire) et a déclaré avoir d’autres fichiers à rendre publics quand le moment sera venu.
Si Raïssi devient président de l'Iran, il pourrait bénéficier de l'immunité contre des poursuites.
« Les lois et les conventions internationales étendent l'immunité diplomatique aux dirigeants et aux responsables politiques, et tant qu'ils restent à leurs postes, ils ne peuvent être poursuivis devant les tribunaux internationaux ou dans d'autres pays », a-t-elle déclaré.
« Ils ne peuvent pas être poursuivis même s'ils se rendent dans un autre pays en raison de leur immunité diplomatique », a-t-elle ajouté.
Reste à voir de quelle manière le passé de Raissï affectera sa campagne présidentielle.
« Vous pourriez n’être pas en mesure de poursuivre un président dont le rôle dans les violations étendues des droits de l'homme est devenu clair », a déclaré Sadr. « Néanmoins, c’est une honte pour n’importe quel pays que sa plus haute autorité soit connue comme un violateur des droits humains."
« Il y aura sans doute beaucoup d'opposition politique et de pression sur les gouvernements qui l'invitent dans leur pays », a-t-elle ajouté. « Pour quelqu'un qui possède ce genre de passé, devenir président ne sera certainement pas sans coûts ».
Source : Centre pour les droits de l'homme en Iran
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