lundi 7 mars 2016

Iran/Femmes : L’ex-Rapporteur spécial de l’ONU sur les violences faites aux femmes dénonce l’extrémisme religieux


Iran/Femmes : L’ex-Rapporteur spécial de l’ONU sur les violences faites aux femmes dénonce l’extrémisme religieux
Yakin Erturk, Rapporteur spécial de l’ONU sur les violences faites aux femmes (2003-2006), participait à la veille de la Journée Mondiale de la Femme à une conférence intitulée « Engagement pour la parité : les femmes unies contre l’intégrisme islamiste ». L’évènement se tenait en présence de Maryam Radjavi, la présidente-élue de la Résistance iranienne, et de nombreuses personnalités politiques, des intellectuels, figures éminentes et des activistes du mouvement pour l’égalité venus de 26 pays de quatre continents.
Voici le texte de son intervention :
Cela fait maintenant 37 ans qu'a eu lieu la Révolution iranienne. À ce moment-là, j'étais une jeune étudiante partie étudier aux Etats-Unis. Je me rappelle encore de ce que j'entendais à la radio : des millions de femmes iraniennes portant leur tchador en solidarité avec la révolution, défilant dans les rues, et scandant "Azadi, Azadi".


Elles criaient "Azadi" (liberté) avec le même enthousiasme. Mais l'enthousiasme fut de courte durée, car deux jours seulement avant la Journée internationale de la femme, le 8 mars, Khamenei a commencé à annoncer des mesures qui donnaient une idée de ce qui était à venir. Et nous savons ce qui est arrivé. Ce fut une déception pour la plupart d'entre nous, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Iran où nous avions investi beaucoup d'espoir dans nos appels à Azadi. En 2005, je suis retourné à l'Iran en tant que Rapporteur spécial des Nations Unies et je dois dire que j'y suis allée sur invitation du gouvernement iranien. Cela m'a donné l'occasion de voir les choses telles qu'elles se passaient en Iran.
Et je n'ai pas seulement parlé avec des fonctionnaires, mais aussi avec plusieurs acteurs de la société et des défenseurs des droits de l'homme, des organisations pour les femmes, les victimes de violence et beaucoup de jeunes femmes en attente d'exécution dans la prison d'Evine. Ce fut une expérience que je n'oublierai jamais. Et j'ai retranscrit mes observations dans un rapport au Conseil des droits de l'homme, et Mme Radjavi a fait référence à ce rapport. Je suis heureuse que le rapport ait été utile pour vos luttes.
Alors que nous continuons d'observer les développements de l'Iran avec inquiétude, je dois vous mettre en garde : l'extrémisme et le fondamentalisme ne sont pas des phénomènes nouveaux, ils ne se limitent pas à l'Iran, et n'ont pas pris fin avec l'Iran, malheureusement. Si tel était le cas, notre tâche aurait été plus simple. L'histoire des mouvements fondamentalistes remonte à bien longtemps. Et ils ne se limitent d'ailleurs pas à l'Islam. Le fondamentalisme chrétien, le fondamentalisme judaïque, l'hindouisme...
Le fondamentalisme et l'extrémisme ont donc différentes formes, tailles et apparences. Alors ayons une vision plus large pour imaginer comment nous allons faire face à ce problème. Sinon, nous allons nous enfermer dans une boîte, avec de quoi nourrir tout le contraire de ce que nous voulons faire, et vraiment encourager l'islamophobie. Ce qui est un problème majeur, au même titre que les mouvements fondamentalistes.
Nous trouvons de nombreux exemples dans l'histoire récente, incluant également le cas de l'Iran, qui a commencé avec un appel à la liberté et à l'égalité... Le printemps arabe a conduit beaucoup de jeunes femmes et hommes dans les rues avec les mêmes attentes. Pourtant, il a été sous peu coopté par des groupes extrémistes. Nous devons nous demander "pourquoi ? Et Daech bien sûr, est le principal acteur sur cette scène, le plus célèbre des extrémistes que nous avons pu voir. Je vis dans un contexte géographique où Daech ne se trouve plus aux portes de mes frontières, mais l'intérieur de mes frontières (Turquie). Et je tente d'accepter ce "pourquoi" non seulement parce que je suis terrorisée en tant qu'individu, j'ai peur pour moi-même, pour mes proches et pour les gens qui m'entourent.
Mais je me demande aussi, en tant que spécialiste des sciences sociales, "pourquoi est-ce que ces groupes sont en plein essor alors que nous avons tellement progressé dans le domaine des droits de l'homme ?". Mme Rashida Manjoo a parlé d'un système imparfait, mais tout de même assez bon, qui a fait évoluer le domaine des droits de l'homme internationaux. Alors pourquoi sommes confrontés à de nouveaux et de plus nombreux mouvements extrémistes ? Comment expliquer le fait que beaucoup de jeunes hommes et femmes de pays occidentaux vont et rejoindre Daech ? Comment expliquer le fait que des femmes intelligentes se soumettent au contrat de genre de ces groupes ? Ces questions ne sont pas simples et nous ne pouvons pas simplement les balayer d'un revers de manche.
Oui, vous pouvez dire "eh bien, ils sont ignorants, ils sont ceci, ils sont cela ...", mais je pense que c'est une échappatoire. À moins que nous ne soyons en mesure de traiter ces questions d'une manière sérieuse, notre capacité à aller de l'avant et à les contrer sera toujours incomplète. Il y a beaucoup de livres savants, mais je pense que nous devons nous pencher sur l'histoire, récente et lointaine.
D'une part, le fondamentalisme est très utile pour le pouvoir. Les puissances hégémoniques se sont maintenues en ayant recours à l'appui des groupes fondamentalistes. Le colonialisme est plein de témoignages et d'exemples de la façon dont les pouvoirs coloniaux ont soutenu et renforcé des groupes réactionnaires afin de contrôler les populations locales. En empêchant ainsi les groupes progressistes de s'immerger et de se développer. Plus récemment, de nombreux gouvernements ont soutenu des groupes fondamentalistes religieux pour lutter contre le communisme. Et regardez, le communisme est mort. Mais les fondamentalistes sont en plein essor. En 1980, il y a eu un coup d'Etat militaire en Turquie. Les généraux sont venus pour sauver la Turquie de dix années de chaos, avec la gauche et la droite se battant l'une contre l'autre. Pour écraser les groupes progressistes et de gauche, ils ont alimenté les groupes islamiques extrémistes. Et aujourd'hui, ils ont une grande voix dans mon pays.
Ce sont donc des questions importantes dont on doit être conscients. Nous pouvons considérer cette politique à court terme comme étant utile pour les objectifs immédiats, mais une fois que vous créez un monstre, vous n'avez aucun moyen de le contenir. De plus, la question palestinienne reste encore l'une des violations les plus honteuses des droits de l'homme et de l'humanité. Cela fait plus d'un demi-siècle et nous n'avons toujours pas trouvé de solution efficace à ce problème. Les gens subissent encore la diaspora. Le déplacement du peuple palestinien est une tragédie qui est seulement à laquelle nous n'avons répondu que du bout des lèvres, je le crains. Aujourd'hui, nous n'en parlons même pas, parce que maintenant nous avons d'autres sujets de préoccupation.
La pauvreté. Aujourd'hui, le monde est plus riche que jamais il ne l'a été dans l'histoire. Mais les gens meurent toujours de faim. Comment expliquer cela ? Tout cela laisse un vide à combler pour les extrémistes, auquel ils donnent des réponses. Donc, nous pouvons continuer de répondre à la question que je posais. Mon propre pays, la Turquie, est le seul pays à majorité musulmane régi par des lois laïques. La Turquie a accordé le droit de vote aux femmes et les a autorisées à être élues en 1934, dix ans avant les femmes françaises et de nombreux autres pays. Notre laïcité n’était pas parfaite, cela ne fait aucun doute. Nous avons appris au fil du temps qu'il a créé ses propres contradictions.
Et d'une certaine manière, les erreurs qui ont été faites lors de notre accession à la laïcité ont renforcé les groupes religieux. Mais la chose la plus importante est qu'il y a quelques années, encore une fois en essayant de répondre à l'extrémisme, un nouveau projet a vu le jour. L'Islam modéré. Et la Turquie a été réputée et promue comme exemple d'un islam modéré. Un observateur, un analyste a écrit : "l'islam modéré de la Turquie entraine la Turquie dans une charia modérée". Un parti qui est au pouvoir depuis 14 ans, qui a commencé dans des conditions très positives, a transformé le système en quelque chose de très autoritaire au cours des dernières années. Et la plupart des progrès que les Turcs ont faits au fil des années sont aujourd'hui menacés, en raison de cette tendance à une politique autoritaire.
Donc, comme je le disais au début de mon discours, le fondamentalisme se présente sous plusieurs formes. Parfois, dans un environnement d'apparence très libérale qui favorise les questions des droits des femmes, ces derniers sont en fait bloqués à bien des égards. Je me souviens de Beijing + 5 en 2000, qui a eu lieu à New York, au siège de l'ONU. Les couloirs de l'ONU étaient pleins de coalitions de radicaux de toutes les religions, qui unissaient leurs forces pour arrêter le processus de Beijing qu'ils considéraient comme le projet le plus dangereux. Parce qu'il donnait aux femmes une certaine autonomie. Donc, l'idée était d'empêcher les femmes d'être en mesure de contrôler leur propre vie, de contrôler leur propre corps. Par la répression, comme cela se fait dans les mouvements extrémistes, ou sous différentes formes qui sont moins visibles. Je pense que nous devons être vigilants. Nous devons répondre à tous les niveaux de transgression de la vie des femmes et des droits et des libertés fondamentales.
Aujourd'hui il existe un conflit majeur, selon moi, entre les droits de l'homme internationaux et les mouvements extrémistes trans-nationalisés. Ils se dirigent vers une collision frontale l'un vers l'autre. Qui va gagner? Qui, selon vous, va gagner ? Eh bien, moi je ne sais pas, je n'ai pas idée, peut-être que vous, vous avez la réponse, mais ce que je sais, c'est que je ferai tout en mon pouvoir pour faire respecter les normes internationales des droits de l'homme et aller dans des coalitions stratégiques avec des groupes qui ont des objectifs similaires. Parce que je pense que l'une des erreurs que nous faisons dans le traitement des extrémistes et des mouvements de fondamentalisme religieux, est que nous tombons dans le piège d'entrer dans un débat religieux.
Mais il ne faut pas oublier que le fondamentalisme n'est pas une question de religion, c'est question de pouvoir. Ainsi, afin de ne pas tomber dans le piège d'essayer de nous défendre sur la base de tel ou tel principe religieux, je pense que nous devons respecter avec insistance les normes internationales. Et encore une fois, Madame Manjoo a mentionné beaucoup de mécanismes qui sont à notre disposition et dont nous pouvons faire le meilleur usage. Mais nous avons besoin d'une nouvelle vision. Nous avons besoin d'une nouvelle vision qui rassemblera tous les gens partageant la même vision, pour créer un front commun contre les mouvements extrémistes. Je vous souhaite tout le meilleur dans vos luttes.

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