Ingrid Betancourt participait le 28 novembre à une conférence appelant à la mise sur pied d’une commission d’enquête internationale sur le massacre des prisonniers politiques en 1988 en Iran. Organisée à la mairie de 5e arr. de Paris en présence du Maire Florence Berthout, Bernard Kouchner, Mgr Jacques Gaillot, Rama Yade, William Bourdon, Sid Ahmed Ghozal, Sylvie Fassier et plusieurs personnalités et défenseurs des droits, l’évènement se tenait dans le cadre d’une « Campagne pour la justice » lancée par les familles pour traduire en justice les auteurs de ce « crime contre l’humanité ».
Dans son intervention, l’ancienne candidate à l’élection présidentielle colombienne a déclaré :
« Je voudrais tout d’abord commencer par vous dire que je suis très émue d’être ici dans cette salle, et je voudrais remercier Madame le maire Florence Berthout, de nous avoir accueilli pour nous permettre de nous enrichir les uns avec les autres. Je crois que l’exercice que nous devons faire aujourd’hui c’est un exercice de réflexion collective, le but étant que nous puissions être chaque fois plus performant dans notre défense des droits de l’homme. Alors, je vais revenir un petit peu en arrière. Vous vous souvenez la fin du gouvernement du président Obama, la signature de l’accord sur le nucléaire, l’accord international qui avait généré chez beaucoup l’espoir que l’Iran pouvait être amené à jouer dans la ligue des pays respectables.
Je vous rappelle qu’à ce moment-là, nous avions eu un ballet de charme de Mr Rohani qui avait visité la moitié du monde. Il était même aller visiter le pape François pour nous convaincre tous de ses bonnes intentions. Il répétait sans cesse qu’il y aurait un nouvel Iran, un Iran respectueux des droits de l’homme, respectueux des droits civiques et tout cela devait être un espèce d’abonnement pour l’accord qui allait être signé et qui allait favoriser l’Iran avec plus de commerce, la levée de sanctions économiques, l’accès au marché financier du monde, dans le but que l’Iran ne continuerait plus à travailler sur son projet du nucléaire.
Quelques mois plus tard, nous nous retrouvons devant un Iran qui a dévoilé toute sa face. Et nous, en tant qu’européens, en tant que français en particulier, nous devons réfléchir, et nous devons prendre des positions. Et pour ma part je crois que dans cette réflexion qui est la nôtre, commune à toute l’Europe, je crois que nous nous sommes laissés prendre au piège. Un piège de la rhétorique, mais un piège dangereux. Celui de vouloir séparer les affaires du nucléaire de tout ce qui vient avec, c’est-à-dire la défense des droits de l’homme.
Vous savez, dans l’expérience qui est la nôtre, nous savons qu’il y a des choses qui vont ensemble. Les régimes corrompus de par le monde sont en général les pays dans lesquels il y a le plus de violations des droits de l’homme. Ça va ensemble. Mais aussi, on se rend compte que ce sont les pays les plus autocratiques qui tombent dans cette espèce de besoin d’acquérir tous les moyens pour se préserver, dont la bombe nucléaire. Et en fait, tout se tient dans une même logique. Il s’agit d’une certaine façon, de taire les consciences.
Quand ces régimes, du fait de ne pas être démocratique et d’être corrompus, donc d’avoir besoin à l’intérieur de taire l’opposition, les voix dissonantes, commencent à éliminer pour des raisons idéologiques, pour des raisons de conscience, pour des raisons religieuses, ou pour des raisons raciales, les personnes qui sont différentes à l’intérieur de leur société, ces mêmes régimes sont ceux qui cherchent à faire pression sur le monde extérieur pour devenir intouchables. Pour que les autres à l’extérieur n’aient pas l’idée de venir leur demander des comptes. Et donc dans cette politique de dissuasion agressive vers l’extérieur, ils cherchent à se doter de l’arme nucléaire. Et les cas extrêmes que nous connaissons aujourd’hui, ce sont ceux évidemment de la Corée du Nord, mais aussi de l’Iran.
Donc prétendre que l’on ne peut que s’occuper du nucléaire en espérant qu’en s’occupant du nucléaire on finira peut-être après par régler les choses du point de vue humain, et des droits civiques, de la population, de ce que l’on peut appeler la politique intérieure d’un régime, c’est une grosse erreur. C’est une grosse méprise et c’est tout simplement alimenter le monstre. Ce que nous avons fait avec cet accord nucléaire, c’est d’alimenter ce monstre qui est le régime des mollahs en Iran. Les résultats sont là, visibles. Ils sont là devant nos yeux.
D’abord, tout un flux économique qui s’est aiguillé et rentré en Iran, avec le commerce que les pays du monde voulaient faire dans le marché iranien, a convergé vers une seule organisation : celle des pasdarans. Ce qui n’est qu’une preuve additionnelle que l’effort du nucléaire d’apaiser pour obtenir des améliorations du point de vue financier et économique était une façon de renflouer les caisses du régime iranien pour continuer sa guerre, qui est une guerre vers l'intérieur, qui est une guerre pour éliminer l'opposition interne et c'est une guerre évidemment aussi extérieure pour s'imposer dans la région et dans le monde.
Ce sont ces pasdarans qui ont multiplié les exactions en dehors de l’Iran. Ce sont eux qui sont en Syrie, ce sont eux qui sont en Irak, mais ce sont eux aussi qui financent les organisations comme le Hezbollah au Liban et comme les organisations terroristes qui finissent par mettre des bombes en Egypte, mais aussi par mettre des bombes ici en France, en Belgique, en Allemagne. C’est-à-dire que cette politique qui se voulait d'apaisement, de conciliation, pour donner l'opportunité à l’Iran de rentrer dans la communauté des pays respectables, n'a été qu'un blanc-seing donnant à l’Iran les moyens financiers d'augmenter son agression de par le monde. Agression nécessaire pour pouvoir survivre comme régime en exploitant et en dominant le peuple iranien (…)
Il y a un élément que Monsieur Kouchner a mentionné qui je crois est très important, c'est le rapport présenté par le secrétaire général de l’ONU à l'assemblée générale de l’ONU sur les droits de l'homme. C'est un rapport très important parce que pour la première fois devant le monde, on ose dire tout haut ce que tout le monde sait et se dit tout bas : c'est que le régime iranien qui sévit contre le peuple iranien est le responsable de crimes contre l'humanité qui n'en finissent pas. Le rapport est totalement accablant.
D'abord, je pense qu'une des mesures de l'horreur d'un régime c'est toujours le sort des enfants. Si on ne se rebelle pas contre le sort des enfants, on accepte tout. Et là en Iran, l’ONU est en train de nous montrer l'augmentation des exécutions d'enfants, pour des raisons politiques et religieuses. C'est dire l'horreur d'un régime qui lui-même viole ses propres lois. Parce qu'il faut aussi le dire, en Iran, l'exécution des enfants n'est pas permise. Et cependant, ces exécutions augmentent de jour en jour malgré le fait que Rohani s'était promené ici en Europe pour nous convaincre tous que tout cela avait changé. Eh bien depuis le deuxième gouvernement de Rohani, ces exécutions d'enfants ne font qu'augmenter.
Deuxième élément, l'acharnement contre les défenseurs des droits de l'homme. Vous et moi, si nous étions en Iran, nous serions en prison et nous serions en vue d'être exécutés. Heureusement nous sommes ici à Paris dans cette mairie du 5ème, maison de la liberté et de l'expression du peuple. Le rapport parle aussi des tortures, des traitements cruels, des traitements dégradants et inhumains. Alors il faut s'imaginer ce que le poids que ces mots représentent dans un rapport qui est soumis à la pression du gouvernement iranien, qui n'a de cesse de relire les points et les virgules pour éviter que c'est mots n’apparaissent imprimés à l'encre et distribués parmi tous les représentants de tous les pays du monde. Eh bien voilà, ils n'ont pas réussi à faire ce qu'ils ont réussi à faire pendant très longtemps, c’est-à-dire à mettre un veto sur ces dénonciations.
Alors, l’Europe s'est-elle trompée ? Eh bien je crois que oui. Je crois que l’Europe s'est trompée et je crois qu’il nous faut le dire depuis notre présence ici dans cette salle, il faut rappeler en particulier à la personne qui est responsable des affaires étrangères de l'Union Européenne, Madame Federica Mogherini, qui avec beaucoup de circonvolutions et en faisant toutes sortes d'efforts, essaie d'expliquer l'inexplicable, c’est-à-dire son soutien envers et contre tout, d'un accord nucléaire violé par les uns et dénoncé par les autres.
Ceci est grave, parce que ne pas l'exprimer, ne pas dire que cet accord va contre ce qu'est l’Europe, c'est oublier la raison d’être de l’Europe. L’Europe est née des horreurs de la seconde guerre mondiale. L’Europe est née de cette responsabilité dans le cœur de tous les européens que la guerre ne pouvait plus se renouveler dans le sol de l’Europe et que nous devions bannir non seulement la guerre d'entre nos peuples, mais aussi regarder avec attention ce qui s'était passé pendant cette guerre, pour que plus jamais il n'y ait de camp de concentration, d’Auschwitz dans le monde. C'est l’Europe, c'est le cri des droits de l'homme. Même beaucoup plus que l’ONU.
Et c'est pour ça que l’Europe n'a pas le droit de se trahir à elle-même en se disant, oh finalement on va faire un accord pour essayer d'obtenir de l’Iran un retardement de ses prétentions nucléaires en regardant ailleurs, en fermant les yeux sur la souffrance du peuple iranien, de ces enfants, de ces femmes, de ces hommes qui n'ont plus le droit de s'exprimer, qui n'ont le droit que de respirer en courbant le dos sans regarder ailleurs de peur d'être pendu.
Quel est notre devoir ? Eh bien notre devoir je crois est celui d'exiger la justice. Il n'y a pas de démocratie, il n'y a pas de droits de l'homme, il n'y a pas d'humanité, il n'y a pas de civilisation sans une justice. Cette justice elle doit d'abord prendre forme dans les événements que nous avons relaté ici qui font partie de ce qui pour nous est important, le massacre de 1988.
Trente mille personnes ont disparu. Nous avons vu leurs photos, leurs regards qui nous poursuivent. Pour la première fois aussi dans ce rapport de l’ONU, on mentionne les répercussions de ce massacre est de ces efforts de ces familles pour essayer d'obtenir justice à l'intérieur de l’Iran. Nous savons par exemple que celui qui a été le bourreau, qui faisait partie de ces commissions de la mort, qui a sur lui la mort de trente mille personnes, est aujourd'hui ministre de la justice. Alors évidemment quand les familles viennent demander justice, qu'est-ce qu'il fait ? Il les met en prison. C'est le cas de Myriam Akbari-Monfared, dont le seul crime c'est de demander justice pour la mort de ses frères. Elle en a eu quatre qui ont disparu. Elle veut retrouver leurs corps.
Elle n'a pas fini de demander, qu'elle est déjà en prison ! Son mari est harcelé par la justice iranienne. Si jamais sa femme continue d'envoyer des messages dans le monde, pour que nous la défendions, elle sera renvoyée dans une prison encore plus difficile que celle dans laquelle elle est en ce moment et sa sentence sera allongée de plusieurs années.
Et puis il y a aussi le cas du fils du dauphin de Khomeini, cet homme qui a visiblement pris beaucoup de risques pour dénoncer ce massacre de 1988. Des risques qui ont fait qu'il a été limogé, mis sous détention dans son domicile et après sa mort, son fils, lui, prend le relais et décide, oh combien téméraire, de porter la voix de son père par internet. En accusant directement les membres du régime non pas de 1988, mais les membres du régime d’aujourd'hui, parce que ce sont les mêmes, et de les montrer du doigt comme les criminels et les responsables de ces massacres. Résultat des recours : le ministre de la justice, le met en prison avec une sentence 21 ans de prison.
Alors il nous faut nous battre pour demander d'abord à l’Europe de revenir sur ce qu'elle est, d'exiger que les droits de l'homme passent avant tout. De demander à l’ONU de donner une initiation à l'investigation sur ce qui s'est passé en 1988. Il est important qu'une commission d'investigation soit nommée au sein du Haut-Commissariat pour les droits de l'homme. Le haut-commissaire est en ce moment un prince jordanien qui a lui-même participé dans la création de la Cour pénale internationale. C'est à lui que nous nous adressons, en lui demandant de ne plus laisser passer le temps, d'agir immédiatement pour qu'une enquête soit ouverte, qui nous permette rapidement de faire venir les criminels devant la justice internationale. Pour que finalement justice soit faite et pour que ces crimes-là ne continuent pas à se manifester en Iran aujourd'hui. Merci. »
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