Après un long mois de silence, au cours de la décision de condamnation du pouvoir judiciaire iranien d'intervenir dans un conflit de travail local et de punir 17 mineurs qui protestaient contre des peines de flagellation, le porte-parole du pouvoir judiciaire a finalement éludé toute responsabilité de cette prise de décision.
« Il est possible que le penchant du juge ne corresponde pas au nôtre dans certains cas, et nous ne défendons pas de tels penchants », a déclaré Gholamhossein Mohseni Ejei, lors d'une conférence de presse le 12 juin 2016, selon ILNA, agence de presse travailliste semi-officielle.
Le tollé provoqué par les sentences au fouet a quant à lui entraîné le licenciement d'un fonctionnaire du gouvernement de Rouhani en charge des questions de travail.
Traditionnellement, les conseils locaux du travail traitent des conflits concernant le travail dans la République islamique, mais le pouvoir judiciaire s'est de plus en plus immiscé dans les conflits, et a été critiqué pour s'être rangé du côté des employeurs.
Pendant ce temps, les syndicats indépendants ne sont pas autorisés à fonctionner en Iran, les travailleurs sont régulièrement licenciés et risquent d'être arrêtés pour avoir fait grève et les dirigeants syndicaux sont poursuivis sur des accusations liées à la sécurité nationale et condamnés à des peines de prison.
Interrogé par un journaliste d'ILNA sur les raisons pour lesquelles le pouvoir judiciaire s'est mêlé des conflits de travail et s'est rallié aux employeurs, Ejei a déclaré : « Je nie catégoriquement [l'allégation] que nous nous sommes immiscés dans les questions syndicales et que nous avons voté en faveur des employeurs, alors que nous avons à plusieurs reprises demandé au ministère du travail et aux organisations gouvernementales d'intervenir dans de tels cas, en faveur des travailleurs ».
Ejei a toutefois reconnu l'implication croissante du pouvoir judiciaire dans les conflits du travail : « Là où les actions conduisent à la perte sociale et à la criminalité, il ne faut pas attendre que le pouvoir judiciaire s'en mêle », dit-il.
Le rejet du pouvoir judiciaire d'assumer la responsabilité des peines de flagellation, que les Nations Unies ont déclaré qu'elles sont une punition cruelle et inhumaine équivalente à de la torture, arrive à un moment où le tollé public grandit au sujet de la responsabilité.
En fait, les experts en droit iranien soulignent que le pouvoir judiciaire aurait dû mettre tout son poids derrière les employés dans le cas impliquant les 17 travailleurs de la mine.
« D'un point de vue juridique, la magistrature peut arriver à la conclusion que la sanction contre ces travailleurs était illégale et les indemniser pour les amendes qu'ils ont été condamnés à payer », a déclaré à la Campagne internationale pour les droits de l'homme en Iran, Farideh Gheyrat, un éminent avocat basé en Iran.
Des ouvriers fouettés pour avoir protesté
Le 27 décembre, 2014, un grand groupe de travailleurs du village de'Agh Darreh en Azerbaïdjan occidental se sont rassemblés devant le poste de garde de la mine d'or d'Agh Darreh pour protester contre le licenciement de 350 travailleurs. Ce même jour, l'un des travailleurs licenciés a tenté de se suicider et a été transporté à l'hôpital, mais finalement a survécu.
La compagnie Pouya Zarkan, qui exploite la mine, a poursuivi 17 des travailleurs lors de la manifestation pour « trouble à l'ordre public ». Ils ont été reconnus coupables et condamnés à la prison, au fouet et à une amende pouvant aller jusqu'à cinq millions de rials ($ 164 USD) chacun.
Les travailleurs ont bénéficié du pardon du Guide suprême iranien, Ali Khamenei, pour leurs peines de prison, mais les coups de fouets (entre 30 et 100) par travailleur ont été donnés.
Peu après, un tribunal dans la province de Yazd a également condamné un groupe de travailleurs qui protestaient contre la compagnie centrale iranienne de minerai de fer dans la ville de Bafgh à être fouettés, le 6 juin 2016.
Mohammad Jedari Foroughi, un avocat représentant neuf des travailleurs accusés dans l'affaire de Bafgh, a dit à ILNA que la Direction générale 105 de la deuxième Cour pénale de Yazd avait jugé qu'un rassemblement pour les droits des ouvriers de la part de ses clients en 2014, avait « perturbé l'ordre et empêché la production » à la mine. Les travailleurs ont été condamnés à des peines de prison allant de 7 à 11 mois et de 30 à 50 coups de fouet chacun. Le tribunal a suspendu l'application des peines pour cinq ans, mais Foroughi a dit qu'il pourrait encore interjeter appel.
Condamnation généralisée
Le 1er juin 2016, ILNA a rapporté que le ministre des coopératives, du travail et des affaires sociales, Ali Rabiei avait écrit au procureur général pour qu'il enquête sur l'affaire Agh Darreh. Il a également relevé le directeur des affaires du travail de l'Azerbaïdjan occidental, Reza Taghizadeh, de son poste pour avoir été « mal informé sur les peines de flagellation menées contre les travailleurs des mines d'or ».
« Le gouvernement trouve le cas (Agh Darreh) regrettable », a déclaré le porte-parole du gouvernement Rouhani, Mohammad Bagher Nobakht, lors d'une conférence de presse le 7 juin, 2016. Le même jour, Mohsen Sarkhoo, le président du parti travailliste du conseil municipal de Téhéran a décrit la flagellation comme « sans précédente » et a invité le pouvoir judiciaire à examiner les décisions.
Si les employeurs continuent d'engager des poursuites pénales contre les travailleurs tout simplement pour avoir protesté, « la force de travail ne se sentira plus en sécurité » et, finalement, la production et les profits souffriront, a dit Fathollah Bayat, président du Syndicat des travailleurs contractuels, le 29 mai 2016.
Le 7 juin 2016, le Parti travailliste islamiste a publié une déclaration condamnant les punitions : « Après les sentences de flagellations pour avoir pris part à un rassemblement de protestation syndicale qui ont été menées contre les travailleurs de la mine d'or Agh Darreh, et le tollé subséquent de la communauté du travail et des organisations populaires contre le pouvoir judiciaire pour ces peines qui sont contre les lois du travail du pays, ainsi que les conventions internationales, nous ne nous attendions pas à voir les juges interférer dans des conflits entre travailleurs et employeurs ».
« Malheureusement, le manque de soins suffisants pour résoudre ce genre de conflits a eu pour conséquence que plus de travailleurs qui protestaient ont reçu des condamnations de flagellations, cette fois à la mine de fer de Bafgh », a dit la déclaration.
Deux organisations syndicales voisines de la province de l'est de l'Azerbaïdjan – le Comité de coordination du Conseil syndical islamique et l'Association de l'union des travailleurs – ont publié une déclaration conjointe le 30 mai 2016 condamnant les flagellations et appelant le pouvoir judiciaire à se tenir en dehors des conflits du bien-être du travail.
« Malheureusement, nous avons été témoins de travailleurs poursuivis en justice et punis pour s'être impliqués dans les protestations du travail exigeant un meilleur bien-être et une mise en œuvre du droit du travail dans certains cas », a dit la déclaration.
« Les employeurs déposent des plaintes avec le pouvoir judiciaire et construisent des affaires contre cette classe travailleuse », a poursuivi le communiqué. « Ces cas portent atteinte au principe de la séparation des pouvoirs entre les trois branches de l'État et marginalisent les travailleurs au point où ils ne puissent plus être en mesure d'exiger de dialogue dans des cadres légaux. Ces châtiments violent les conventions internationales du travail ».
Sentences de flagellation précédentes
En avril 2015, cinq travailleurs de la mine de fer de Chador Malou dans la province de Yazd ont été condamnés à la prison et à recevoir des coups de fouet pour « trouble à l'ordre et refus pour les autres du droit de travailler », mais leurs peines de prison ont été suspendues et les flagellations réduites à des amendes parce qu'ils avaient pas de casier judiciaire.
En septembre 2014, quatre travailleurs de l'usine pétrochimique Razi à Bandar Imam Khomeini dans le sud de l'Iran ont également été condamnés à six mois de prison et 50 coups de fouet chacun pour avoir « troublé la paix » et « avoir proféré des insultes et des menaces ». L'employeur a accusé les travailleurs de provoquer leurs collègues afin qu'ils fassent des «demandes non pertinentes de travail », ce qui a forcé l'usine à fermer pendant plusieurs jours.
En février 2009, deux activistes féminines syndicales, Razani et Shiva Kheirabad, ont été fouettées 70 fois et 15 fois respectivement pour avoir assisté au rassemblement de la Journée internationale du Travail, le 1er mai 2009, à Sanandaj, une ville dans la province du Kurdistan iranien.
Source : Campagne internationale pour les droits de l'homme en Iran
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