Le Courrier, le 10 avril 2019 - Alors que le Sultanat de Brunei vient de renforcer l’application de la charia, un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) vient justement rappeler l’universalité de l’interdiction de la torture. Qu'en est-il du fouet ?
Le 4 avril dernier, la Cour a condamné la Bulgarie à ne pas extrader vers l’Iran un ressortissant géorgien accusé de vol, à défaut de quoi elle se rendrait coupable de violation de l’article 3 de la Convention qui proscrit tout acte de torture et toute peine ou traitement inhumain et dégradant1.
Le 17 décembre 2016, le requérant, né en 1951, fut arrêté à l’aéroport de Sofia en provenance de Géorgie. En effet, il figurait sur une liste rouge d’Interpol pour avoir volé, en compagnie d’une autre personne, une somme de 50 000 euros le 24 juin 2016 dans un bureau de change à Téhéran. Il fut mis en détention dans l’attente d’une demande formelle d’extradition des autorités iraniennes. Au mois de janvier 2017, ces autorités ont présenté cette demande, précisant que l’acte commis pourrait conduire à infliger au requérant une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement. Elles assuraient encore leurs homologues bulgares que le requérant ne serait pas soumis à la torture ou à un autre traitement inhumain s’il devait être extradé en Iran.
L’extradition fut accordée par un tribunal de Sofia au mois d’avril 2017, pour le motif que la demande d’extradition satisfaisait à toutes les conditions de forme et qu’il était possible d’invoquer la réciprocité de facto existant entre la Bulgarie et l’Iran. Le tribunal a aussi relevé que les autorités iraniennes avaient donné des assurances que le requérant ne serait pas exposé à la torture ou à un traitement inhumain et que le droit iranien ne prévoyait qu’une peine d’emprisonnement pour l’infraction en cause. Cette décision fut confirmée par la Cour d’appel de Sofia.
La Cour rappelle que l’interdiction de la torture inscrite à l’article 3 de la Convention oblige l’Etat partie à la Convention à refuser d’extrader une personne dans un autre pays s’il y a des motifs sérieux de croire que le refoulement comporte un risque concret de mauvais traitement pour l’étranger concerné. La Cour constate que l’article du code pénal iranien invoqué par les autorités iraniennes punit le vol non seulement d’une peine d’emprisonnement, mais encore jusqu’à 74 coups de fouet, bien que ni la liste d’Interpol ni la demande d’extradition n’en avaient fait mention. La Cour a estimé, sur la base de différents rapports internationaux constatant que la peine de fouet était courante en Iran, même pour des vols, que le risque que le requérant soit soumis à un tel traitement, contraire à l’article 3 de la Convention, était bien réel.
Comme la demande d’extradition omettait de préciser que le vol était également puni de coups de fouet, la Cour a émis de sérieux doutes sur les assurances données par les autorités iraniennes que le requérant ne serait pas soumis à la torture ou à un autre traitement inhumain. Ces doutes ont été renforcés par les déclarations des autorités iraniennes dans les instances internationales, notamment en réponse à un rapport du Conseil des droits de l’homme de l’ONU du mois de mars 2018, d’après lesquelles elles considéraient le fouet comme une forme légitime de châtiment, qui avait été mal interprété par l’Occident comme étant dégradant. L’Iran voit en effet apparemment le fouet et d’autres formes de châtiments corporels comme un élément important de sa souveraineté et de sa tradition juridique. Selon la Cour, il convient d’être d’autant plus prudent que l’Iran est un des rares Etats à ne pas avoir signé la Convention de l’ONU contre la torture et les autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, à avoir refusé de la signer sur invitation des autres Etats et de modifier en conséquence son code pénal.
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