Entretien avec Mohammad Mohaddessin au sujet du récent simulacre d’élection présidentielle en Iran
CNRI – Le simulacre d’élection présidentielle en Iran a pris fin, mais ce n’est pas le cas du conflit et du désaccord dans les hautes sphères du régime théocratique. L'entretien suivant examine les enjeux les plus pressants de cette « élection » et les perspectives.
Q : Il y a des rapports contradictoires provenant d'Iran. Certains suggèrent un mécontentement croissant de la population, en particulier dans les rangs des jeunes, mais d'autre part, Téhéran prétend qu'il y a eu une participation massive lors de l’élection et affirme qu'une telle participation suggère un soutien généralisé au régime. Comment expliquez-vous ces rapports contradictoires ?
• Le mécontentement populaire en Iran est indiscutable. C'est un fait que personne ne peut nier. Pendant 38 ans, les Iraniens ont été privés de leur liberté fondamentale, non seulement en politique, mais aussi dans leur vie sociale et privée. Ils ont été brutalement réprimés. Des dizaines de milliers de personnes ont été exécutées. Beaucoup d'autres ont été emprisonnés. En ce qui concerne la liberté d'expression, la liberté de la presse et d'autres libertés générales, l'Iran se classe tout en bas de la liste.
• Je pense que les faits mentionnés ci-dessus devraient fournir la réponse à la deuxième partie de la question. Dans un pays qui est régi par une dictature absolue, le concept d'élection est différent de celui des pays démocratiques. Il s’agit en vérité d’une « sélection » et non d’une élection. Regardez le cas de l'Iran. L'allégeance des candidats au Guide Suprême dans les propos et dans les actes a déjà été approuvée.
• C'est comme donner à la population le choix entre Al Qaïda et Daech. Ils ont leurs profondes différences, mais sont-ils vraiment différents ? Les deux principaux candidats à l'élection ont été responsables de 38 ans d'exécutions et de répression en Iran. Par conséquent, revendiquer une participation élevée est vraiment une insulte à la population iranienne comme si elle avait participé avec enthousiasme à ce simulacre d’élection pour élire un de ses répresseurs.
Q : Mais le régime affirme que quelques 72% des électeurs ont participé à l’élection et certains journalistes étrangers ont également signalé que les bureaux de vote qu'ils avaient visités étaient plutôt affluentes, indiquant une forte participation.
• Le chiffre revendiqué par le régime est absolument faux. Il est fréquent chez tous les dictateurs de faire des revendications de popularité aussi absurdes. Cela fait partie de leur fantasme selon lequel plus ils répriment leur peuple, plus ils sont populaires.
• Nous avons des rapports, y compris des clips vidéo provenant de plus de 100 villes à travers le pays, affichant un faible taux de participation dans les bureaux de vote, soit une poignée en plusieurs heures. Il y a eu de nombreux rapports, y compris des clips vidéo de personnes se plaignant du fait qu’on les avait fait attendre à l'extérieur des bureaux de vote pendant des heures pour faire une file d'attente ; bon nombre parmi eux ont reconnu qu'ils ne participent que pour que leurs cartes d'identité soit estampillée pour éviter tout obstacle administratif dans leur vie personnelle. Les prisonniers ont été forcés à participer à l’élection.
• Dans le passé, nous avons exposé des documents incontestés indiquant que, dans chaque élection du régime actuel, le nombre réel de participants a été multiplié par 4 ou par 5. Ils disposent de ce qu'on appelle « la cellule de décompte de votes » qui décide du chiffre qui doit être publié.
• Les journalistes sont toujours emmenés dans quelques bureaux de scrutin spécifiques, où le régime a déjà mobilisé ses gens pour montrer une forte participation. Combien de centres pourraient-ils visiter ? Deux, cinq ou dix ? Si vous observez la propagande du régime des mollahs, ils revendiquent également une participation élevée parmi les Iraniens en dehors de l'Iran et montrent des clips vidéo de personnes qui font la queue pour voter, et ils ont même affirmé qu'en raison de leur participation élevée, ils avaient dû prolonger le temps de vote dans certains pays. Mais, même les chiffres officiels montrent que seulement 6,7% des personnes admissibles au vote ont pris part à l’élection en dehors de l'Iran. Sur 2,5 millions d’Iraniens en âge de voter, selon le chiffre officiel, seulement 168.430 ont voté.
Q : Insinueriez-vous que tout le processus a été vicié et que Rohani n'a pas été élu grâce au vote de la population ? Mais il existe de réelles différences entre Rohani et son principal concurrent Raïssi. Êtes-vous en train de dire qu'il n'y a pas de différence entre eux ?
• La réponse est à la fois oui et non. Oui, tout le processus est vicié. Tous les candidats ont été sélectionnés par le Guide Suprême. Cela signifie qu'ils tombent tous dans la sphère acceptable du fascisme religieux au pouvoir en Iran. Toute élection sans aucune possibilité de présence de l'opposition est biaisée, sans parler des candidats qui ont été sélectionnés. Le régime revendique toujours une participation élevée, quel que soit le nombre réel de personnes qui votent.
• Non, je ne dis pas qu'il n'y a pas de différences entre Rohani et Raïssi et, plus généralement, entre les deux factions du régime. Il existe une lutte de pouvoir intense. Mais, ce que je dis, c'est que leurs points communs sont plus nombreux que leurs différences. Tous les deux candidats soutiennent le pouvoir théocratique absolu. Les deux ont été décideurs au sein du régime depuis le début. Bien sûr, Rohani occupe un poste supérieur. Les deux ont été responsables des crimes commis par le régime au cours des 38 dernières années. Raïssi était membre de la « Commission de la mort », responsable du massacre de prisonniers politiques en 1988. Rohani était également l'un des premiers responsables iraniens qui ont appelé à l'exécution publique des opposants lors des séances de prières du vendredi. Il a également décrit les exécutions en Iran comme l’application de la règle de droit ou du commandement de Dieu.
Q : D'une part, vous dites qu'il y a une lutte de pouvoir intense, mais d'autre part, vous dites que les deux factions du régime ont plus de points en commun. N'est-ce pas confus ? En Occident, ils sont connus comme des modérés et des radicaux. Ne pensez-vous pas que ce soit une plus simple et meilleure explication ?
• Non, cela ne confond pas. C'est la réalité de la situation en Iran. Les « modérés » contre les « radicaux » est un concept erroné qui ne reflète pas les réalités de l'Iran. En effet, cela a permis au régime des mollahs de réprimer davantage la population iranienne et de continuer avec son comportement rebelle dans la région avec une sorte d'impunité. Il est temps de mettre un terme à cette notion fictive nefaste.
• La lutte de pouvoir acharnée au sein du régime n'est pas due à différentes écoles de pensée ou à une faction étant modérée et l'autre radicale. Cela reflète l'incapacité du régime à répondre aux besoins les plus fondamentaux de la population et au mécontentement croissant de la population. C'est simplement la peur d'arriver à leur déclin. Leur différend concerne la meilleure façon de préserver le système, c'est-à-dire le fascisme religieux au pouvoir dans le pays. Présenter ceci en tant que modérés contre radicaux est une mauvaise représentation.
• Une faction, c'est-à-dire Rohani, affirme que nous avons déjà atteint le déclin et que nous ne pouvons survivre à moins d’obtenir de l'aide de l'extérieur, notamment des gouvernements Occidentaux. Il affirme que nous pouvons obtenir l'aide de l’Occident tout en maintenant le système et les mêmes politiques avec juste un changement de ton. En résumé, il le croit, et l'a déclaré lors de discussions internes privées : nous pouvons tromper l'Occident comme je l’ai fait en ce qui concerne le problème nucléaire en 2003 et aussi dans l’accord nucléaire ; alors que nous avions fait des concessions temporaires, nous avions maintenu la structure de notre programme nucléaire.
• D'autre part, Khamenei rejette fortement cette notion comme étant de la pure naïveté et a déclaré publiquement une semaine avant l'élection qu'il croit que le changement de comportement équivaut à un changement de régime. Il souligne que si nous reculons d’un pouce sur les politiques nationales ou régionales, ce serait le début de notre chute rapide, comme c'était le cas pour le régime du Shah. En effet, cela a été le cas pour de nombreuses dictatures dans l'histoire. Quand elles parviennent à la conclusion qu'elles ne peuvent plus survivre grâce à une poigne de fer, il est déjà trop tard pour une réforme de l'intérieur. La revendication de la population va bien au-delà du changement de comportement calculé et limité que les dictateurs ont l'intention de mettre en œuvre pour se maintenir au pouvoir.
Q : Khamenei, en tant que Guide Suprême, détient le pouvoir ultime en Iran. On sait aussi que Raïssi était son candidat favori. Vous dites également que l'élection n'était pas une élection réellement libre. Alors, comment se fait-il que Khamenei ne pouvait pas avoir son propre candidat déclaré vainqueur ?
• Cette question touche le cœur du problème. Vous avez tout à fait raison que le favori de Khamenei était Raïssi, alors que tous les autres étaient également acceptables pour lui. Aucun d'entre eux n'a été considéré hors du système, sinon ils n’auraient pas pu participer. Mais Khamenei avait une ligne rouge selon laquelle sa manipulation de l'élection ne devrait pas aller jusqu’à conduire à un soulèvement populaire en raison de l'intensification des querelles internes.
• Khamenei avait choisi le candidat le plus méprisable qui n'était connu par la population que comme un bourreau impitoyable. Même de nombreuses personnalités de sa propre faction ont refusé de le soutenir – et pas pour une question de principe ; plutôt, leur intérêt personnel était de s'éloigner d'un sinistre meurtrier. Les activités de la Résistance à l'intérieur de l'Iran, soulignant le rôle de Raïssi dans le massacre de 1988, ont davantage éclairé la population.
• En bref, Khamenei avait perdu la partie avant le jour du scrutin. C'est parce que, dans ce régime, les « élections » ne dépendent pas du vote de la population, mais de la répartition du pouvoir au sein du régime. Khamenei, qui reste la personnalité disposant de plus d’autorité au sein du régime et dont l'approbation est une condition préalable pour que quelqu'un puisse promouvoir quelque changement que ce soit, a perdu l'influence de dicter son désir sans une sérieuse objection interne. Il craignait que s'il exerçait trop de pression afin d’avoir son propre candidat, les querelles pourraient déclencher un soulèvement, pas en faveur de Rohani, mais contre tout le régime. Par conséquent, cette élection a été une défaite majeure pour l'ensemble du régime.
Q : Que diriez-vous à ceux de l'Occident qui suggèrent qu'avec Rohani il pourrait y avoir une bonne occasion de s'engager davantage avec l'Iran dans la perspective de changer le comportement du régime?
• Je les exhorte à considérer les faits et à juger en se basant sur des faits et non sur une douce illusion propre à leur personne. Rohani ne veut ni ne peut apporter de changement substantiel en Iran. Il n'est pas nouveau. Il a été président du régime pendant quatre ans. L'éditorial du Telegraph, un jour après l’élection, a déclaré à juste titre : « La réélection du président Hassan Rohani ne change rien. L'Iran demeure une dictature appauvrie gouvernée par une élite théocratique. »
• Il ne « veut » pas, parce qu’il est le produit du même système. Il faisait partie du système depuis le début. Il sait qu'un véritable changement conduirait à la chute du régime. Sa propre affirmation n'a jamais été qu'il veut changer le système, mais seulement le « modifier ». Il n'a jamais qualifié lui-même ou sa faction de « réformateur », mais seulement comme étant « modéré » dans le pouvoir théocratique absolu. Ce n'est pas ce que les gens veulent. Sa réclamation interne est qu'il peut obtenir les deux pour le régime. Maintenir le système, ses principes et ses politiques et, toutefois, tirer avantage des gouvernements Occidentaux.
• Il ne peut apporter de changement même s'il le veut, parce qu’au sein de ce régime, le président n'a pas beaucoup de pouvoir. Il est simplement un facilitateur qui s’occupe de quelques questions logistiques et joue le rôle d’un bon serviteur pour le Guide Suprême, qui détient le pouvoir absolu. De plus, l'ensemble du système est irréformable. Le système est basé sur le pouvoir absolu du Guide Suprême. La suprématie théocratique, la misogynie, l'intolérance envers d'autres points de vue et le mépris des minorités religieuses, font partie intégrante du régime. Même une simple question, comme le droit des femmes de choisir librement leurs propres vêtements, est considérée comme une question de sécurité nationale. La répression intérieure et l'ingérence dans les affaires d'autres pays via le soutien aux extrémistes et aux groupes terroristes sont les deux principaux piliers du régime sans lesquels il ne peut survivre. La propagation du fondamentalisme islamique et de l'extrémisme est inscrite dans la Constitution du régime.
• L'expérience des quatre dernières années et les événements particuliers qui ont fait suite à l’accord nucléaire ne laissent absolument aucun doute quant au fait que ce régime est absolument incapable de toute réforme, peu importe qui pourrait être le président du régime. Au cours du premier mandat de Rohani en tant que président, le nombre d'exécutions a augmenté en Iran. Certains pourraient dire que c'était le pouvoir judiciaire. Mais au moins, il pouvait exprimer son opposition au nombre croissant d'exécutions, ce qui faisait de l'Iran le pays avec le plus grand taux d’exécution par tête d’habitant au monde. Mais au lieu d’agir ainsi, il qualifiait cela « d’application de la loi et du commandement de Dieu ». Selon son propre ministre de la Défense, le budget de défense de l'Iran a été augmenté de 140% et plus de tests de missiles ont été réalisés qu'auparavant. L'ingérence de l'Iran en Syrie s’était intensifiée, même l'argent obtenu à la suite de l'accord nucléaire a été alloué à la Syrie et a aidé d'autr
es groupes terroristes en Irak et ailleurs.
es groupes terroristes en Irak et ailleurs.
Q : Donc, à votre avis, quelle était la signification de l'élection ? Êtes-vous en train de dire que ce n'était pas du tout important ?
• Le régime des mollahs à la fin de ce simulacre d’élection présidentielle est un régime divisé qui a été gravement affaibli par sa lutte interne de pouvoir. Dans les conditions nationales, régionales et internationales critiques actuelles, pour Khamenei, il était essentiel de rendre monolithique le régime médiéval afin de faire face aux crises et de maintenir l'équilibre du régime. Mais comme je l'ai dit plus tôt, dans la crainte d'une importante insurrection massive, Khamenei a dû renoncer à son candidat préféré et opté pour Rohani. Par conséquent, l'échec de Khamenei est un coup dur pour lui et un signe de la disparition prochaine du régime. Le deuxième mandat de Rohani n'entraînerait qu'une crise croissante et une lutte de pouvoir plus intense. La crise est vite montée au niveau des dirigeants du fascisme religieux et continuera jusqu'à la chute du régime du Velayat-e Faqih (pouvoir absolu du Guide Suprême). Permettez-moi d'être plus précis.
• À la veille de l’élection, une attention accrue de la population a été attirée par la liberté politique, le problème des exécutions, en particulier le massacre de 30 000 prisonniers politiques en 1988, dont la plupart étaient membres de l'Organisation des Moudjahidine du Peuple d'Iran (OMPI). En effet, ce problème qui, depuis plus de 29 ans, était une zone interdite et un tabou, s’est transformé en une revendication sociale. La croissance de la campagne du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988, qui a mis en lumière le rôle des deux factions du régime dans les exécutions politiques, a envoyé une onde de choc à l'ensemble du pouvoir et a prouvé que le désir du peuple est de rejeter l'ensemble du régime avec toutes ses factions.
• Un autre événement important a été les activités étendues du réseau de l’OMPI en Iran. Les médias officiels, notamment la télévision nationale, ont constamment exprimé leur préoccupation quant à ces activités et à son impact à l'intérieur de l'Iran. La combinaison de ces activités et des personnes exigeant la justice pour le massacre des membres de l'OMPI, a complètement modifié le décor de la « campagne électorale ». Alors que les candidats ont dénoncé leur rôle réciproque dans le pillage des richesses du pays et même leur rôle dans la répression, un nouveau courant est apparu au sein de la société répandant le slogan : « Non au bourreau, Non au charlatan, notre vote c’est le renversement du régime ».
• À la suite de cette campagne massive et de la pression du public, Rohani a été obligé de faire des déclarations, accusant notamment l'autre faction de n’avoir que des antécédents d’exécutions et d’emprisonnement au cours des 38 dernières années, ou insinuant que l'autre faction était engagée à réduire la population au silence. Cela a conduit au fait que l’autre faction dénonce le rôle de Rohani au sujet des exécutions et de la répression. Cette plaie que le régime a gardée fermée depuis tant d'années s’est rouverte. Les deux factions ont également exposé les pillages l’une de l’autre et déclaré que 4% des Iraniens ont en leur possession toute la richesse du pays et jouissent de privilèges. Ils ont en outre donné une image très sombre de l'économie iranienne avec les statistiques réelles et non celles officielles et aussi l'ampleur de la corruption. En outre, Rohani a dû faire des promesses qu'il ne pouvait pas tenir, ce qui met l'ensemble du régime dans une situation vulnérable.
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