Des femmes manifestaient à Gaza, en Palestine, le 16 février 2021, contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature, contrôlé par le Hamas, d’autoriser les tuteurs masculins (généralement le père ou un autre membre masculin de la famille) à interdire aux femmes célibataires de sortir seules de la bande de Gaza. De telles restrictions piègent encore plus les femmes à Gaza, s’ajoutant aux restrictions de mouvement déjà imposées par Israël et l’Égypte et qui ont transformé la bande de Gaza en une forme de « prison à ciel ouvert ». © 2021 AP Photos/Adel Hana
- De nombreux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord empêchent encore les femmes de se déplacer librement à l’intérieur des frontières ou de voyager à l’étranger sans l’autorisation d’un tuteur masculin.
- Les femmes de la région luttent contre des règles que les autorités invoquent souvent au nom de leur protection, alors qu’elles sont dans les faits privées de leurs droits et que cette tutelle permet aux hommes de les contrôler et d’abuser d’elles à volonté.
- Tous les gouvernements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord devraient éliminer toutes les restrictions discriminatoires à la liberté de mouvement des femmes, notamment toutes les règles de tutelle masculines.
(Beyrouth, le 18 juillet 2023) – De nombreux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord empêchent encore les femmes de se déplacer librement à l’intérieur des frontières ou de voyager à l’étranger sans l’autorisation d’un tuteur masculin, a constaté Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui.
Le rapport de 119 pages, intitulé « Trapped : How Male Guardianship Policies Restrict Women’s Travel and Mobility in the Middle East and North Africa » (« Piégées : Comment les politiques de tutelle masculine restreignent les déplacements et la mobilité des femmes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord »), révèle qu’en dépit de la liberté grandissante des femmes dans de nombreux pays de la région, obtenues grâce aux efforts d’activistes, d’anciennes et de nouvelles restrictions contraignent de nombreuses femmes à demander à leur tuteur masculin – généralement leur père, leur frère ou leur mari – la permission de se déplacer dans leur propre pays, d’obtenir un passeport ou de se rendre à l’étranger. Human Rights Watch a également constaté que dans un certain nombre de pays, les femmes ne peuvent pas voyager à l’étranger avec leurs enfants sur un pied d’égalité avec les hommes.
« Du seuil de la maison à la frontière du pays, les autorités du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord imposent diverses restrictions au droit des femmes à la liberté de mouvement », a déclaré Rothna Begum, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Les femmes de la région luttent contre les restrictions que les autorités invoquent souvent pour leur protection, mais qui en réalité les privent de leurs droits et permettent aux hommes de les contrôler et de les maltraiter à volonté. »
Le rapport s’appuie sur une analyse comparative de dizaines de lois, réglementations et politiques, ainsi que sur des informations fournies par des avocats, des activistes et des femmes de 20 pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.
Les politiques de tutelle masculine dans la région, qui existent également au-delà du Moyen-Orient, sont influencées par une histoire plus large de lois et de traditions à travers le monde notamment les traditions juridiques européennes, qui ont donné ou donnent encore aux hommes le contrôle sur la vie des femmes.
Quinze pays de la région appliquent toujours des lois sur le statut personnel ou la famille qui contraignent les femmes à « obéir » à leur mari, à vivre avec lui ou à demander son autorisation pour quitter le domicile conjugal, travailler ou voyager. Les tribunaux peuvent ordonner aux femmes de retourner à leur domicile conjugal ou de perdre leur droit à une pension alimentaire.
Dans certains pays, ces règles sont de plus en plus observées. En mars 2022, l’Arabie saoudite s’est dotée de sa première loi écrite sur le statut personnel, qui codifiait la pratique de longue date consistant à obliger les femmes à obéir à leur mari « de manière raisonnable » ou à perdre leur soutien financier si elles refusaient de vivre au domicile conjugal « sans excuse légitime ».
Les femmes peuvent être arrêtées ou détenues ou forcées de rentrer chez elles si des tuteurs masculins en Jordanie, au Koweït, au Qatar et en Arabie saoudite signalent qu’elles sont « absentes » de leur domicile. Les citoyennes d’Arabie saoudite et du Yémen ne sont toujours pas autorisées à sortir de prison sans l’approbation d’un tuteur masculin.
Dans les pays en conflit, certains groupes armés ont durci la tutelle dans les zones placées sous leur contrôle. Ainsi, dans certaines parties de la Syrie, les femmes doivent être accompagnées d’un mahram (mari ou autre parent masculin proche). Les autorités houthistes qui contrôlent certaines parties du Yémen exigent de plus en plus souvent des femmes qu’elles se déplacent avec un mahram ou qu’elles fournissent l’approbation écrite de leur tuteur masculin. Ces règles ont contraint de nombreuses Yéménites travaillant pour des organisations non gouvernementales et des agences de l’ONU à quitter leur emploi, les faisant ainsi renoncer à un revenu indispensable à leur famille.
Bien que les militantes des droits des femmes de la région aient fait quelques progrès, elles continuent de lutter contre les restrictions discriminatoires à leur mobilité. En 2018, après des décennies de plaidoyer et d’activisme, l’Arabie saoudite a autorisé les femmes à conduire, mais d’autres restrictions subsistent. En Iran, elles poursuivent leur combat de plusieurs décennies contre le port obligatoire du hijab, un élément central des manifestations nationales « Femme, Vie, Liberté » qui ont débuté après la mort en détention de Mahsa (Jina) Amini en septembre 2022.
Certaines universités d’État, notamment à Bahreïn, en Iran, au Koweït, à Oman, au Qatar, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, exigent des femmes la preuve de l’autorisation d’un tuteur masculin avant de pouvoir se promener ou de rester sur le campus ou en sortir. Dans certains pays, les femmes peuvent également être victimes de discrimination au moment de louer des appartements ou de séjourner dans des hôtels si elles ne sont pas mariées ou n’ont pas l’autorisation d’un tuteur masculin.
De façon plus positive, la plupart des gouvernements de la région permettent désormais aux femmes d’obtenir des passeports et de voyager à l’étranger sans l’autorisation d’un tuteur. En août 2019, après de nombreuses campagnes menées par des activistes saoudiennes des droits des femmes, les autorités saoudiennes ont amendé la législation pour permettre aux femmes âgées de plus de 21 ans, comme les hommes, d’obtenir un passeport et de voyager sans l’autorisation d’un tuteur.
Mais l’Iran, le Qatar et le Yémen demeurent des exceptions. En Iran, les femmes mariées doivent montrer l’autorisation de leur époux pour obtenir un passeport et voyager. Au Qatar, les règles du ministère de l’Intérieur stipulent que les Qataries non mariées de moins de 25 ans présentent l’autorisation de leurs tuteurs masculins pour se rendre à l’étranger, contrairement aux hommes qui en sont dispensés à partir de 18 ans. La politique de facto du Yémen exige des Yéménites qu’elles montrent l’autorisation de leurs tuteurs masculins pour obtenir un passeport.
Le Qatar autorise également ces derniers à demander à un tribunal d’imposer des interdictions de voyager à l’une de leurs parentes, y compris leurs épouses. Les autorités en Iran, à Gaza (Palestine), en Arabie saoudite et au Yémen autorisent également les tuteurs masculins à interdire aux femmes de voyager à l’étranger.
Certaines restrictions sont relativement nouvelles. Les autorités du Hamas à Gaza ont émis des restrictions en février 2021, ce qui signifie qu’une célibataire, même si elle est en mesure de quitter Gaza malgré les restrictions de mouvement draconiennes imposées par Israël et l’Égypte, peut être empêchée de voyager dès que son tuteur masculin demande une interdiction au tribunal. En août 2022, les autorités houthistes du Yémen, qui contrôlent de grandes parties du pays, ont durci les restrictions afin que les femmes ne puissent voyager ou quitter leur région sans mahram, notamment à l’étranger. En mai 2023, l’Agence libyenne de sécurité intérieure, un organisme lié au gouvernement d’unité nationale basé à Tripoli, l’un des deux gouvernements libyens rivaux en lice pour le contrôle du pays, a commencé d’exiger des Libyennes sans escorte masculine qu’elles remplissent un formulaire détaillé sur les raisons de leur déplacement actuel et passés.
Les femmes peuvent également être confrontées à des restrictions discriminatoires lorsqu’elles voyagent à l’étranger avec leurs enfants. Quatorze pays de la région n’autorisent pas les femmes à faire la demande de passeports pour leurs propres enfants sur un pied d’égalité avec les hommes. Neuf pays exigent, officiellement ou en pratique, que les femmes obtiennent l’autorisation du père de l’enfant pour voyager à l’étranger avec leurs enfants, tandis que les hommes ne sont pas soumis à une exigence similaire.
« Même si les activistes parviennent à obtenir certaines libertés pour les femmes, les autorités cherchent à en réduire d’autres, ce qui fait non seulement reculer les droits des femmes, mais nuit aux enfants, aux familles et à la société », a conclu Rothna Begum. « Tous les gouvernements du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord devraient éliminer l’ensemble des restrictions discriminatoires – y compris les règles de tutelle masculine – qui entravent la liberté de mouvement des femmes. »
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