samedi 29 juillet 2023

Pierre Sané, ancien secrétaire général d’Amnesty International : Quand la résistance est fondée sur la justice, la liberté et l’égalité, elle gagne

 Le 3 juillet, M. Pierre Sané, fondateur et président de l’Institut Imagine Africa, ancien sous-directeur général de l’UNESCO pour les sciences sociales et humaines et ancien secrétaire général d’Amnesty International, figurait parmi les éminents orateurs de la conférence internationale consacrée au massacre des prisonniers politiques en Iran en 1988.

La réunion s’est tenue au siège du Conseil national de la Résistance iranienne à Auvers-sur-Oise, en banlieue parisienne. Fort d’une expérience de plusieurs décennies dans la défense des Droits de l’Homme, M. Sané a abordé des sujets sensibles tels que le silence assourdissant et l’inaction de la communauté internationale face aux graves violations des Droits de l’Homme en Iran.

Voici le texte intégral de l’intervention de M. Pierre Sané :

Bonjour à tous. Chers amis, chers participants, chers anciens collègues.

Les biographies parlent du passé. Mais ma biographie, l’avenir, est en fait écrite par ma fille, qui est une défenseuse des Droits de l’Homme et une avocate. Elle a été invitée en décembre 2016 pour prononcer un discours lors d’une conférence sur le massacre de 1988, l’impunité et la nécessité de rendre des comptes.

Aujourd’hui, elle travaille à Kiev dans le bureau du procureur qui poursuit les crimes de guerre commis, je l’espère, de tous les côtés. Elle est également avocate et travaille dans les camps de réfugiés au Bangladesh avec les réfugiés Rohingya, en essayant d’obtenir une assistance judiciaire pour certains d’entre eux. La semaine dernière, elle était au Congo.

Ma biographie ne fait donc que commencer avec ma fille, et j’espère que nous continuerons à former une famille très dynamique dans le domaine des Droits de l’Homme.

Les Droits de l’Homme sont à nouveau en crise. Dans les années 1990, lorsque j’étais à Amnesty International, nous pensions que nous vivions les pires moments en matière de Droits de l’Homme. Il y avait eu le génocide en Serbie. Il y a eu le génocide au Rwanda, des guerres sans fin en Afrique, qui se sont soldées par l’invasion de l’Irak, suivie par des décennies de guerre contre le terrorisme, avec toutes les violations des Droits de l’Homme que ces conflits ont engendrées.

Mais il semble que ce passé n’ait pas été si terrible que cela si l’on considère ce qui se développe depuis le début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Mais à travers tous ces événements, ces bouleversements et ces violations flagrantes des Droits de l’Homme, il semble que l’Iran soit resté le cimetière des Droits de l’Homme, le cimetière où les violations des Droits de l’Homme ont lieu, presque dans l’indifférence de la communauté internationale.

En ce qui concerne les violations des Droits de l’Homme, j’ai relu ce matin le dernier rapport d’Amnesty International. L’Iran coche toutes les cases : massacres, tortures, exécutions et disparitions forcées, violences faites aux femmes, confiscation des libertés et des libertés publiques, violence de la répression.

Mais il semble qu’il y ait des difficultés à organiser la solidarité internationale, en particulier parmi les mouvements progressistes. Et je parle du point de vue d’une organisation progressiste, étant moi-même non seulement un défenseur des Droits de l’Homme, mais aussi un vieux marxiste.

Parmi ces organisations, il semble que nous hésitions à critiquer l’Iran, à critiquer une révolution islamique dans un contexte d’islamophobie généralisée. Il y a donc une hésitation. On hésite à donner l’impression de s’associer à Washington et à l’Occident alors que le gouvernement iranien déploie une rhétorique et une posture anti-impérialistes. Les révolutions colorées manipulées par les puissances occidentales pour parvenir à un changement de régime suscitent également des soupçons.

Pour toutes ces raisons, il semble que les mouvements progressistes mondiaux hésitent à se joindre aux combattants de la liberté iraniens. Mais pour moi, c’est déroutant, car nous parlons de violations des Droits de l’Homme. Et lorsque nous parlons de violations des Droits de l’Homme, nous parlons des victimes, quels que soient les auteurs.

Lorsque nous parlons de violations des Droits de l’Homme, nous parlons du droit international des Droits de l’Homme qui lie tous les gouvernements, quelle que soit leur idéologie. Lorsque nous parlons de violations des Droits de l’Homme, nous parlons de droits universels qui s’appliquent à tous les membres de l’humanité. Et la dernière fois que j’ai vérifié, le peuple iranien était toujours un membre de l’humanité.

Donc, quel que soit le contexte, quelle que soit l’évolution géopolitique, nous ne pouvons pas, pour des raisons politiques, sacrifier notre devoir de solidarité envers tous ceux qui sont victimes de violations des Droits de l’Homme et envers tous ceux qui luttent pour un régime qui respecte les Droits de l’homme. Et cela commence par la fin. Cela commence par la fin de l’impunité.

Prof. Pierre Sané: Iran remains the graveyard of human rights  https://youtu.be/DVsT3ZYfsgc

Il ne peut y avoir de Droits de l’Homme si l’impunité prospère. La fin de l’impunité est la base de la solidarité internationale, qui n’est rien d’autre que l’expression de nos obligations envers d’autres êtres humains. Il n’y a pas de Droits de l’Homme s’il n’y a pas d’obligations humaines. La solidarité est la clé. Nous l’avons montré, la solidarité a permis de mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud, à la dictature militaire en Amérique latine et à la guerre du Viêtnam. Il est temps que nous renforcions notre solidarité dans la lutte pour les Droits de l’Homme en Iran.

Pour conclure, je dirais que la Résistance iranienne doit tendre la main aux gouvernements du Sud, et pas seulement à ceux de l’Occident, pour défendre son point de vue, pour informer et pour gagner la bataille. Le mouvement progressiste doit être vigilant face aux réarrangements géopolitiques mondiaux.

Pendant 50 ans, les Droits de l’Homme ont été entravés par la division orient-occident. Nous assistons aujourd’hui à un nouveau clivage entre l’Occident et le Sud, en particulier avec la montée en puissance des BRICS. Nous devons faire pression sur les BRICS pour qu’ils expriment clairement leur engagement en faveur des Droits de l’Homme universels et qu’ils utilisent cet engagement pour filtrer toute nouvelle application.

Oui, les mouvements progressistes doivent maintenant donner la priorité à l’Iran aux côtés du mouvement des Droits de l’Homme. Lorsque la résistance est fondée sur la justice, la liberté et l’égalité, elle gagne parce qu’elle devient l’incarnation du peuple. Et aucun gouvernement ne peut gagner le peuple.

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