vendredi 2 décembre 2016

Vous, femmes françaises, hommes français, pourriez-vous vivre ce que les hommes et les femmes en Iran vivent ? (Ingrid Betancourt)

 Ingrid Betancourt intervenait samedi à la conférence consacrée à l’impunité des responsables des massacres en Syrie et en Iran, à la Maison de la Mutualité à Paris.
Elle a soulevé le cas de Maryam Akbari Monfared une iranienne emprisonnée aujourd’hui et qui réclame justice. Elle s’est également interrogée sur le silence de certains milieux en France à propos violations des droits de l’Homme en particulier de la situation des femmes en Iran :
« Vous, femmes françaises, hommes français, pourriez-vous vivre ce que les hommes et les femmes en Iran vivent ? La réponse elle est « non ». Nous ici, en France, nous ne voulons pas de terroristes. Nous sommes en train de réfléchir comment éviter qu’ils viennent dans notre pays, mais nous nous accommodons très bien que les terroristes soient au pouvoir en Iran. »
Ingrid Betancourt, l’ancienne otage franco-colombienne qui fut sénatrice et aspirante présidentielle en Colombie, intervenait aux côté de Maryam Radjavi, la présidente élue de la Résistance iranienne et de personnalités et de juristes éminent comme Fatoumata Dembele Diarra, qui fut juge du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et de la Cour pénale internationale (CPI); Sir Geoffery Robertson, Président de la Cour des Nations Unies pour la Sierra Leone; Jelia Sane, avocate internationale, Florence Berthout, maire du 5e arrondissement de Paris, Mgr. Jacques Gaillot; Tahar Boumedra, ancien chef du bureau des droits de l'homme de l'UNAMI en Irak, l'ancien premier ministre algérien Sid Ahmed Ghozali, ancien porte-parole du gouvernement jordanien et ministre de l'Information, mais aussi des personnalité d’opposition syrienne comme Haitham Maleh, président du Comité juridique de la Coalition syrienne; Michel Kilo, membre du bureau politique de la Coalition nationale de la révolution syrienne et des forces de l'opposition; Brita Hagi Hasan, président du Conseil municipal d'Alep ou Fadel AbdulGhany, directeur du Centre syrien des droits de l'homme.

Ingrid Betancourt s’est adressé en ces termes à cette conférence :
« Après ces mots très forts de Maryam Radjavi, je me sens portée comme vous tous, portée par cet optimisme et cet espoir, et surtout me vient la réflexion évidente du chemin que nous avons parcouru jusqu’à maintenant. Il y a cinq ans lorsque nous nous réunissions et que nous parlions, nous nous demandions si en faisant ces débats et en nous réunissant, on obtenait quelque chose, si finalement quelqu’un nous écoutait. On était à la défensive, vous vous rappelez ? Il fallait qu’on s’excuse tout le temps, il fallait qu’on explique pourquoi on était là, pourquoi on croyait en Maryam, pourquoi nous étions solidaires de la Résistance Iranienne. Nous étions à la défensive, oui, mais maintenant nous passons à l’offensive, parce que depuis que nos amis du Camp d’Ashraf, ensuite malheureusement du Camp Liberty sont arrivés à Tirana, quelle victoire.

Bravo, Maryam, quelle victoire. Alors maintenant nous pouvons passer au travail. Maintenant nous pouvons passer à l’attaque, à l’offensive et pour nous, passer à l’offensive c’est dénoncer, c’est parler, c’est montrer. Ne plus avoir peur de mettre le doigt sur ceux qui ont commis des crimes atroces en Iran. Parce que nous sommes aujourd’hui au moment où il nous faut nous unir pour exiger justice. Alors, la justice c’est quelque chose qui nous file entre les mains. Quand j’étais en captivité, que j’avais perdu mon identité, ma voix, ma liberté, que je me sentais si impuissante dans les mains de mes ravisseurs, j’ai eu la voix de femmes et d’hommes qui ne me connaissaient pas, qui ont parlé pour moi.
Maintenant c’est mon tour de prendre le flambeau, et d’avec ce que j’ai vécu, l’expérience que j’ai, la douleur que j’ai connue, essayer de vous expliquer le combat extraordinaire d’une femme extraordinaire. C’est une belle femme, forte femme, de la même trempe que Maryam Radjavi. Cette femme est plus jeune que moi, mais combien plus courageuse. Son nom, ne l’oubliez pas, Maryam Akbari Monfared.
N‘oubliez pas son nom parce qu’elle qui a tout perdu, qui se retrouve dans la prison la plus tristement célèbre d’Iran, la prison d’Evin, là où les mollahs enferment les plus courageux, ceux desquels ils ont le plus peur, et bien Maryam elle est là-bas. Elle est dans les mains de personnes qui la torturent, qui l’humilient, qui lui font passer des journées de martyrs, éloignée de ses enfants, de sa famille, sans savoir ce qu’il se passe pour les gens qu’elle aime. Et avec le fardeau de ces morts, parce que Maryam, elle en a beaucoup de morts. Elle a la mort de sa sœur, tuée en 1988, exécutée par les mollahs, alors qu’elle avait mise au monde un tout petit enfant ; la mort de ses trois frères, l’emprisonnement de son plus jeune frère de 17 ans, qui a été lui aussi envoyé en prison parce qu’il lisait le journal de la Résistance ; sa mère qui est morte de désespoir quand elle avait juste 40 ans, elle ne pouvait plus continuer à supporter l’idée de la mort d’une de ses filles ; et puis son père, qui est mort des années plus tard de tristesse parce qu’il s’était dit que finalement il ne reverrait plus ses enfants. Et elle, Maryam, seule, isolée, elle a le courage et je devrais dire le culot de prendre sa plume et de demander au monde, d’exiger au monde, que les crimes contre ses frères et contre sa sœur ne restent pas impunis. Il faut beaucoup de courage pour oser depuis une prison défier ceux qui
vous tiennent en captivité.
Je parlais avec notre maire du 5ème, Mme Florence Berhoutm pour une petite chose anodine, je lui disais « nous avons dans le quartier un problème, je voudrais vous en parler », elle me demande « mais pourquoi ? Est-ce que les gens ne le disent pas ? » « Nous sommes libres, nous sommes forts, nous avons du travail, nous avons ce qu’il nous faut et nous avons peur, nous sommes intimidés, nous ceux qui sommes libres. » Et bien Maryam, qui est là-bas, dans sa prison, elle ne se laisse pas intimider. Et elle parle des assassinats de ses deux frères et de sa sœur et elle clame justice. Et elle sait le prix qu’elle va payer pour oser demander, elle qui n’a rien, elle qui est déjà en prison, elle qui n’a pas de voix, elle qui est humiliée, torturée tous les jours, elle ose demander ce que nous nous devons demander à sa place et pour elle et pour tous les 30000 morts des massacres de 1988. C’est son exemple aujourd’hui que nous devons suivre. C’est un exemple qui devrait nous poursuivre, tous
les jours nous hanter, pour nous obliger à nous mobiliser, pour nous obliger à ne pas rester chez nous, et à ne pas nous accommoder de l’horreur humaine. J’ai lu la lettre que sa petite fille Sarah, qui a 11 ans, écrivait. Elle n’a pas vu sa mère depuis ses 3 ans, et cette petite fille raconte l’horreur pour elle du premier jour d’école où tous les enfants arrivaient de la main de leur maman et elle, elle n’avait pas de maman.
Elle a aujourd’hui 11 ans, et elle nous demande de ne pas oublier sa mère.
Eh bien, moi je me souviens de ma fille demandant que les otages en Colombie ne soient pas oubliés, et à ce moment-là quand je l’écoutais par la radio de temps en temps, presque par miracle, je me disais, c’est un combat impossible, c’est lutter contre les moulins à vent, mais je suis là, et un jour, Maryam Akbari Monfared sera là avec nous, ici, à Paris. Parce que notre voix, parce que notre union, parce que notre force va finir par imposer le droit à la justice. Alors il faut qu’on se remue. Vous savez que quand je parle avec le gens et que je parle souvent de l’Iran, je suis choquée quand on me dit, « L’Iran va beaucoup mieux, les choses s’arrangent. Il y a des réformateurs en Iran, et puis les femmes, quand elles sont chez elles, elles peuvent dire ce qu’elles veulent. » Et je me retourne et je leur dis « Et vous, vous qui avez votre liberté, qui avez vos droits, vous pensez que c’est assez comme droits pour une femme de pouvoir dire ce qu’elle veut chez elle ? Vous pourriez vous accommoder, vous, de ce tout petit espace de liberté ? Vous, femmes françaises, hommes français, pourriez-vous vivre ce que les hommes et les femmes en Iran vivent ? La réponse elle est « non ». Nous ici, en France, nous ne voulons pas de terroristes. Nous sommes en train de réfléchir comment éviter qu’ils viennent dans notre pays, mais nous nous accommodons très bien que les terroristes soient au pouvoir en Iran. Eh bien, cette double morale, c’est celle qu’il faut que nous combattions. Et c’est tous ensemble, nous tous ensemble, qui réussirons à combattre cette double morale. Alors je me retourne vers Fatoumata (Fatoumata Dembélé Diarra, ancienne vice-présidente de la Cour pénale internationale).
Fatoumata qui a été une voix portante dans la Cour Internationale de justice, parce que ce cas, celui de Maryam et celui de bien d’autres, doit être ouvert dans la Cour Pénale de justice. Il y a des casiers judiciaires qui doivent être ouverts, et il y a des condamnations qui doivent tomber. Non seulement sur ceux qui n’ont plus de pouvoir en Iran, mais surtout sur ceux qui sont en ce moment dans des positions de pouvoir dans le gouvernement iranien, et c’est contre eux que nous allons, c’est vers eux que se tourne notre quête de justice et nous allons les voir un jour, payer pour les crimes qu’ils ont commis. Merci.

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