Le gouvernement du président Ebrahim Raisi doit mettre fin à la campagne de harcèlement et d’intimidation menée par le régime à l’encontre des familles des victimes de la violence d’État, notamment celles qui sont mortes lors des manifestations de rue.
Comme le montre la liste d’exemples, compilée par le Centre pour les droits de l’homme en Iran (CHRI), qui n’est pas exhaustive, les familles endeuillées en Iran subissent des représailles de la part des mollahs iraniens au pouvoir. Parce qu’elles ont demandé des enquêtes sur la mort de leurs proches et ont réclamé justice.
Au lieu d’être autorisés à faire leur deuil et à rendre publiquement hommage à leurs proches, les agents des services du renseignement et de la sécurité du régime harcèlent les membres de leur famille. Notamment, ils les convoquent pour les avertir de ne pas participer à des rassemblements et à des activités publiques. Ils les arrêtent sans motif valable et cherchent à les faire condamner dans le cadre de procès qui ne respectent absolument pas les normes internationales d’équité.
Voici une liste incomplète de quelques exemples récents de membres de familles en deuil qui se voient refuser le droit de faire leur deuil et de demander justice en Iran.
La famille Afkari
En septembre 2020, Navid Afkari, un champion de lutte âgé de 27 ans, a été injustement exécuté à Chiraz, dans la province de Fars, pour meurtre présumé. En effet, la justice a prononcé la peine capitale à l’issue d’un procès qui ne lui garantissait pas une procédure régulière reconnues au niveau international.
Les agents du régime ont également emprisonné deux de ses frères sans procédure régulière dans le cadre de la même affaire.
Début mars 2022, les autorités iraniennes ont libéré Habib Afkari après trois ans de prison, dont plus de 550 jours d’isolement. Vahid Afkari est toujours en détention en isolement.
Après sa libération, Habib Afkari a pris la parole sur Twitter pour décrire les détails de l’erreur judiciaire ayant conduit à l’exécution de son frère, ainsi que les tortures physiques et psychologiques qu’Habib et Vahid Afkari ont subies en détention.
Des membres de leur famille ont également déclaré avoir été harcelés et maltraités par des agents de la sûreté du régime, notamment :
En décembre 2020, deux mois après l’exécution de Navid Afkari, sa mère et son père étaient placés en détention pour avoir voulu placer une pierre tombale sur la tombe de leur fils. Ils ont été interrogés pendant des heures. Puis, ils ont reçu l’ordre de ne plus tenter de commémorer la tombe.
En juin 2021, alors que Saeed, le plus jeune des frères Afkari, et sa sœur Elham, ainsi que leurs parents et tantes, manifestaient devant la prison d’Adelabad, à Chiraz, pour demander la fin de l’isolement de Habib et Vahid, des agents de la sûreté de l’État les ont attaqués et battus.
En septembre 2021, Saeid et Elham Afkari ont été battus et placés en détention alors qu’ils se rendaient à la prison d’Adelabad pour rendre visite à leurs frères à l’occasion de l’anniversaire de l’exécution de Navid.
En octobre 2021, pour marquer la Journée de Cyrus en l’honneur du roi perse préislamique, les parents d’Afkari ont été arrêtés par les forces de sécurité de l’État. Elles ont confisqué des posters de Navid Afkari.
La famille Ansarifar
Farzad Ansarifar, 27 ans, a été tué en novembre 2019 par une balle tirée par la police à Behbahan, dans le sud de l’Iran, alors qu’il se tenait dans une rue secondaire et observait de loin les personnes qui protestaient contre la hausse soudaine du prix de l’essence. Sa famille a immédiatement fait pression pour qu’une enquête soit menée afin d’identifier et de poursuivre le tueur. Toutefois, elle s’est heurtée au harcèlement du système judiciaire et sécuritaire.
La sœur de Farzad, Farzaneh, a été le premier membre de la famille à être harcelé et poursuivi pour avoir demandé justice. En juillet 2020, on l’a arrêtée et détenue pendant huit jours pour sa participation à un rassemblement dénonçant les lourdes peines infligées aux personnes accusées de protester contre la situation économique désastreuse de l’Iran.
Pendant cette période, sa voiture a été incendiée. Elle a pourtant continué à demander justice pour son frère. Puis, elle a finalement été inculpée de « propagande contre l’État », d' »incitation au grand public » et d' »octroi d’interviews à des médias étrangers » en novembre 2021.
En outre, Farzaneh Ansarifar a été citée à plusieurs reprises à comparaître devant un tribunal pour de fausses accusations portées par l’ancien commandant des forces spéciales de la police de Behbahan, Rahman Badri. Ces accusations comprenaient le « vol d’un ascenseur », une « agression délibérée », la « publication de photos provocantes », l' »insulte au Guide suprême », la « rédaction de slogans » et la « participation aux manifestations de novembre 2019. »
En février 2022, elle a été condamnée à 4,5 ans de prison par la branche 1 du tribunal révolutionnaire de Bandar Mahshahr, dans le sud de l’Iran, pour « rassemblement et collusion contre la sécurité nationale » et « propagande contre l’État », pour sa participation à des manifestations antiétatiques en novembre 2019.
D’autres membres de sa famille ont également été persécutés
En novembre 2021, Amin Ansarifar, le père de Farzad Ansarifar, a fourni un témoignage sur l’assassinat de son fils au Tribunal des atrocités en Iran (Aban) à Londres, créé par trois ONG pour recueillir des preuves de la répression violente par les autorités iraniennes des manifestations de novembre 2019 dans le pays.
Par la suite, Amin et son fils Arman ont été convoqués au tribunal pour répondre aux accusations de « propagande contre l’État ». Lorsqu’Amin a comparu devant le tribunal révolutionnaire de Behbahan en février 2022, il a été placé en détention. Le jour suivant, Arman a également été arrêté et emmené au centre de détention du ministère du renseignement de la ville.
Lorsque Farzaneh s’est rendue au bureau du procureur de Behbahan le 21 février pour se renseigner sur l’arrestation de son père et de son frère, elle aurait été agressée physiquement et menacée d’être arrêtée.
Amin et Arman Ansarifar ont été libérés sous caution le 16 mars 2022.
La famille Bakhtiari
Pouya Bakhtiari (également orthographié Bakhtyari), un jeune homme de 27 ans originaire de Karaj, à l’ouest de Téhéran, a été tué d’une balle dans la tête par les forces de sécurité qui tiraient sur des manifestants en novembre 2019.
Depuis lors, sa mère, Nahid Shirpisheh, et son père, Manouchehr Bakhtiari, ont subi de fortes pressions de la part de l’appareil judiciaire et sécuritaire pour avoir tenté de garder vivante la mémoire de leur fils, notamment par le biais de publications sur les médias sociaux et en s’adressant à des chaînes de langue persane basées à l’étranger.
Fin décembre 2019, les parents ont été convoqués au bureau du ministère du renseignement dans la ville de Karaj et avertis de ne pas organiser de cérémonie sur la tombe de Pouya pour marquer le 40e jour de sa mort. La famille a décidé d’honorer quand même Pouya. Ainsi, le 23 décembre, les deux parents et plusieurs autres membres de la famille ont été arrêtés par les forces de sécurité du régime.
Quelques heures avant son arrestation, Manouchehr Bakhtiari a déclaré au Centre pour les droits de l’homme en Iran qu’en l’espace d’une semaine, il avait été convoqué à deux reprises par le ministère du renseignement à Karaj et par le procureur à deux autres occasions. En effet, les autorités locales ont fait pression sur lui pour qu’il annule le service commémoratif.
En mai 2020, Manouchehr a écrit une lettre, adressée à des responsables internationaux des droits de l’homme, dont la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits humains Michelle Bachelet, pour demander que des pressions soient exercées sur les autorités iraniennes et qu’elles soient tenues responsables du meurtre des manifestants.
En juin 2020, Manouchehr a publié un message vidéo indiquant que les autorités avaient contraint son frère Mehrdad Bakhtiari et lui-même, de participer à un événement en l’honneur du commandant des pasdarans, Qasem Soleimani, après l’assassinat de ce dernier en Irak.
Le 13 juillet, les forces de sécurité de l’État ont arrêté Manouchehr, lors d’un voyage sur l’île iranienne de Kish, dans le golfe Persique. Le 25 août, plusieurs membres de sa famille ont organisé un rassemblement de protestation devant le ministère de l’Intérieur à Téhéran pour demander la libération de Manouchehr. La police est violemment intervenue. Elle a arrêté Bibi-Zahra Bakhtiari, la mère de Manouchehr, âgée de 80 ans, et l’a détenue pendant plusieurs heures.
Dans une vidéo mise en ligne le 2 novembre, Bibi-Zahra a déclaré que son autre fils, Mehrdad, avait également été placé en détention par les forces de sécurité du régime.
Manouchehr a été libéré sous caution le 5 décembre. Son frère Mehrdad a été libéré le 17 décembre après avoir été condamné à une peine de cinq ans de prison avec sursis et à une interdiction de voyager à l’étranger pendant deux ans.
Le 7 avril 2021, Manouchehr et plusieurs proches des victimes des manifestations de novembre 2019 ont été détenus pendant plusieurs heures pour avoir participé à un rassemblement en l’honneur d’As’ad Bakhtiari, un acteur important de la révolution constitutionnelle de 1906 en Iran.
Quelques semaines plus tard, le 29 avril, les forces de sécurité ont pris d’assaut le domicile de Manouchehr à Karaj. Elles l’ont violemment arrêté. À la mi-juillet 2021, il a contacté sa famille depuis la prison centrale de Karaj pour lui annoncer qu’il était condamné à 3,5 ans de prison, à 2,5 ans d’exil (à compter de son incarcération) et qu’il lui était interdit de quitter le pays pendant deux ans.
Dans un message audio provenant de la prison et mis en ligne le 16 juillet 2021, Manouchehr a déclaré qu’on lui avait refusé l’assistance d’un avocat et qu’il n’avait pas été informé de ses séances de tribunal, ce qui l’empêchait d’assurer sa défense.
Dans un message vidéo publié le 13 septembre 2021, l’épouse de Manouchehr, Nahid Shirpisheh, a déclaré que quatre agents de sécurité étaient entrés chez elle, avaient fouillé le bâtiment et confisqué son téléphone portable.
Dans une lettre écrite en prison, lue par son frère Mehrdad et mise en ligne le 14 janvier 2022, Manouchehr a annoncé qu’il avait entamé une grève de la faim pour protester contre son transfert en isolement.
S’adressant au procureur de la République de Karaj, Manouchehr écrit : « … J’ai été [emprisonné] parce que dans la République islamique, demander justice est un crime et les cris de justice doivent être réduits au silence… »
« Sans être informé des charges, ni de la date du procès, ni de l’accès à un avocat, le juge m’a condamné à trois ans et demi de prison pour étouffer les cris de justice d’un père pour son fils décédé… Cependant, que ceux qui ont ordonné et exécuté ce crime soient assurés que, dans un avenir proche, ils seront jugés par un tribunal mis en place par la nation iranienne et punis pour leur acte », a-t-il ajouté.
Nouvelle année, harcèlement et résistance continus
Le 26 mars 2022, les mères des victimes des manifestations de novembre 2019, Pouya Bakhtiari, Vahid Damvar et Ebrahim Ketabdar, ainsi que la mère du lutteur exécuté Navid Afkari, se sont rassemblées autour de la tombe d’Amir Alvandi Mehr, également tué lors des manifestations de novembre 2019 à Chiraz. Elles se sont engagées à poursuivre la lutte pour obtenir justice pour leurs enfants.
Auparavant, après le nouvel an iranien du 21 mars 2022, les proches de plusieurs victimes de la violence d’État étaient descendus dans la rue. Ils avaient distribué des fleurs au public en mémoire de leurs proches disparus : Mahboubeh Ramezani, la mère de Pejman Gholipour, l’une des victimes des manifestations de novembre 2019 ; Behieh Namjoo, la mère du lutteur exécuté Navid Afkari ; la mère (nom inconnu) de Saro Ghahremani, un manifestant mort en détention en janvier 2018 ; et les parents d’Amir-Hossein Zarezadeh, une autre victime des manifestations de novembre 2019.
À Sanandaj, capitale de la province du Kurdistan iranien, la mère du militant politique exécuté Ramin Hossein Panahi a également distribué des fleurs en l’honneur de son fils parmi les personnes participant aux célébrations du nouvel an.
Source : Centre pour les droits de l’homme en Iran
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