Asharq Al-Awsat - Entourée de manifestants qui crient, Nada Saad, une mère libanaise de deux enfants, pleure son désespoir devant la mauvaise gouvernance de son pays par les dirigeants politiques. "Ils se moquent de nous", crie-t-elle lors d'une manifestation dans les rues du centre de Beyrouth.
"Où que nous travaillions, nous n'avons pas de sécurité sociale. Nos enfants obtiennent des diplômes et n'arrivent pas à trouver de travail ", dit Saad, une femme de 51 ans qui dit gagner sa vie comme manucure.
"Nous voulons un métro, nous voulons des bus, nous voulons un train," dit-elle dans un pays avec peu de transports publics.
Saad fait partie des dizaines de milliers de personnes qui ont protesté dans tout le pays samedi, lors d'une troisième journée de troubles de ce type, a rapporté l'AFP.
Tout autour d'elle, des hommes, des femmes et même des enfants sont venus protester près du siège du gouvernement - beaucoup pour la première fois, et plusieurs pour exiger un avenir meilleur pour leurs enfants.
Les familles se pressent autour de la foule, agitant des drapeaux nationaux - le symbole vert du pays d'un cèdre sur un fond de rayures rouges et blanches.
Mais plus près des barrières érigées par les forces de sécurité, les chants sont plus forts et plus déterminés.
"Révolution, révolution", entonnent des manifestants et des manifestantes, quelques-uns portant un foulard sur le visage après que les forces de sécurité eurent tiré des gaz lacrymogènes la veille au soir.
"Le peuple veut la chute du régime", crient-ils à l'unisson, faisant écho à un chant populaire lors des soulèvements qui ont déferlé sur le monde arabe en 2011.
Rien que des dettes
Bien que les manifestations soient alimentées par la colère populaire, jusqu'à présent, leurs objectifs restent peu précis.
Aucune demande spécifique n'a émergée et la plupart des gens veulent simplement exprimer leur colère contre ce qu'ils considèrent comme un système qui ne marche pas.
Le Liban a été pris dans des impasses politiques sans fin ces dernières années, aggravées par huit années de guerre en Syrie voisine.
Dans un pays multiconfessionnel où les mêmes familles sont au pouvoir depuis des décennies, des Libanais de toutes confessions religieuses et de tous horizons se sont réunis ces derniers jours.
Ils en ont assez des coupures d'électricité sans fin, du népotisme paralysant et, à Beyrouth, du spectre imminent des décharges d'ordures sur le point de déborder.
Ils se disent fatigués d'avoir de la difficulté à joindre les deux bouts dans une économie en difficulté et d'un manque de possibilités d'emploi qui pousse de nombreux diplômés à fuir à l'étranger.
La dette publique du Liban s'élève à plus de 86 milliards de dollars, selon le ministère des Finances, l'une des plus élevées du monde.
Selon la Banque mondiale, plus d'un quart de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Au milieu de la foule, Saad dit qu'elle n'a bravé la possibilité de routes fermées pour manifester qu'une fois convaincue que ses compatriotes libanais étaient unis.
"Nous n'avons rien, dit-elle à l'AFP, vêtue d'une chemise noire avec des taches blanches et des lunettes de soleil d'aviateur.
"Rien que des dettes", dit la mère de deux garçons, l'aîné de 25 ans et au chômage.
Non loin de là, Amal Mokdad dit qu'elle en a assez de payer des milliers de dollars par an pour l'éducation privée de ses deux fils.
"Si je ne les mets pas dans ces écoles, ils ne trouveront pas de travail ", dit-elle au sujet de ses garçons de sept et onze ans.
"Et même là, quand ils en trouveront un, ils recevront un salaire de 600 $ ", dit-elle, dans un pays où le salaire minimum n'est que de 450 $.
A ses côtés, Lamia Berro, 38 ans, participe à sa toute première manifestation entourée de ses trois filles, après avoir été émue par le sort des jeunes manifestants de son quartier.
"Nous avons vu à quel point les gens souffrent", dit-elle.
"On ne peut pas continuer comme ça."
"Nous nous moquons de ce que les politiciens ont répondu", dit-elle, au lendemain du jour où le Premier ministre Saad Hariri a donné trois jours aux membres du cabinet pour se rallier autour de réformes clés.
"Nous les avons toutes essayées, même les générations précédentes, et nous avons décidé que nous ne pouvions pas continuer comme ça ", dit-elle.
"Le peuple veut maintenant décider de l'avenir du pays."
Alors que les protestations se multiplient le soir, des tracts rouges apparaissent parmi la foule.
"Partez, disent-ils, à côté des images du premier ministre sunnite Hariri, du président chrétien Michel Aoun et du président du parlement chiite Nabih Berri.
Fadi Karam, un quadragénaire qui dit travailler dans la construction, affirme que l'élite politique est également responsable.
"Tous les dirigeants, toutes les personnes corrompues de l'État sont responsables, dit-il.
"Les gens sont fatigués. Ils n'ont pas d'argent ", dit-il le lendemain de l'arrestation de dizaines d'entre eux à la suite d'incendies de poubelles et de vitrines brisées de magasins dans le centre de Beyrouth.
Karem Monzer, un diplômé en cinéma de 23 ans qui essaie toujours de rembourser ses dettes, dit qu'il n'est pas d'accord avec le vandalisme.
"Mais nous ne pouvons pas blâmer les pauvres qui ont faim, dit-il. "Et si un peuple a faim, il mangera ses chefs."
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