mercredi 31 janvier 2024

Lettre ouverte au Haut Commissaire aux droits humains des Nations Unies, Volker Türk et à la Haute Commissaire adjointe, Nada Al-Nashif

 Monsieur le Haut Commissaire aux droits humains, Madame la Haute Commissaire adjointe,

Nous, Organisations de la société civile œuvrant à la promotion des droits humains en République islamique d’Iran, sommes gravement préoccupées par l’annonce de la visite de la Haut-Commissaire adjointe Nada Al-Nashif en République islamique d’Iran du 2 au 5 février 2024.

Nous reconnaissons la valeur du dialogue et de l’engagement, et nous reconnaissons que le Haut-Commissariat aux droits humains (HCDH) a un intérêt légitime à s’engager avec les autorités de tous les pays – y compris les plus difficiles – sur les défis en matière de droits de l’homme. Nous comprenons également que cet engagement fait partie intégrante de votre mandat.

Toutefois, dans ce cas précis, le calendrier de cette visite, le contexte dans lequel elle se déroulerait et ses modalités soulèvent de très sérieuses préoccupations. Nous vous demandons respectueusement d’entendre ces préoccupations et de reconsidérer l’opportunité, le calendrier et les modalités de cette visite.

Tout d’abord, le calendrier de cette visite nous préoccupe au plus haut point. Comme prévu, elle aurait lieu quelques semaines seulement avant le début de la 55ème session du Conseil des droits humains des Nations Unies (CDH), risquant d’interférer avec une session cruciale au cours de laquelle le Conseil entendra les rapports et discutera de l’avenir des deux mandats existants sur les droits humains en Iran : le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme en Iran et la Mission internationale indépendante d’établissement des faits des Nations Unies sur la République islamique d’Iran.

Au vu des expériences passées, nous pouvons prévoir que les autorités iraniennes tenteront d’instrumentaliser leur engagement formel avec votre Bureau et de l’utiliser comme outil de propagande pour saper le soutien à ces mécanismes de surveillance, de rapport et d’enquête existants et très nécessaires établis par le Conseil des droits de l’homme. Bien que nous apprécions l’engagement diplomatique en tant que complément au travail régulier de surveillance, de rapport public et d’enquête, nous savons également que les autorités iraniennes, conformément à leur position constante, défendue publiquement à maintes reprises au Conseil des droits humains, joueront l’engagement diplomatique contre les mécanismes de reddition de comptes.

Dans ce contexte, nous croyons fermement que le HCDH a la responsabilité de ne pas laisser ses activités légitimes d’engagement être instrumentalisées pour saper d’autres mécanismes qui sont essentiels à la promotion et à la protection des droits humains en Iran. Pour éviter cela, nous vous demandons instamment de reconsidérer le calendrier de cette visite et de mettre en place une stratégie solide pour atténuer ce risque.

Deuxièmement, nous craignons qu’une visite dans le contexte actuel n’ait que peu de chances d’aboutir à des résultats positifs. Nous sommes tout à fait d’accord avec votre évaluation selon laquelle les questions de la peine de mort et des droits des femmes et des filles nécessitent une attention urgente. Cependant :

– Nous devons faire remarquer que les autorités iraniennes n’ont montré aucun signe de volonté politique de s’attaquer à ces problèmes de longue date. Cette visite aurait lieu dans un contexte alarmant d’exécutions, comme vous l’avez souligné à juste titre, Monsieur le Haut Commissaire, dans une déclaration récente[1], y compris l’exécution plus tôt dans la journée de quatre prisonniers kurdes, qui fait suite à l’exécution la semaine dernière d’un jeune homme handicapé mental condamné pour sa participation aux manifestations de 2022 et d’un prisonnier kurde, tous condamnés à mort à l’issue de procès manifestement inéquitables et malgré les appels répétés à mettre fin à ces exécutions. La visite aurait également lieu dans un contexte marqué par la répression meurtrière, violente et illégale du mouvement national « Femmes, vie, liberté », et par l’aggravation des législations et politiques dégradantes et discriminatoires à l’égard des femmes et des jeunes filles. Les déclarations publiques des autorités iraniennes, ainsi que leurs actes législatifs et exécutifs, indiquent clairement un rejet global des demandes de réformes en matière de droits de l’homme sur ces deux questions.

– Nous remarquons également que les autorités iraniennes ont largement utilisé l’appareil répressif iranien pour réduire l’espace civique, censurer les discussions sur ces questions et persécuter les défenseurs des droits des femmes et les militants contre la peine de mort, comme l’a abondamment documenté votre Bureau. Un symbole de cette persécution permanente est l’emprisonnement continu et les récentes nouvelles condamnations de Narges Mohammadi, lauréate du prix Nobel de la paix, militante contre la peine de mort et pour les droits des femmes.

Nous ajoutons que le récent refus de l’Iran de discuter de la peine de mort et de certains aspects des droits des femmes avec le Comité des droits de l’homme des Nations Unies lors de l’examen de son rapport périodique en octobre 2023, ainsi que le refus de l’Iran d’autoriser toute mention des droits humains ou de l’égalité entre les sexes dans l’Accord-cadre de coopération pour le développement durable des Nations Unies (UNSDCF)[2] qu’il a récemment signé, jettent un doute très sérieux sur l’engagement véritable et sérieux des autorités iraniennes à aborder de manière significative ces questions de droits de l’homme dans le cadre de leur engagement avec les Nations Unies.

Dans ce contexte, nous ne pouvons qu’être sceptiques quant aux résultats concrets et aux avantages d’une visite de haut niveau à Téhéran pour l’avancement des droits de l’homme de la population iranienne, à moins qu’elle ne comprenne une forte composante de surveillance, des garanties d’accès aux acteurs indépendants de la société civile, aux défenseurs des droits de l’homme, y compris des échanges non surveillés avec des défenseurs arbitrairement détenus et un soutien à leur libération.

Ces éléments justifieraient à notre avis pleinement la nécessité d’une visite dans le pays, par opposition à d’autres modalités d’engagement, telles que l’engagement continu et régulier actuel du HCDH avec les responsables iraniens à Genève.

Nous craignons cependant qu’à défaut d’inclure ces éléments de contrôle, une visite de haut niveau du HCDH à Téhéran, dans le contexte actuel et à ce moment précis, soit non seulement peu susceptible d’entraîner des progrès sur les deux questions de droits humains en question, mais aussi d’être utilisée à mauvais escient par les autorités iraniennes comme un outil de propagande pour saper les mandats existants de l’ONU. Cette situation pourrait en fin de compte saper la confiance que les défenseurs iraniens des droits de l’homme, les victimes de violations des droits humains en Iran et la population dans son ensemble placent dans le système des Nations Unies.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons respectueusement, Monsieur le Haut Commissaire, Madame la Haut Commissaire adjointe, de reconsidérer soigneusement l’opportunité, le calendrier et les modalités de cette visite.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Haut Commissaire, l’expression de mes sentiments distingués,

Abdorrahman Boroumand, Centre pour les droits humains en Iran

Organisation des droits de l’homme d’Ahwaz

Tous les droits de l’homme pour tous en Iran

ArcDH – Association pour la défense des droits de l’homme et des revendications démocratiques / culturelles du peuple Azerbaidjanais – Iran

Source : CSDHI 

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