À l’occasion de la Journée internationale de la femme, aujourd’hui le 8 mars, l’avocate iranienne et lauréate du prix Nobel de la paix, Shirin Ebadi, a fait part de ses réflexions sur l’état des droits des femmes en Iran lors d’un entretien avec le Centre pour les droits de l’homme en Iran (CDHI).
Mme Ebadi défend depuis longtemps les droits des femmes en Iran et lutte contre la discrimination généralisée à laquelle les femmes sont confrontées dans les domaines du droit de la famille, de l’emploi, de l’éducation, des voyages, des fonctions politiques, de la citoyenneté et dans d’autres domaines.
Née à Hamadan, dans le nord-ouest de l’Iran, Shirin Ebadi a obtenu son diplôme en droit et son doctorat en 1971, tous deux à l’Université de Téhéran. Elle était la première femme juge de l’histoire de l’Iran. Mme Ebadi a fondé le Centre des défenseurs des droits de l'homme (DHRC) et a reçu le prix Nobel de la paix pour son travail en faveur des droits de l'homme, la première Iranienne à le recevoir, en 2003. Elle a joué un rôle de premier plan dans la défense des droits des femmes et des enfants en Iran et a également défendu de nombreux dissidents au cours de sa carrière. Mme Ebadi réside en à l’étranger depuis 2009, en raison de la persécution des autorités officielles pour son travail en faveur des droits humains.
Au cours de cette interview, l’avocate de renom a évoqué les problèmes auxquels les femmes sont confrontées en Iran, ainsi que le rôle crucial que jouent les actes de bravoure individuels et l’engagement de la communauté internationale à défendre les droits humains. Mme Ebadi a exprimé avec force que la Constitution iranienne - et une structure politique conférant l’autorité politique ultime à un Guide suprême non élu - constituent les principaux obstacles aux droits des femmes en Iran. Elle a également exprimé sa déception auprès du Président Hassan Rouhani, qui, a-t-elle noté, s’est beaucoup engagé mais n’a pas tenu ses promesses sur les droits des femmes. L'interview complète suit ci-dessous.
« Tant que la Constitution restera inchangée, les femmes en Iran ne jouiront jamais de de droits égaux ».
Shireen Ebadi, avocate, lauréate du prix Nobel
La loi actuellement en suspens en Iran « Assurer la sécurité des femmes contre la violence » a été envoyée dans la ville de Qom, pour examen clérical. Que pensez-vous de cette législation et de son avenir ?
Bien que le projet de loi comporte de nombreuses lacunes, l’adoption de la loi sera préférable à l'anarchie en Iran. Malheureusement, le pouvoir exécutif a également été passif à cet égard. Plus important encore, il ne suffit pas d’établir une règle. D'autres actions sont également nécessaires. Je vais donner un exemple : de nos jours, selon la loi, si une femme prouve que son mari est violent et abusif, elle a le droit de divorcer. Mais si elle n’est pas financièrement indépendante et si le gouvernement n’a pas désigné d’organisations d’aide aux femmes divorcées, comment peut-elle utiliser son droit légal au divorce ? Supposons qu’elle se rende au tribunal et qu’elle se voit accorder la permission de divorcer. Mais après la séparation, elle doit quitter la maison du mari. Qu’est-ce qu’une femme dans la trentaine peut faire sans travail ni revenu ? Il n’existe pas en Iran d’organisations d’appui pour anticiper les besoins des femmes dans de telles conditions. Donc, malgré la nécessité de cette loi, sa simple existence ne suffit pas.
Y-a-t-il des mesures que les défenseurs des droits des femmes peuvent prendre pour contribuer à l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes en Iran ?
Les militantes des droits des femmes doivent utiliser tous les moyens possibles pour stimuler la société et la pensée du public. Il existe de nombreuses méthodes différentes. Parce que l'innovation des femmes dans ce domaine est très efficace.
Je me souviens de la modification de la loi sur la garde après le décès d'Aryan Golshani (la jeune fille qui a été livrée à son père à l'âge de 7 ans après le divorce de ses parents, conformément à la loi iranienne, et est décédée à l'âge de 9 ans après avoir été affamée et battue par son père toxicomane). Aryan avait été laissée dans la maison de son père après le divorce de ses parents en raison d’une loi imparfaite, et sa mort avait entraîné une modification positive de la législation de la garde au sujet des femmes. En fait, la mort épouvantable d'une petite fille a révélé les failles de la loi et a poussé la société à exiger un changement des lois sur la garde. L’innovation des militantes des droits des femmes est donc très importante pour ce qui doit être fait à différents moments.
Un autre exemple est Vida Movahhed (la jeune femme qui a protesté contre le hijab forcé en retirant son foulard en public, initiant ainsi un vaste mouvement de désobéissance civile au cours duquel de nombreux hommes et femmes ont publiquement protesté contre le hijab obligatoire) qui a fait quelque chose de très novateur et important et qui a l’attention sur son travail. Elle se tenait sur une plate-forme, a enlevé son foulard et l’a accroché à un bâton. Sa créativité a ému la société et incité les gens à réévaluer le hijab obligatoire. Atteindre la destination seule ne suffit pas. Nous avons besoin de quelque chose pour aller de l’avant et c’est le rôle des activistes des droits des femmes et de leurs innovations de décider de la manière dont elles veulent franchir cette voie.
En ce qui concerne les femmes victimes de discrimination intersectorielle, y compris les femmes de la communauté LGBTQ, les femmes handicapées et les femmes de minorités ethniques et religieuses, pensez-vous que leur expérience et leurs besoins sont correctement pris en compte dans le mouvement iranien des droits de la femme ? Quelles mesures recommanderiez-vous pour favoriser leur inclusion dans le mouvement ?
Je dois avouer honnêtement que l’on accorde pas beaucoup d’attention à ces questions comme il se doit. Il est essentiel d’accorder une attention particulière à ces problèmes. Parallèlement, j’ajouterais que les membres de ces groupes qui font face à une discrimination intersectionnelle doivent faire entendre leur voix afin que la société en général et les militantes des droits des femmes commencent à les remarquer et à les entendre, ainsi que leurs besoins.
Quels sont les principaux obstacles empêchant les femmes de changer de situation ? Comment la répression exercée par l’État sur la société civile, l’emprisonnement de militantes et les restrictions imposées au fonctionnement de médias indépendants et aux organisations de la société civile affectent-ils le mouvement des femmes ?
La répression officielle exercée sur les militantes et les restrictions imposées au fonctionnement des médias indépendants et d’autres choses que vous avez mentionnées sont autant d’obstacles aux mouvements de défense des droits des femmes. Mais je dois ajouter que l'obstacle le plus important est la Constitution. Parce que la Constitution de la République islamique d’Iran est fondée sur la discrimination et que sa structure impose une discrimination institutionnalisée à l’encontre du peuple iranien. Donc, tant que la Constitution restera en l'état, nous n'obtiendrons jamais l'égalité des droits en Iran. La Constitution stipule que toutes les lois doivent être conformes à la charia islamique et approuvées par les six membres faqih du Conseil des gardiens, qui sont directement choisis par le Guide suprême. Dans la Constitution, nous lisons que toutes les lois doivent être conformes à la charia islamique, mais cela signifie en réalité que toutes les lois doivent être approuvées par le Guide suprême qui est titulaire à vie et est choisi non pas par le peuple, mais par un groupe de religieux, et le Guide suprême est l'autorité politique ultime. Dans un système comme celui-ci, les inégalités et la discrimination ne sont pas si surprenantes. C’est pourquoi nous voyons, à l’occasion, qu’une proposition de loi qui peut profiter aux femmes, n’est pas adoptée par le Conseil des gardiens car elle n’est pas conforme à la loi islamique. Ainsi, la structure actuelle de la Constitution ne laissera jamais de place à l'égalité et à l'élimination de la discrimination.
Comment évaluez-vous la performance de l’administration Rouhani et sa politique en matière de droits des femmes ?
Je trouve que ses politiques sont des promesses verbales vides. Rouhani a fait beaucoup de promesses en faveur des droits et de l’égalité des femmes afin qu’il obtienne le droit de vote lors de l’élection présidentielle. Mais aucune de ses promesses n’a été tenue - même s’il s’agissait de questions qui n’ont pour l’essentiel rien à voir avec la charia et que la Constitution ne les interdisait pas, telles que la présence des femmes dans les stades. Mais Rouhani ne pouvait pas tenir ses promesses. Même à Ispahan, quand ils ont projeté un match de football dans un parc public, l'organisateur de la manifestation a été arrêté pour « menaces faites à la chasteté publique ». Rouhani se tenait là comme une statue et a observé tout ce qui se passait. En général, je ne trouve pas le bilan de Rouhani en matière de droits de l’homme très positif, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes.
Quarante ans après la révolution islamique, comment évaluez-vous les développements au sein du système juridique concernant les femmes ? Quelles sont les principales réalisations et les échecs ?
Au lieu de considérer les quarante années d'histoire, je recommande de remonter quarante et un ans en arrière. Je veux dire que nous devrions comparer la situation actuelle avec ce qu’elle était avant la révolution. Où étaient les femmes en 1978 et où sont-elles maintenant ? Quarante années à elles seules ne suffisent pas pour une évaluation. Nous devrions évaluer les quarante et un dernières années et nous verrons que la condition des femmes est bien inférieure à ce qu’elle était, il y a quarante et un ans.
Comment la communauté internationale peut-elle contribuer à soutenir les demandes légitimes des femmes iraniennes ?
Diverses méthodes peuvent aider les femmes à atteindre leurs objectifs en matière de droits humains. Par exemple, lorsque l’entrée des femmes dans les stades est interdite, les fédérations internationales telles que la FIFA devraient sanctionner l’Iran et ne pas autoriser l’équipe nationale à jouer (jusqu’à ce que les femmes soient autorisées). Ou encore, lorsqu'il est interdit aux femmes de chanter en public, l'UNESCO doit agir. Il existe de nombreuses méthodes de ce type que la communauté internationale peut adopter.
Source : Le Centre pour les droits de l’homme en Iran
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