samedi 4 décembre 2021

Iran : j’ai survécu à un massacre que le monde voulait ignorer

 Par : Ashghar Mehdizadeh

Cela fait maintenant trois mois qu’Ebrahim Raïssi a été investi président du régime iranien. Je reste affligé de constater qu’une grande partie de la communauté internationale reste silencieuse sur sa longue histoire de violations des droits humains, même après que d’innombrables membres de la diaspora iranienne ont cherché à attirer l’attention sur sa réputation de « boucher de 1988 ».

C’était l’année où 30 000 prisonniers politiques ont été systématiquement exécutés dans les prisons de tout l’Iran. C’était à mi-chemin de mes 13 années de détention qui découlaient de mon activisme en faveur de l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI/MEK). Cette affiliation a fait de moi une cible privilégiée de la « commission de la mort » qui avait la charge du massacre de 1988. C’est pratiquement un miracle que j’aie survécu, ayant été détenu tout au long de ce massacre dans la prison de Gohardahst, où Raïssi exerçait une grande partie de son autorité.

Très peu de mes compagnons de cellule et autres prisonniers politiques ont eu autant de chance. Compte tenu de tout ce que j’ai vécu personnellement pendant ces quelques semaines, il devrait être facile pour une personne de l’entendre et d’imaginer l’enfer qui a précédé tant d’exécutions de victimes.

Des années avant le début du massacre, j’ai été témoin de la mort par la torture d’un autre militant qui était avec moi au moment de mon arrestation en 1982. D’autres sont morts par des moyens similaires dans les années qui ont suivi, et les autorités ont menacé de me tuer. Rétrospectivement, de telles menaces et meurtres réels étaient des aperçus du massacre qui se profilait alors – un massacre qui a été initié par une fatwa visant l’OMPI.

Avec cet édit, le Guide suprême des mollahs à l’époque, Rouhollah Khomeiny, a qualifié les membres du principal groupe d’opposition, OMPI, d’ennemis de Dieu et a ordonné à les tuer sans pitié et sans délai. Ebrahim Raïssi a joué un rôle clé dans l’exécution de cet ordre en tant que l’un des quatre responsables de la commission de la mort de Téhéran. Cet organe a directement supervisé les exécutions dans la prison de Gohardacht ainsi que dans la prison d’Evine, et a aidé à accélérer les procédures dans tous les autres centres de détention du pays.

Ce rythme était tout à fait révoltant à l’époque et aurait pu être jugé invraisemblable par la suite sans le témoignage de survivants comme moi, ainsi que les efforts inlassables de l’OMPI pour découvrir les détails du massacre et attirer l’attention internationale. Au plus fort du massacre, j’ai été personnellement témoin de 15 groupes de 10 à 15 prisonniers emmenés dans la salle de la mort de Gohardacht. Quand j’y suis moi-même entré, je me suis évanoui à la vue d’une douzaine de prisonniers pendus simultanément sur une plate-forme surélevée.

Vidéo : Massacre de prisonniers politiques en Iran en 1988 : le témoignage d’Asghar Mehdizadeh

Il existe d’innombrables récits comme la mien, ainsi que d’autres récits qui ne seront jamais racontées. Certains établissements pénitentiaires et quartiers politiques ont été vidés de toute leur population lors du massacre de 1988, ne laissant personne pour rendre compte ni de l’ampleur des tueries ni de la brutalité des procédures qui les caractérisait. L’OMPI a fait de grands efforts pour fournir des informations sur le massacre, mais il a également longtemps souligné la nécessité d’une commission d’enquête des Nations Unies sur le sujet.

Ce besoin est devenu plus urgent à la suite de la nomination de Raïssi à la présidence des mollahs. Une enquête internationale formelle pourrait préparer le terrain pour des poursuite contre Raïssi devant la Cour pénale internationale. En l’absence de cette enquête, l’administration Raïssi et l’ensemble du régime iranien se aurait le sentiment d’impunité renforcé et l’exploiteraient pour nuire d’avantage à la sécurité du peuple iranien. C’est l’un des pires crimes contre l’humanité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Déjà, les chances de rendre des comptes ont été quelque peu diminuées par les efforts du régime iranien pour détruire les sites de fosses communes secrètes où de nombreuses victimes du massacre de 1988 sont enterrées. Amnesty International et d’autres groupes de défense des droits humains ont mis en garde à plusieurs reprises contre ce phénomène, notant qu’avec chaque année qui passe, il devient plus difficile de dresser un tableau complet du massacre. Le silence de la communauté internationale incitera sans doute le régime à accélérer ce processus.

Pire encore, ce silence encouragera également Raïssi et d’autres responsables à accélérer le rythme actuel de répression politique qui rappelle à de nombreux Iraniens le massacre de 1988. Le monde a eu un aperçu des conséquences du silence en 2019 lorsque, plusieurs mois après avoir été nommé à la tête du pouvoir judiciaire, Raïssi a supervisé des aspects clés de la répression d’un soulèvement national qui a fait 1 500 manifestants pacifiques tués par balle et l’emprisonnement systématique de milliers d’autres.

Quand je pense à de tels incidents, je me souviens encore une fois de ma propre épreuve dans les années 1980. Personne ne mérite de subir un tel tourment ou même d’en être témoin, surtout si c’est pour avoir exprimé ses convictions politiques ou pour plaider en faveur d’une gouvernance démocratique. Je sais que les décideurs politiques occidentaux sont d’accord avec cela en principe, mais je sais aussi qu’ils tourneront le dos à ce principe s’ils n’agissent pas rapidement pour enquêter correctement sur le massacre de 1988 et tenir Ebrahim Raïssi responsable de ses actes criminels.

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