Dans une longue déclaration publique intitulée Involvement of Iran’s former diplomats in the cover-up of 1988 prison massacres, Amnesty International rend hommage aux victimes des disparitions forcées massives et des exécutions extrajudiciaires et des massacres des années 1980, et expose en détail le rôle crucial que jouent les représentants diplomatiques de la République islamique d’Iran s’agissant de nier les massacres, de diffuser de fausses informations et de s’opposer à une enquête internationale face à des éléments de preuve croissants.
Quatre décennies plus tard, les responsables iraniens en place emploient des stratégies similaires pour couvrir les crimes de droit international et autres violations graves des droits humains et affaiblir les réponses de la communauté internationale, tandis qu’ils s’efforcent d’écraser les manifestations d’ampleur nationale qui secouent le pays. Ces manifestations ont été déclenchées par la mort en détention de Mahsa (Zhina) Amini en septembre 2022, à la suite d’informations crédibles sur les actes de torture et les mauvais traitements qu’elle a subis.
« Les autorités de la République islamique d’Iran maintiennent une main de fer sur le pouvoir depuis des décennies et commettent horreur après horreur en toute impunité. Elles continuent de dissimuler systématiquement le sort des milliers de dissident·e·s politiques qu’elles ont sommairement exécutés dans les années 1980 et ensevelis dans des fosses communes sans inscription. Elles cachent ou détruisent des sites de fosses communes, et harcèlent et intimident les victimes et leurs proches qui réclament vérité, justice et réparations, a déclaré Diana Eltahawy, directrice adjointe pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.
« Ces massacres ne sont pas des reliques du passé. Cet anniversaire s’inscrit dans le cadre d’une terrible vague d’effusion de sang qui accompagne les manifestations actuelles et se caractérise par des exécutions arbitraires et des condamnations à mort ciblant les manifestant·e·s. Aussi est-il plus urgent que jamais que des pays du monde entier agissent en vue de traduire en justice dans le cadre de procès équitables les responsables iraniens impliqués dans des crimes de droit international. »
Amnesty International demande depuis longtemps à la communauté internationale d’agir en vue d’en finir avec l’impunité pour les crimes contre l’humanité passés et présents qui découlent du massacre des prisons de 1988. En 2021, le Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées et involontaires s’est joint à l’appel en faveur d’une enquête internationale.
Dissimulation des massacres des prisons de 1988
Entre 1988 et 1990, des diplomates iraniens partout dans le monde et des responsables gouvernementaux en Iran ont fait des déclarations similaires, voire identiques, qui rejetaient les allégations dénonçant des exécutions massives en 1988 comme étant une « propagande de mouvements d’opposition » et affirmaient que les meurtres avaient eu lieu dans le contexte de l’incursion armée de l’Organisation des moudjahidin du peuple d’Iran (OMPI), un groupe d’opposition alors basé en Irak.
Amnesty International a recueilli des éléments de preuve attestant de l’implication d’anciens représentants diplomatiques et responsables gouvernementaux en Iran dans cette campagne de dissimulation, notamment des personnes suivantes (entre parenthèses est mentionné leur ancien poste) : Mohammad Jafar Mahallati (représentant permanent de l’Iran auprès de l’ONU à New York), Sirous Nasseri (représentant permanent de l’Iran auprès de l’ONU à Genève), Mohammad Ali Mousavi (chargé d’affaires iranien à Ottawa, au Canada), Mohammad Mehdi Akhoundzadeh Basti (chargé d’affaires iranien à Londres), Raeisinia, prénom inconnu (premier secrétaire de l’ambassade d’Iran à Tokyo, au Japon), Abdollah Nouri (ministre de l’Intérieur), Ali Akbar Velayati (ministre des Affaires étrangères), Mohammad Hossein Lavasani et Manouchehr Mottaki (vice-ministres des Affaires étrangères).
En tant que représentant permanent de l’Iran auprès de l’ONU à New York à l’époque, Mohammad Jafar Mahallati a joué un rôle particulièrement actif dans les manœuvres visant à déprécier les informations crédibles du rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains en Iran de l’époque et d’Amnesty International, et à affaiblir la réponse de l’ONU. En novembre 1988, il a démenti les informations faisant état d’exécutions de masse lors d’une rencontre avec le rapporteur de l’ONU et affirmé à tort que « de nombreux homicides avaient en fait eu lieu sur le champ de bataille ».
En décembre 1988, il a qualifié d’« injuste » une résolution des Nations unies qui exprimait son inquiétude au sujet des massacres de juillet-septembre 1988 et ajouté qu’« une organisation terroriste basée en Irak » était la source principale des « fausses informations ». Selon les médias, dans les semaines précédant l’adoption de la résolution, Mohammed Jaafar Mahallati a redoublé d’efforts afin qu’elle soit abandonnée ou édulcorée, et a édicté comme condition préalable à la coopération de l’Iran avec les Nations unies la suppression des références critiques aux violations systématiques des droits humains par l’Iran, y compris les exécutions massives. Il a fait pression en faveur de l’adoption d’un « texte plus souple qui se contenterait de saluer la décision de Téhéran de coopérer avec la Commission des droits de l’homme [des Nations unies] ».
Le 28 février 1989, Mohammad Jafar Mahallati a également adressé un courrier à Amnesty International qui, une nouvelle fois, « niait l’existence de toute exécution politique » et décrivait les victimes comme « des individus qui, de leur propre aveu, avaient tué 40 000 Iraniens lors d’une offensive contre l’Iran ».
Tentative de dissimulation des homicides perpétrés dans le cadre des manifestations de 2022
Aujourd’hui, les responsables iraniens recourent à des méthodes similaires pour discréditer une nouvelle génération de manifestant·e·s et de dissident·e·s en les qualifiant d’« émeutiers », nier leur implication dans des centaines d’homicides illégaux et faire barrage aux appels en faveur d’enquêtes internationales et de l’obligation de rendre des comptes.
À l’approche d’une session spéciale du Conseil des droits de l’homme de l’ONU en novembre 2022 sur la répression meurtrière du soulèvement populaire en Iran, les responsables iraniens à Genève ont distribué de longues notes d’information : ils imputent les homicides de manifestant·e·s à des « terroristes recrutés », à des « suicides » ou à des « accidents », ou remettent en cause le décès de certaines victimes.
En novembre 2022, Amir Saeed Iravani, représentant permanent actuel de l’Iran auprès de l’ONU à New York, a demandé aux États de s’abstenir de soutenir une réunion informelle des membres du Conseil de sécurité de l’ONU concernant la répression meurtrière visant les manifestant·e·s, qu’ils ont qualifiée de « campagne de désinformation malveillante ». Faisant fi d’un vaste ensemble de preuves sur l’homicide illégal de centaines de manifestant·e·s et de passant·e·s, y compris des mineur·e·s, par les forces de sécurité iraniennes, il a assuré que « le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique est reconnu et garanti par la Constitution de la République islamique d’Iran, et le gouvernement a toujours soutenu la jouissance de ce droit par notre peuple ».
« Depuis des décennies, le gouvernement iranien et ses représentants diplomatiques à travers le monde orchestrent des campagnes de déni et de désinformation pour berner la communauté internationale et priver les personnes concernées et la société dans son ensemble du droit à la vérité. Il est grand temps que les diplomates iraniens révèlent la nature et la source des instructions qu’ils reçoivent de la capitale, et qu’ils lèvent le voile de secret entourant les massacres perpétrés dans les prisons en 1988, qui ne fait que renforcer l’impunité et aggraver la souffrance des victimes et de leurs proches », a déclaré Diana Eltahawy.
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