mercredi 7 février 2018

#IranProtests: L’ONU doit créer un tribunal spécial sur l'Iran pour mettre fin à cette impunité honteuse pour l’humanité - Jean Ziegler


« C'est le Conseil des droits de l'homme qui devrait instaurer une commission d'enquête sur les massacres de 88 et les massacres après. Il nous faut un tribunal spécial pour mettre fin à cette impunité qui est une honte pour l'humanité, » a déclaré Jean Ziegler, vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Il participait le 1er février à Genève à un tribunal citoyendans le dossier du massacre des prisonniers politiques en 1988 en Iran.

Des témoins et des experts juridiques sont intervenus sur ce crime contre l’humanité resté impuni. Rendant leur verdict à l’attention des autorités onusiennes au terme d’une journée de témoignages, ils ont exhorté l'ONU à intervenir contre l’impunité en Iran et la vague actuelle d'arrestations et d'assassinats dans les prisons iraniennes au lendemain des récentes manifestations populaires qui ont ébranlées l’Iran.
Dans son intervention, le grand défenseur des droits de l’homme a déclaré :
« Vous savez que le comité consultatif du conseil des droits de l'homme est un organisme subsidiaire du conseil des droits de l'homme qui est la troisième instance importante des Nations-Unies après l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité. Ce comité est constitué de 18 experts internationaux proposés par leurs pays respectifs mais qui après l'élection par le conseil, sont totalement indépendants.
Pour l'instant je suis le vice-président de ce comité qui est le think tank du Conseil des droits de l'homme, qui prépare les dossiers, qui fait des propositions, qui exécute des mandats, etc.
Notre comité a été saisi de nombreuses fois, et a réagi en conformité, par les crimes commis par la dictature des mollahs de Téhéran depuis 39 ans. Nous sommes ici ce matin à la fois pour deux raisons : pour commémorer et rappeler le martyre d'à peu près 33.000 Iraniens durant les massacres de 1988. Deuxièmement, voir comment on peut mettre fin à l'impunité des assassins qui sont toujours, pour certains d'entre eux, au pouvoir, à l'œuvre. Comment les remettre à la justice internationale, quels mécanismes créer pour mettre fin à cette impunité totalement scandaleuse.
Je voudrais commencer par quelques remarques préliminaires. D'abord mes condoléances profondes adressées aux familles, aux survivants des massacres, aux familles de ceux qui ont perdu des martyres dans les massacres non seulement de 1988, mais les massacres qui continuent jusqu'à ce jour. Mes condoléances profondes.
En deuxième lieu, je voudrais rappeler très rapidement la situation dans laquelle nous parlons aujourd'hui, qui est tout à fait extraordinaire. Le peuple iranien s'est de nouveau lever. Une nouvelle génération. Et c'est vrai que les jeunes qui ont manifesté dans plus d’une trentaine de ville en mettant en jeu leur vie – parce que lorsqu'ils sont arrêtés, ils sont torturés et assassinés, ils le savent – qui ont risqué leur vie, il l’ont fait bien sûr pour protester contre les prix élevés contre la misère économique, contre la corruption des mollahs. Mais en fait profondément, le feu qui les anime, c'est le feu des martyrs de 1988. Ils demandent la liberté, la démocratie, le respect des droits de l'homme. Ils sont nourris certainement par l’exemple héroïque des martyrs de 1988.
Donc il y a une actualité tout à fait extraordinaire du sacrifice de ces héros et héroïnes d'il y a 30 ans.
Je voudrais dire une troisième chose préliminaire. Mon ami Éric Sottas a parlé tout à l'heure de Kazem Radjavi. Kazem Radjavi était le premier délégué du CNRI, du Conseil national de la Résistance iranienne au Conseil des droits de l'homme, très actif dans la société civile internationale genevoise.
Grâce à Kazem Radjavi, et ensuite ceux qui lui ont succédé, jusqu'à Behzad Naziri et d’autres, le contact n'a jamais été rompu avec le Conseil des droits de l'homme. L'ONU a toujours été tenue au courant, formidablement avec précision et intelligence par le CNRI.
Je parle de Kazem Radjavi parce qu'il a été assassiné dans un village à quelques dizaines de kilomètres d'ici, à Tannay, par les tueurs de Téhéran restés impunis jusqu'à ce jour, en avril 1990 et je ne peux pas parler devant un auditoire comme celui-là sans honorer le travail et la mémoire de cet homme tout à fait extraordinaire qui lui aussi a payé de sa vie pour rendre publics les crimes des mollahs.
Nous étions très liés, il était professeur à la même université que moi à Genève, membre du même parti socialiste genevois. Un mot sur Kazem à cette occasion, ici. J'ai discuté assez longtemps avec un de mes collègues au Conseil national qui s'appelait M. Lebas qui a été conseiller d'État chargé de la justice et de la police du canton de Vaud. Kazem et sa famille habitaient à Tannay, dans le canton de Vaud. J'ai demandé au gouvernement, à ce ministre de la Justice de Vaud, d’organiser une protection pour Kazem Radjavi. Kazem Radjavi a refusé. Le gouvernement vaudois a dit oui, qu'il vienne nous voir, on va organiser une protection policière à Tannay, dans sa région où il habite. Et Kazem a dit : jamais. Et je lui ai dit : tu es fou, pourquoi ? Tu sais que tu es menacé. Il m'a dit : mes camarades n'ont pas de protection, nulle part au monde, je n’en n’aurai pas. Et il en est mort. Ça c'est l'héritage des héros de 1988.
Maintenant l'espoir qui s’est levé avec ses manifestations d'il y a quelques jours, quelques semaines, et qui vont certainement continuer et qui sont payées aussi au prix du sang par ceux qui ont manifesté, rappellent Jean Jaurès qui a dit : « la route est bordée de cadavres, mais elle mène à la justice. » Donc ce qui se passe aujourd'hui en Iran révèle une formidable espérance. L'héritage, l’exemple, le martyre, le sacrifice des héros et héroïnes de 1988 est réincarné dans la jeune génération qui se lève aujourd'hui pour les mêmes valeurs de démocratie, indépendance et de liberté en Iran.
Le premier grand massacre public
La première, je reviens rapidement à deux ou trois points de l'histoire qui me semble importants et qui permet de situer ce que je demanderai dans la deuxième série de remarques. Vous savez que Khomeiny est revenu en Iran en 1979 dans un Iran où le chah venait de s'enfuir et où la principale force sociale était les Moudjahidine du peuple. Pourquoi ? Parce que les Moudjahidines du peuple étaient la principale force de résistance contre la dictature du chah. La Savak, la police et Gestapo du chah, a liquidé tous les fondateurs des Moudjahidine du peuple. Le successeur des fondateurs, je prends un exemple, Massoud Radjavi a survécu, il est sorti de prison 10 jours avant l'arrivée de Khomeiny.
Les Moudjahidine du peuple jouissaient d'un immense prestige grâce à cette résistance à la dictature du chah. Massoud était condamné à mort. Il a été sauvé en toute dernière minute parce que Kazem est allé voir le président de la Confédération (suisse) qui était Pierre Graber à l'époque. Pierre Graber a accepté d'aller voir à Saint Moritz où le chah d'Iran était en vacances dans un hôtel de super luxe, pour demander la grâce de Massoud au chah. Le chah ne pouvait pas refuser au président de la Confédération helvétique ce service. À quelques instants près, peut-être à quelques heures près de l'exécution, Massoud a été sauvé. Il est devenu tout naturellement avec les Moudjahidine du peuple, la force sociale la plus crédible dans cet Iran où arrivait Khomeiny.
Mais il y a eu une seule rencontre entre eux Khomeiny et la délégation des Moudjahidine du peuple conduite par Massoud en octobre 1980. Et Khomeiny a dit : je vous donne des postes de ministres, je vous donne tout ce que vous voulez, je vous associe au gouvernement, mais vous devez accepter avec moi d'écraser « les ennemis de Dieu ». C'est-à-dire d'instaurer la dictature islamiste. Et les Moudjahidine du peuple ont refusé. Massoud a dit : pas question, nous avons perdu tant de camarades, nous avons payé un prix tellement élevé dans la lutte contre la Savak et dans les prisons et sous la torture. Nous, on est là pour instaurer la démocratie, l’indépendance, la souveraineté, les droits de l'homme en Iran.
Et cela a été la rupture. Et rapidement, évidemment le conflit s'est envenimé. La persécution a commencé presque immédiatement. Le pire moment a été le tournant, comme disent les Moudjahidine du peuple, le 20 juin 1981.
Une immense manifestation publique organisée ce jour-là par les Moudjahidines du peuple, j'ai vu les photos dans des archives, au moins 500 000 personnes à Téhéran qui revendiquaient la liberté, qui revendiquaient la démocratie. Et là, pour la première fois, les services de Khomeiny, les pasdaran tirent dans la foule et c'est le premier grand massacre public. À partir de là, les Moudjahidine, les démocrates en général, les combattants de la liberté sont en clandestinité, sont persécutés. Persécutions qui culminent en 1988.
Les tenants du deuxième islam des Lumières
Cette rupture, c’était la violence fasciste cléricale impitoyable contre un mouvement, contre des hommes et des femmes de toutes générations, de toute religion aussi, qui demandait l'instauration de la démocratie, l'instauration de la liberté. Et qui témoignaient, ce qui est formidable jusqu'à ce jour pour les Moudjahidine ou pour le CNRI en général, d'un islam démocratique, d'un islam des lumières. C'est pour cela que ce mouvement est tellement important, cette résistance iranienne est tellement importante pour le monde entier.
Parce qu'il y a 1,1 milliard de musulmans dans le monde qui sont traversés par d'effroyables perversions, vous le savez, des djihadistes, la dictature des mollahs iraniens, etc. Là vous avez les témoins, les témoins du sang, d'un islam démocratique, d’un islam des Lumières et d'un islam qui incarne tout l'immense héritage ibérique d’Averroès, de tous les très grands penseurs et savants islamiques du temps de l'Islam des lumières, celui de Cordoue, des 12e, 13e et 14e siècles, celui de Grenade, etc.
On a souvent appelé les Moudjahidine du peuple, les tenants du deuxième islam des Lumières. C'est pour ça que ce mouvement de résistance iranienne, qui se fait non seulement au nom des valeurs dont j'ai parlé tout à l'heure, mais au nom d'un islam tolérant - et la plupart des amis que j'ai parmi les Moudjahidine sont des musulmans profondément croyants, ce sont des hommes et des femmes de foi. Mais une foi tolérante, une foi fidèle au Coran, une foi totalement des Lumières. Et c'est pour ça que ce mouvement, je le répète, est d'une telle importance.
Il me vient à l'esprit une référence historique qui dit bien ce qui est ma pensée ici. À Varsovie, le commandant-en-chef des troupes d'occupation russes qui écrasaient l'insurrection du peuple de Varsovie a vu fleurir sous le palais où il habitait une banderole qui était posée la nuit par les insurgés polonais qui luttaient pour la liberté contre l'occupation tsariste. La banderole disait : « pour notre et votre liberté » s'adressant aux troupes d'occupation défendant une puissance tsariste effroyable, du servage etc. Les insurgés disaient nous luttons bien sûr pour notre liberté, mais aussi pour la vôtre.
Et les Moudjahidine du peuple et le CNRI peuvent dire, exactement dans la même situation, leur combat est aussi pour notre liberté. Puisque nous avons besoin d'un islam des Lumières de coexistence, de collaboration pacifique, de coopération. Il y a une dimension universelle non seulement dans le sacrifice des martyres de 1988 mais dans le sacrifice de ceux qui aujourd'hui maintenant, en cet instant, sont torturés et qui meurent et qui n'abjurent pas et qui ont manifesté il y a quelques semaines dans plus de 30 villes de l'Iran. Il y a un lien organique, presque charnel, entre eux et nous, entre leurs sacrifices et notre liberté qui est défendue par eux.
Cette impunité doit cesser
Maintenant j'arrive à la dernière série, la deuxième série de mes remarques. Et c'est pour ça que notre solidarité ne doit pas être simplement morale et verbale. Mais elle est politiquement essentielle. Si des tueurs comme les mollahs, ces dictateurs qui sont là depuis 39 ans, impunis, continuent à sévir - et j'ai ici le livre « Fallen for Freedom », le CNR il a édité la liste de 20 000 martyrs sur les 120 000 qui sont tombés depuis l'arrivée de la dictature des mollahs. Il y a ici la fatwa de Khomeiny qui a ordonné les massacres 1988. Il y a ici la liste, avec l'âge et les photos - c'est effrayant j'ai passé la nuit à les feuilleter - de tous ces martyrs qui continuent de tomber pour notre liberté.
Cette impunité doit cesser. Comment elle peut cesser ? Par la mobilisation enfin de cette opinion publique occidentale traversée par des raisons d'État, par des raisons commerciales, des recherches du profit. La perse est un immense pays très riche, avec des séductions capitalistes nombreuses à offrir à l’oligarchie capitaliste, au capital financier globalisé d'Occident. Donc l'opinion publique européenne doit se réveiller.
La réunion de ce matin et je remercie encore une fois la société civile de l'avoir rendue possible, participe à cet effort. Elle doit se réveiller et demander que l'impunité cesse.
Plusieurs orateurs et d'autres ont demandé cette enquête de l'ONU. Je félicite et je remercie le Haut-commissaire pour les droits de l'homme qui a envoyé des observateurs ici, qui a dit : là il y a crime contre l'humanité. Les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. Les crimes contre l'humanité sont parfaitement identifiés. Ils ont été définis en 1948 dans la résolution sur le génocide et les crimes contre l'humanité. La définition des crimes contre l'humanité a été reprise par l'article 7 du Statut de Rome de 1998 qui a donné naissance à la Cour pénale internationale.
Les actes barbares infligés aux martyrs iraniens par la dictature des mollahs sont définis avec une précision juridique totale. Je me permets de le lire rapidement ce qu'un crime contre l'humanité. C'est le statut de Rome qui a repris en 1948 la définition exacte du crime contre l'humanité tel qu'il est dans la résolution contre le génocide :
Article sept : « On entend par crime contre l'humanité l'un des actes ci-après commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile. Premier crime : le meurtre de masse, extermination, réduction en esclavage, déportation en esclavage, transfert de population, emprisonnement ou autre forme de privations graves de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international, torture, viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée, ou tout autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, national, ethnique ou culturel – ici c’est d’ordre politique , religieux – disparition forcée de personnes, crime d'apartheid ou autre actes inhumain de caractères analogues causant intentionnellement de graves souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. »
Il faut une commission d'enquête des Nations-Unies
Ça c'est la définition extrêmement précise des crimes contre l'humanité qui ont été commis, et empiriquement les témoignages ont été fournis à cette réunion aujourd'hui, et qui ont continué à être commis par les tueurs des mollahs.
Pour qu'il y ait une commission d'enquête, il faut aussi qu'il y ait identification des auteurs de ces crimes contre l'humanité. C'est d’une facilité absolue, il n'y a aucun problème là-dessus sur le niveau technique pour les enquêteurs. Par exemple, pour la commission sur la Syrie il y a des problèmes d'identification. Là il n'y en a pas. Les meurtres de 1988, il y a des coupables à trois niveaux. Il y a d'abord les membres de ces fameux comités de la mort que Khomeiny a instaurés : un procureur, un juge et un représentant des services secrets dans chaque village, dans chaque province, dans chaque ville, il y a un comité de la mort qu'on peut identifier.
Khomeiny dans la fatwa qui est très détaillée, qui a instauré ces comités, dit que si les deux sur les trois sont d'accord pour l'exécution : exécution ! Ni droit à la défense, ni droits à l'avocat, ni droit d’être entendu. Le comité stipule que si deux sont d'accord, c'est l'exécution. Donc ceux-là on les identifie facilement. Ensuite ceux qui pendent et qui exécutent, c’est les pasdaran qui physiquement tuent. Ceux-là aussi sont connus et identifiables.
Et finalement, ceux qui ont ordonné le meurtre de masse sont aujourd'hui au pouvoir. Par exemple le ministre actuel du Renseignement est un des tueurs qui était instrumental dans le meurtre de masse en 1988.
Il faut donc une commission d'enquête des Nations unies et les juristes éminents, comme Maitre Garcès, nous ont dit comment ça se passe les enquêtes. Évidemment moi personnellement, et c’est ce que le Comité demandera au Conseil des droits de l'homme. C'est le Conseil des droits de l'homme qui devrait instaurer une commission d'enquête sur les massacres de 88 et les massacres après. M. Faraj, qui est un de ces grands juristes qui est là et qui a longtemps joué un rôle essentiel au Haut-Commissariat, pense que le Haut-commissaire lui-même à la compétence de nommer une commission, d’instaurer cette commission, quelle qu'elle soit.
Quel que soit l'auteur de la création de cette commission d'enquête, elle doit avoir lieu. Et rien identification du délit ni des auteurs de ce délit ne s'y oppose.
Dernier point : bien sûr il y a l’après, après que les crimes aient été vérifiés par cette commission d’enquête, les auteurs vérifiés par cette commission d’enquête ; que faire ? Eh bien c'est le tribunal spécial. Vous savez que Koffi Annan a eu l'intuition et la volonté de mettre fin à l'impunité au Rwanda, dans les Balkans, au Libéria, en Sierra Leone, au Liban par l'instauration sur décision du Conseil de sécurité, de tribunaux spéciaux et il faut le saluer pour ça.
Il nous faut un tribunal spécial, que l'Assemblée générale des Nations Unies crée un tribunal spécial sur l'Iran qui mettra fin à cette impunité qui est une honte pour l'humanité. »

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