La peine de mort, y compris son application au titre du principe de qisas (réparation), est une violation du droit à la vie et constitue le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit en toutes circonstances, sans exception, quelles que soient la nature du crime commis et les particularités de son auteur. En outre, l’utiliser contre une personne qui était mineure au moment des faits qui lui sont reprochés constitue une violation particulièrement grave du droit international.
Amnesty International appelle le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, le Bureau du secrétaire général, les procédures spéciales, les organes de suivi des traités et les États membres de l’ONU, ainsi que l’Union européenne, à intensifier leur dialogue avec les autorités iraniennes pour les exhorter à commuer les condamnations à mort de toutes les personnes en attente d’exécution pour des crimes survenus alors qu’elles avaient moins de 18 ans. Elle leur demande aussi d’appeler les autorités à modifier l’article 91 du Code pénal islamique de 2013 afin d’interdire le recours à la peine de mort contre les mineurs délinquants, en toutes circonstances et sans possibilité pour les juges de faire jouer leur pouvoir discrétionnaire pour imposer la peine capitale. Toutes ces mesures doivent avoir pour objectif, à terme, d’abolir la peine de mort dans tous les cas.
UN PROCES ET UNE CONDAMNATION INIQUES
Arman Abdolali a été condamné à mort en première instance en décembre 2015 en lien avec la disparition de sa petite amie en 2014, après avoir été reconnu coupable de meurtre à l’issue d’un procès manifestement inique, au cours duquel ses « aveux » entachés de torture ont été retenus à titre de preuve. Il avait 17 ans au moment des faits. Le corps de sa petite amie n’a jamais été retrouvé.
Dans son jugement, la quatrième chambre du tribunal pénal n° 1 de la province de Téhéran a indiqué que le fait que le meurtre ait été commis sans laisser aucune trace indiquait qu’Arman Abdolali avait atteint la « pleine maturité » et méritait donc la peine de mort. Le tribunal s’appuyait là sur l’article 91 du Code pénal islamique de 2013, qui accorde aux tribunaux le pouvoir de remplacer la peine capitale par une autre peine dans les affaires de meurtre ou d’autres crimes passibles de la peine de mort s’ils estiment qu’il existe des doutes quant à la pleine « maturité » de la personne au moment des faits. Pour établir qu’Arman Abdolali était suffisamment « mûr » pour mériter la peine de mort, le tribunal s’est également appuyé sur l’opinion d’une conseillère auprès des tribunaux pour les enfants et adolescents, qui avait déclaré que le jeune homme comprenait le caractère « abject » du crime commis. La Cour suprême a confirmé la déclaration de culpabilité et la peine d’Arman Abdolali en juillet 2016.
Les jugements rendus en première instance et en appel ont pris acte des allégations d’Arman Abdolali selon lesquelles il avait été détenu à l’isolement pendant 76 jours et frappé à maintes reprises pour le forcer à « avouer » son crime, mais aucune enquête n’a été ordonnée et ses « aveux » ont été jugés recevables par le tribunal, qui les a qualifiés de « sans équivoque ». Le droit international coutumier, auquel l’Iran est juridiquement lié, interdit de retenir à titre de preuve des déclarations obtenues sous la torture dans quelque procédure judiciaire que ce soit (sauf contre les auteurs présumés des actes de torture).
En décembre 2019, les autorités iraniennes ont placé Arman Abdolali à l’isolement, comme c’est la coutume avant une exécution programmée, mais, à la suite d’un tollé international, elles ont reporté son exécution et l’ont transféré de nouveau dans l’unité générale de la prison. En février 2020, la Cour suprême a accordé à Arman Abdolali le droit d’être rejugé après avoir constaté que la conseillère auprès des tribunaux pour les enfants et adolescents impliquée dans le premier procès avait retiré son avis initial, reconnaissant l’avoir donné sans avoir personnellement rencontré Arman Abdolali ni étudié son dossier judiciaire. Le nouveau procès, qui s’est tenu devant la cinquième chambre du tribunal
En septembre 2020, le tribunal a statué qu’il était impossible de déterminer le degré de « maturité » d’Arman Abdolali tant d’années après les faits et que, en l’absence d’éléments prouvant le contraire, on pouvait considérer que le jeune homme était « pleinement mûr » et donc entièrement responsable pénalement. La Cour suprême a confirmé ce verdict en février 2021.
Les décisions judiciaires dans l’affaire Arman Abdolali témoignent des lacunes de la justice pour mineur·e·s en Iran, qui considère que, dans les affaires de meurtre et d’autres crimes passibles de la peine de mort, les garçons âgés de plus de 15 années lunaires et les filles âgées de plus de neuf années lunaires sont tout aussi responsables que des adultes et, par conséquent, peuvent être condamnés à mort.
La nouvelle condamnation à mort d’Arman Abdolali a encore une fois souligné le caractère foncièrement imparfait de l’article 91, qui donne aux juges le pouvoir discrétionnaire de condamner à la peine capitale des personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits qui leur sont reprochés. En vertu du droit international, un tel pouvoir ne doit être accordé en aucune circonstance. Amnesty International a appelé à maintes reprises les autorités iraniennes, y compris les parlementaires, à modifier l’article 91 du Code pénal islamique de 2013 afin d’abolir totalement le recours à la peine de mort pour les crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans, en toutes circonstances et sans qu’aucun pouvoir discrétionnaire ne soit laissé aux juges, conformément au droit international.
En vertu du droit international, l’interdiction du recours à la peine de mort contre des personnes mineures au moment des faits est absolue, ce qui signifie qu’elle ne doit jamais être assortie de conditions telles que la « maturité » ou la « conscience de la gravité du crime ».
Cette interdiction absolue figure dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la Convention relative aux droits de l’enfant, que l’Iran a ratifiés et qu’il est juridiquement tenu de respecter. Elle est également reconnue comme norme impérative du droit international coutumier (jus cogens), ce qui signifie qu’elle est acceptée et reconnue par la communauté internationale des États en tant que norme contraignante pour tous les États, à laquelle il ne peut être dérogé.
UNE EXECUTION ENTOUREE DE SECRET
Les autorités iraniennes ont exécuté Arman Abdolali dans la prison de Raja’i Shahr, à Karaj, près de Téhéran, sans avoir préalablement prévenu sa famille ni son avocat, et sans avoir autorisé ses proches à lui rendre une dernière visite. C’est contraire au droit iranien, qui dispose que les avocats doivent être informés de l’exécution de leurs clients 48 heures à l’avance.
Selon les informations recueillies par Amnesty International, un responsable a appelé les parents d’Arman Abdolali vers une heure du matin le 24 novembre 2021 pour leur dire de venir immédiatement à la prison de Raja’i Shahr, sans leur donner plus d’informations. Les proches d’Arman Abdolali ont raconté que, quand ils étaient arrivés à la prison, les autorités pénitentiaires leur avaient dit que son nom ne figurait pas sur la liste des personnes devant être exécutées à l’aube ce jour-là. Or, il a été exécuté quelques heures plus tard.
Le secret qui a entouré l’exécution d’Arman Abdolali est conforme à la pratique très préoccupante des autorités iraniennes qui consiste à exécuter en secret ou à bref délai les personnes condamnées à mort pour des crimes commis alors qu’elles étaient mineures, afin de limiter les possibilités d’interventions publiques ou privées visant à leur sauver la vie. Le 2 août 2021, les autorités iraniennes ont exécuté en secret un autre jeune homme, Sajad Sanjari, qui était mineur au moment de son arrestation, après l’avoir maintenu en détention dans le quartier des condamnés à mort pendant près de 10 ans.
UNE TORTURE MENTALE PROLONGEE
Avant d’exécuter Arman Abdolali le 24 novembre 2021, les autorités iraniennes avaient déjà programmé son exécution à sept reprises au moins, la reportant à chaque fois à la suite du tollé international et de la mobilisation de l’opinion publique. Les cinq dernières fois se sont produites sur une période de moins de six semaines, entre le 13 octobre et le 21 novembre 2021. À chaque fois, les autorités ont placé Arman Abdolali à l’isolement en prévision de son exécution, puis l’ont ramené dans l’unité générale de la prison. Amnesty International croit savoir que, à plusieurs de ces occasions, il a reçu une « dernière » visite de sa famille.
Compte tenu de la peur et de l’angoisse intenses provoquées par ces allers et retours, souvent accompagnés de « derniers » adieux, et du fait que ces actes de cruauté ont été commis délibérément et dans le cadre du processus d’exécution de la peine, Amnesty International considère que la souffrance morale infligée à Arman Abdolali pendant ses dernières semaines de vie s’apparente à de la torture aux termes du droit international – un crime pour lequel il convient de demander des comptes aux personnes qui ont ordonné et commis les actes en question.
Cette constatation ne doit pas être interprétée comme un appel à accélérer le processus d’exécution. Elle doit plutôt mener à une réforme en profondeur du système judiciaire iranien, notamment de son recours au principe de qisas, qui a été un élément déterminant dans la torture mentale infligée à Arman Abdolali.
POURQUOI LE SYSTEME DE QISAS EST INJUSTE, CRUEL ET INHUMAIN
En vertu du droit iranien, le principe de qisas est une théorie s’apparentant à la loi du talion, qui consiste à faire subir aux personnes reconnues coupables de meurtre le même sort que celui qu’elles ont infligé à leur victime – c’est-à-dire la mort. La loi donne le pouvoir de décision aux proches de la victime du meurtre, qui peuvent exiger et faire appliquer la condamnation à mort de l’accusé·e ou lui accorder leur pardon en échange du « prix du sang » (diya). De ce fait, le système de qisas implique la famille de la victime dans l’homicide, négocié à l’avance et cautionné par l’État, d’un être humain, exposant par là même cette famille à la barbarie et à la déshumanisation, tout en dévaluant au fil du temps la valeur que la société accorde à la vie humaine.
À l’étape de la condamnation, le principe de qisas implique une condamnation obligatoire à la peine de mort dans les affaires d’homicide, ce qui supprime toute possibilité pour les tribunaux de tenir compte, lors de l’énoncé de la peine, des éléments de preuve disponibles et des éventuelles circonstances atténuantes, telles que des violences et des traumatismes subis par le passé.
Dans le droit iranien, en cas de meurtre, la détermination de la peine prononcée comporte deux aspects. Dans un premier temps, pour toutes les affaires de meurtre, la famille de la victime est habilitée à réclamer que la peine de mort soit prononcée et appliquée selon le principe de « réparation » (qisas). Il s’agit de l’aspect privé de la détermination de la peine. Ensuite, si la famille de la victime décide de renoncer à la peine capitale, l’État peut condamner l’accusé·e à une peine de trois à 10 ans de prison. C’est l’aspect public de la détermination de la peine. Ce double système confronte de fait des familles de victimes qui ne sont pas forcément favorables à la peine de mort à la perspective de voir le ou la responsable de la mort de leur proche être libéré·e de prison au bout de quelques années, ce qui peut leur sembler totalement disproportionné par rapport à la gravité du crime commis.
Une fois la condamnation prononcée, le système de qisas donne lieu à des violations de l’interdiction absolue de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Selon les recherches et le suivi menés de longue date par Amnesty International, il expose notamment les condamné·e·s, y compris mineurs ou reconnus coupables de crimes commis alors qu’ils étaient mineurs, à de longues périodes d’incertitude et d’agonie dans le couloir de la mort, excédant parfois 10 ans. Souvent, le délai est si long non pas parce que les procédures telles que les recours ou les demandes de grâce prennent du temps, mais parce que la famille de la victime hésite à demander l’application de la peine de mort, tout en ne souhaitant pas permettre la libération du prisonnier au bout de seulement quelques années.
Parmi les autres sources de préoccupation figurent les pardons accordés à la dernière minute par la famille de la victime, quelques minutes avant l’exécution, alors que le prisonnier a déjà la corde au cou, et les multiples programmations de l’exécution suivies de reports à la dernière minute, comme dans le cas d’Arman Abdolali, qui découlent d’un mélange de facteurs tels que les fluctuations de l’état émotionnel et mental de la famille de la victime, les interventions internationales et la mobilisation de l’opinion.
Quand les autorités iraniennes reportent une exécution en réaction à des interventions internationales et à une campagne publique, elles essaient généralement de jouer les médiateurs entre la famille de la victime et celle de l’accusé·e pour qu’elles négocient un pardon contre le « prix du sang » (diya). Cependant, en fonction de l’instance de la famille de la personne tuée pour que la peine de mort soit appliquée et de la capacité ou la volonté de la personne condamnée et de sa famille de satisfaire aux conditions proposées par la famille de la victime en échange de son pardon – conditions qui, dans de nombreux cas dont Amnesty International a eu connaissance, comprenaient des demandes financières exorbitantes, l’abandon de droits de propriété, la réinstallation non choisie dans une autre ville, la reconnaissance forcée de la culpabilité et/ou le renoncement à toute revendication d’innocence et toute allégation de torture –, les autorités peuvent décider de poursuivre ou d’interrompre leur participation au processus de médiation. Parfois, quand la famille de la victime insiste fortement pour que la peine de mort soit appliquée, les autorités peuvent programmer l’exécution, puis être amenées à la reporter de nouveau si elles sont confrontées à une vague de protestation nationale ou internationale, et relancer alors leurs efforts de médiation.
Dans leurs déclarations publiques et leurs réponses aux Nations unies, les autorités iraniennes ont systématiquement présenté les reports à la dernière minute et les efforts de médiation comme un exemple positif de leur action en faveur du pardon, sans tenir compte de la gravité de la souffrance mentale infligée aux condamné·e·s à mort et à leurs familles dans le contexte du système de qisas.
Le principe de qisas tel qu’il est pratiqué en Iran viole aussi le droit à une procédure régulière garanti par le droit international, notamment en ne permettant pas aux personnes condamnées à mort de solliciter une grâce ou une commutation auprès de l’État, comme le garantit l’article 6(4) du PIDCP. Si cet article ne prévoit pas de procédure particulière pour l’exercice du droit de solliciter la grâce ou la commutation de peine, laissant aux États une certaine latitude en la matière, le Comité des droits de l’homme, qui interprète le PIDCP et surveille l’application de ses dispositions, a déclaré que les conditions à remplir pour bénéficier de ce droit ne devaient pas le rendre inopérant ni être inutilement contraignantes, de nature discriminatoire ou appliquées de manière arbitraire. Il a précisé que les procédures ne devaient pas non plus conférer aux familles des victimes de crime un rôle prépondérant pour ce qui est de déterminer si la peine de mort doit être appliquée.
À cet égard, tout en reconnaissant que les négociations privées sur le pardon pouvaient contribuer à sauver des vies, lerapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran a souligné que « le gouvernement ne devrait pas déléguer aux familles des victimes la responsabilité qui lui incombe de protéger le droit à la vie ». Le rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a par ailleurs déclaré : « Là où la diyah existe, elle doit s’accompagner d’un système public distinct permettant de demander officiellement une grâce ou une commutation de peine. »
La pratique consistant à verser le « prix du sang » est aussi source de préoccupation car elle entraîne une discrimination fondée sur la richesse, l’origine sociale ou les biens. En effet, « un criminel riche peut effectivement acheter sa liberté alors qu’un criminel pauvre ne le peut pas ».
UN DISCOURS OFFICIEL FALLACIEUX
Dans les affaires impliquant la condamnation à mort de personnes reconnues coupables de crimes commis alors qu’elles étaient mineures sur la base du principe de qisas, dont l’affaire Arman Abdolali, les autorités iraniennes ont souvent trompé l’opinion publique et la communauté internationale en affirmant publiquement que ce n’était pas à elles que revenait la décision finale de procéder ou non à l’exécution et que tout ce qu’elles pouvaient faire était de jouer un rôle de médiateur dans les négociations pour encourager la famille de la victime à accorder son pardon en échange de la diya.
Amnesty International tient à souligner que ce discours officiel est malhonnête et témoigne d’un manque fondamental de respect des droits de l’enfant par les autorités iraniennes.
Le fait est que des dizaines de personnes qui étaient mineures au moment des faits qui leur étaient reprochés ont été exécutées en Iran parce que des tribunaux iraniens les avaient en premier lieu condamnées à mort, en violation flagrante du droit international, puis avaient rejeté les demandes répétées de commutation déposées par ces personnes et leurs avocats, ainsi que les appels en ce sens des organes de l’ONU et des groupes de défense des droits humains. Ces décisions sont la preuve que la justice iranienne refuse de respecter les principes internationaux bien établis de la justice pour mineur·e·s, qui exigent que les personnes de moins de 18 ans soient considérées comme moins mûres et moins responsables que les adultes.
Les autorités iraniennes ne doivent pas s’imaginer qu’elles peuvent échapper à leur obligation de rendre des comptes pour leurs violations du droit international en s’abritant derrière le principe de qisas, qui, en réalité, comme nous l’avons montré plus haut, aggrave plutôt qu’atténue les violations commises dans le cadre du recours à la peine de mort.
UN BILAN DEPLORABLE
Depuis l’adoption d’une version révisée du Code pénal en 2013, les autorités iraniennes ont exécuté au moins 49 personnes qui avaient moins de 18 ans au moment des faits qui leur étaient reprochés : neuf en 2013 ; 12 en 2014 ; quatre en 2015 ; deux en 2016 ; quatre en 2017 ; huit en 2018 ; cinq en 2019 ; trois en 2020 et deux pour l’instant en 2021.
Dans le cadre de ses recherches, Amnesty International a identifié et suivi les cas de dizaines de personnes emprisonnées dans le quartier des condamnés à mort après avoir été reconnues coupables de crimes survenus quand elles étaient mineures, et mène un travail de campagne public et des actions de plaidoyer publiques et privées en leur faveur.
En 2020, les autorités iraniennes ont procédé à 246 exécutions au moins, ce qui place honteusement le pays au deuxième rang mondial en termes de nombre de personnes exécutées.
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