Le mouvement a été déclenché d’abord au sein des ouvriers des installations pétrolières et gazières et les industries pétrochimiques dans quatre provinces : Khouzistan, Bouchehr, Hormozgan et Fars, toutes situées dans le sud du pays. Mais le mouvement s’est ensuite étendu à la raffinerie d’Ispahan (Centre) et à celle de Djahanpars en Ilam (Ouest).
Ceux sont surtout les ouvriers des constructions, les techniciens d’électricités, les soudeurs, les plombiers et autres secteurs qui sont embauchés par des sous-traitants dans les projets industriels des zones pétroliers, parmi le plus grand champ gazier du monde, qui se sont mis en grève. Pour le moment le nombre des grévistes est évalué à 10 000 travailleurs.
Les conditions de travail sont extrêmement insupportables. Le 28 juillet Ebrahim Arabzadeh, un ouvrier âgé de 35 ans, de la société « Téhéran Djonoub » est décédé d’hypothermie après 12 heures de travail dans une température de plus de 40°C. Il travaillait dans les installations des réservoirs et stockages du port de Bandar-Mahchahr, situé au bord du Golfe persique. Une grève a alors été déclenché le 1er août. Elle touche actuellement la phase2 de la raffinerie d’Abadan, la raffinerie Parsian à Kangan et Assalouyeh, la centrale pétrochimique de Lamerd, la raffinerie de pétrole de l’ile Ghechm, la phase 22 et 24 du Pars-Sud, la phase 14 à Assalouyeh, la société Atropart de la raffinerie du sud d’Ahvaz, la société Exir de la phase 13 à Assalouyeh, la central Pétrochimique de Pars Fenel à Assalouyeh, Sina industrie d’Ahmadpour, la raffinerie Razi de Mahchahr, la société d’Asphalte Touss de Dachte-Azadegan, la centrale d’électricité Pars-Sud à Bidekhoun. Au total la grève s’étend à 44 sites dans 20 villes et 12 provinces d’Iran.
Solidarité nationale et internationale
Plusieurs unions syndicales à travers le monde ont exprimé leur solidarité avec les grévistes. L’Industriall-Union l’organe de l’INDUSTRIALL GLOBAL UNION rappelle que « le développement des champs gaziers de Pars-Sud est à l’avant-garde des projets d’hydrocarbures iraniens. La compagnie nationale du pétrole et du gaz s’impose dans l’ensemble des projets de Pars-Sud. Le géant énergétique français, Total, avait signé un accord en 2017 pour développer cette zone, mais s’est retiré, à la suite des sanctions américaines. »
Cette union syndicale précise que « les travailleurs iraniens ont démontré à maintes reprises que la répression ne peut les faire taire. Ils sont debout pour défendre leurs droits et poursuivront leur lutte jusqu’à l’obtention de leurs revendications ».
Le mouvement de solidarité s’étend surtout à l’intérieur de l’Iran. Les guildes et les corporations commerciales commencent à se solidariser avec les ouvriers pétroliers et gaziers. Avec notamment le secteur de la papeterie du Bazar de Téhéran ; les commerçant du Kurdistan iranien, les marchands de tissus d’Abdol-Abad de Téhéran et d’autres ont appelé à soutenir financièrement les grévistes.
De quoi souffrent les travailleurs iraniens ?
Près de 250 000 personnes sont embauché dans le secteur de l’hydrocarbure et de pétrochimie en Iran. Mais seulement un tiers sont des embauches régulières. Les autres sont employées par des sous-traitant ou ont des contrats embauches provisoires. Les travailleurs ainsi employé ont une situation instable et précaire et sont tous très mécontents et en colère. Leurs salaires et 4 fois en dessous du seuil de pauvreté. Ils ne bénéficient pas de sécurité d’embauche, ni d’assurance, et de plus ils doivent travailler dans des conditions climatiques insupportable entre 40° et 50°.
On dénonce le fait que l’ouvrier est traité comme un ballon de foot entre l’Etat et les sous-traitants. Par exemple en cas de salaire impayé, c’est un jeu de cache-cache. Le gouvernement prétend qu’il a payé les salaires et le sous-traitant dit n’avoir rien reçu. Il arrive que les salaires ne soient pas payés jusqu’à douze mois ! En Iran près de 90% des ouvriers sont dans une telle situation.
Or, le secteur du pétrole et du gaz est monopolisé par les organes du Guide suprême ou des holdings appartenant aux Gardiens de la révolution (pasdaran). Les hydrocarbures sont en fait la principale ressource des Pasdaran et du Guide suprême, sans même qu’aucun contrôle puisse exister.
Les sous-traitants avec qui les Pasdaran ont passé des contrats dans ces secteurs, sont en réalité des gens issus d’anciens responsables appartenant aux factions du pouvoir ou des gardiens de la révolution. Ensemble, ces entités exploitent sauvagement les ouvriers iraniens. Quand un travailleur proteste, la seule solution qu’on lui propose c’est de se faire embaucher dans les forces de répression, ce qui fait de surcroît l’affaire du pouvoir.
L’armée de 7 million d’ouvrier-chômeurs dans le pays aggrave la situation. L’inflation vient s’ajouter et le cocktail qui en résulte c’est une armée de travailleurs affamés et une société explosive.
Un fourre tout appelé les « sanctions »
La propagande du guide suprême des mollahs, Ali Khameneï, et de son président, Hassan Rohani, tentent d’attribuer les conditions de vie désastreuses des Iraniens aux sanctions américaines. Ce fourre tout est une échappatoire pour dissimuler leurs responsabilités dans le désastre qui touche l’Iran. Or, le peuple iranien n’est pas dupe. C’est pourquoi à chaque manifestation et révolte on entend les manifestants crier « l’ennemi est ici (les mollahs), ils mentent en disant que c’est l’Amérique ». Loin d’être une déclaration d’amour aux Etats-Unis, ce slogan est un cri de haine contre le fascisme religieux des mollahs, considéré comme le principal ennemi du peuple et cause de tous les malheurs.
Aux yeux des Iraniens, les véritables causes de la crise c’est l’incapacité du pouvoir à gérer le pays et l’ampleur de la corruption au sommet de l’Etat.
La farce des autorités s’appuie sur un mensonge : les caisses sont vides. Pourtant, le commerce avec les puissances d’Asie se poursuit et des contrats ont été signés en toute opacité avec la Chine et la Russie. Durant ces dernière années, 700 milliards de dollars de revenues pétrolières sont venus remplir les poches des Pasdaran, du Guide suprême et de ses fondations. L’accord sur le nucléaire (JPCOA) avait même libéré 100 000 milliard d’euros des avoirs gelés de l’Iran.
Les sanctions n’ont pourtant pas empêché les autorités du régime de détourner des fonds faramineux de la nation. Des scandales éclatent chaque semaine dans le pays, mais ils sont vites étouffés. Cela n’a pas non plus stoppé pour le moment les programmes nucléaire et balistique exorbitant des Gardiens de la révolution, ni les aventures terroristes et guerrière par proxys interposé : Hezbollah au Liban en passant par le Yémen, la Syrie et l’Irak.
L’argent existe, il est seulement dépensé ailleurs. A la compagnie nationale du pétrole, les caciques du régime continuent de percevoir des salaires de l’ordre de 600 millions de toman. Alors que les ouvriers sont privés de leurs salaires de misère.
Trois options et trois impasses
Face à cette nouvelle crise, quels sont les marges de manœuvre du pouvoir. Il n’y en a que trois :
Céder aux revendications des grévistes
Faire des promesses pour gagner du temps
Faire la sourde oreille et réprimer
Si le pouvoir cède aux grévistes, il prendrait alors un grand risque de voir d’autres revendications éclater de partout ; cela pourrait tenter d’abord les salariés à plein temps du secteur pétrolier et gazier qui ne sont pas mieux lotis. Déjà des chauffeurs de taxi sont en grève. Les chauffeurs de camions, dont la grève a paralysé le système en 2018, pourraient suivre. Cela pourrait même faire tache d’huile et toucher les commerçants du bazar. Donc, pour le pouvoir, céder aux revendications est considéré comme la pire option.
Faire des promesses sans les tenir pourrait atténuer les exaspérations. L’idée a récemment été appliqué auprès des ouvriers grévistes de la compagnie de la canne à sucre de Haftapeh au Khouzistan. Ces ouvriers ont trois mois de salaire impayé et on vient de leur faire de belles promesses. Résultat ? Ils ont poursuivi leur grève qui dure depuis près de deux mois. En réalité plus personne en Iran ne croit aux promesses des autorités, dont on connaît leurs mensonges en chaîne sur le crash de l’avion de ligne ukrainienne abattue par les Pasdaran ou les dissimulations sur l’ampleur du fléau du coronavirus…
Reste alors l’option de la répression, une option qui pourrait être payant à court terme mais particulièrement coûteux pour le régime. Dans son extrême fragilité, le régime ne pourrait survivre à une nouvelle insurrection, dont la répression, loin d’être un remède, pourrait mettre le feu aux poudres et faire basculer le régime moribond.
Conclusion : le fascisme religieux au pouvoir en Iran est face à un dilemme insoluble : céder, faire des promesses ou réprimer reviendrait pratiquement au même résultat. Ceci est précisément la hantise des autorités. Un cauchemar qui est chaque jour rappelé entre les lignes et les discours de telle ou telle faction.
Le journal Setareh Sobh a écrit le 1 août : « On devrait s’attendre à des insurrection sociale… Par insurrection on entend bien les mouvements du décembre 2017 et novembre 2019. Si le pouvoir ne peut agir face au désespoir de la population aux prises avec les problèmes économiques, alors il faudrait s’attendre à de graves conséquences et de douloureuses évènements… Cette fois les mouvements viendront des quartiers sud et démunis des villes…Une fois le feu allumé, son extinction sera une affaire bien compliquée.»
La Résistance iranienne a appelé l’Organisation internationale du travail et l’ensemble des syndicats à soutenir les protestations des travailleurs iraniens et à condamner les politiques anti-ouvrières du régime clérical. Le silence serait le meilleur complice de la dictature des mollahs.
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