Trente-trois ans après le massacre de 1988 je suis allé au tribunal, mais cette fois je n’étais pas l’accusé. La 35e session du procès d’Hamid Noury s’est achevée mercredi. Le procès a été transféré en Albanie pour que moi, Mohammad Zand, et mes amis qui ont survécu au massacre de 1988 en Iran, puissions témoigner.
Noury a été appréhendé en 2019 en raison de son rôle, en tant que responsable pénitentiaire de la prison de Gohardacht, dans le massacre des opposants en 1988 en Iran. Je suis l’un des plaignants dans son affaire, car j’ai été témoin de ses crimes en prison. Des mois après le premier procès en Suède, nous avons enfin eu l’occasion de témoigner sur ce qui s’est passé il y a 33 ans dans les prisons iraniennes.
On m’a dit que je serais la première personne à témoigner en Albanie. Je suis donc allé au tribunal du district de Durres. Lorsque je suis entré pour la première fois dans la salle, je me suis soudainement rappelé ces jours terribles des années 1980, principalement l’été 1988, lorsque mes amis ont été exécutés en peu de temps.
J’étais étudiant en Iran en 1981 lorsque j’ai été arrêté pour avoir soutenu l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI/MEK), la principale opposition à la dictature théocratique qui avait été établie l’année précédente. J’ai été condamné à 11 ans de prison et j’ai continué à purger une peine dans son intégralité. Mon frère, Reza Zand, a été arrêté à peu près au même moment et condamné à 10 ans pour la même accusation. Il n’a pas vécu assez longtemps pour revoir l’extérieur de la prison.
En 1988, sept ans après le début de sa peine, mon frère a été tué dans le cadre du massacre des prisonniers politiques par le régime iranien. Il faisait partie des milliers de personnes dans les prisons de Téhéran et de Gohardacht dont les peines existantes ont été soudainement et arbitrairement reclassées en peines de mort par la « commission de la mort » de Téhéran qui avait été constituée en réponse à une fatwa du fondateur du régime, Rouhollah Khomeini.
Quand ce fut à mon tour de me présenter devant la commission de la mort, j’ai demandé à ses quatre membres pourquoi ils avaient exécuté mon frère alors que le tribunal correctionnel lui avait infligé une peine moindre. Je n’ai reçu aucune réponse, mais il est devenu clair plus tard que le but même de la commission de la mort était d’éliminer toute personne qui, selon elle, était toujours attachée aux principes démocratiques de l’OMPI.
Je présume que mon frère savait ce qui se passait avant moi. Lorsqu’il a d’abord été emmené devant la commission de la mort, il m’a remis ses effets personnels et m’a fait part de la conviction que nous ne nous reverrions plus. Même avant cela, lors de la dernière visite de notre mère avant que la prison ne soit isolée du monde extérieur, il lui avait exprimé le même sentiment.
Je n’ai aucun doute que d’autres partageaient la vision de mon frère. En effet, nombre de mes codétenus se sont méfiés des intentions des autorités dès que les journaux ont cessé d’être livrés à la prison et que les télévisions ont commencé à être retirées des cellules. Dans la mesure où ces personnes ont fait part de leurs soupçons à leurs amis et aux membres de leur famille avant le verrouillage, l’attente d’exécutions massives a dû toucher le monde bien avant la fin du massacre, trois mois après son début.
Vidéo : Le massacre de 1988 des prisonniers politiques en Iran : témoignage de Mohammad Zand
Il est donc profondément bouleversant de savoir que personne n’a pris de mesures pour l’arrêter. La communauté d’activistes iraniens n’ont pas pu faire grand-chose, mais des parties de cette communauté ont contacté leurs amis et leurs familles au sein de la diaspora iranienne et les ont exhortés à sonner l’alarme au sujet d’un nouveau crime contre l’humanité. La Résistance iranienne à l’étranger a apporté la preuve du massacre aux législateurs à Washington et à d’autres capitales occidentales, pour qu’ils réagissent, alors que ces gouvernements continuaient de poursuivre une stratégie de rapprochement amical avec le régime de Téhéran.
Ce qui est encore plus bouleversant, c’est que cette stratégie se poursuit jusqu’à nos jours, même après trois décennies pendant lesquelles le régime a dissimulé ses pires crimes contre l’humanité et maintenu son héritage de de répression d’assassinats et de promotion systématique des participants au massacre de 1988. En juin de cette année, l’exemple le plus flagrant de ce dernier phénomène est sans doute « l’élection » d’Ebrahim Raïssi, l’une des quatre personnes qui ont siégé à la commission de la mort de Téhéran en 1988.
Raïssi a été sélectionné tandis que les électeurs iraniens ont boycotté la procédure en signe de protestation. Cependant, ce déni de légitimité a été contredit par la communauté internationale en août, lorsque des dignitaires étrangers, dont le directeur politique adjoint du Service européen pour l’action extérieure, ont assisté à la cérémonie dans le but d’établir une relation cordiale avec l’administration Raïssi dès le premier jour.
Cette décision représente une trahison claire des principes humanitaires de l’Union européenne. Cette trahison durait déjà depuis 33 ans au moment de l’investiture de Raïssi, au cours de laquelle la Résistance iranienne et les groupes de défense des droits de l’homme ont lancé de nombreux appels pour une commission d’enquête internationale sur le massacre de 1988, dans le but ultime d’engager des poursuites contre les responsables.
Moins d’un an avant l’accession de Raïssi à la présidence, sept experts des droits de l’homme des Nations Unies ont écrit une lettre ouverte reconnaissant que les institutions des Nations Unies étaient au courant d’une vague d’exécutions en 1988 mais n’ont rien fait. « L’incapacité de ces organes à agir a eu un impact dévastateur sur les survivants et les familles ainsi que sur la situation générale des droits humains en Iran », ont-ils déclaré. L’un des exemples les plus clairs de cet impact vient d’être identifié par Amnesty International dans un rapport détaillant une campagne de torture qui a émergé de la répression du régime contre le soulèvement national de novembre 2019.
En juin, la secrétaire générale d’Amnesty, Agnès Callamard, a publié une déclaration déplorant que « Raïssi soit monté à la présidence au lieu de faire l’objet d’une enquête pour les crimes contre l’humanité, meurtres, disparitions forcées et tortures ». Cela, a-t-elle dit, est un « sombre rappel que l’impunité règne en maître en Iran ».
Les puissances occidentales et les organismes internationaux qui ont fermé les yeux sur le massacre de 1988 portent une grande part de responsabilité dans cette impunité. Je ne m’attendrais pas à ce qu’ils aient la même compréhension des intentions du régime que mon défunt frère, mais rien ne peut excuser trois décennies d’évidence et de naïveté face aux innombrables appels pour qu’ils tiennent pour responsables les pires auteurs de violations des droits humains en Iran.
Le refus des puissances occidentales de condamner le rôle particulier de Raïssi dans le massacre de 1988 représente une toute nouvelle dimension de leur trahison des principes humanitaires partagés. Heureusement, cette inaction collective est quelque peu contrebalancée par les efforts de groupes de défense des droits comme Amnesty, et en particulier par les divers législateurs et gouvernements qui se sont engagé à renverser la politiques de négligence et de complaisance de longue date.
Le procès de Noury a commencé en août pour crimes de guerre et meurtre de masse, en raison de son rôle dans la torture de prisonniers politiques avant et pendant le massacre de 1988. L’arrestation a été effectuée sur la base de la compétence universelle, un principe juridique qui permet aux autorités judiciaires de poursuivre les violations les plus graves du droit international dans n’importe quel pays, indépendamment de la nationalité de l’auteur ou du lieu du crime en question.
Lorsque j’ai témoigné devant le tribunal de district de Durres, je pouvais voir mes codétenus et mon frère. Et je me suis dit : « La justice serait-elle enfin rendue ?
Le procès de Noury s’impose comme un modèle qui pourrait s’appliquer Ebrahim Raïssi, dont le rôle dans le massacre a été beaucoup plus étendu. Certains juristes ont même exhorté la Cour pénale internationale à enquêter sur Raïssi pour génocide, étant donné que ses efforts sans détours pour anéantir l’OMPI faisaient partie d’un effort encore pour détruire des communautés entières à cause de leurs convictions et parce qu’ils défendaient un islam modérées en opposition à la théocratique du régime des mollahs.
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