Selon le quotidien officiel Shargh, ses amis et collègues peinent encore à accepter son absence. Mais sa mort a surtout mis en lumière une crise bien plus profonde : l’effondrement psychologique, la pression constante et la déshumanisation structurelle qui caractérisent les programmes d’internat en Iran — des formations que beaucoup décrivent non comme un apprentissage, mais comme une servitude institutionnalisée.
Ses proches la décrivent comme passionnée par son métier, pleine d’espoir à l’idée d’ouvrir un jour son propre cabinet. Pourtant, comme l’a confié un collègue à Shargh, « la pression subie par un interne exige une endurance surhumaine ; quand cette limite cède, l’effondrement devient inévitable. »
Un système fondé sur l’exploitation et l’humiliation
Les internes des hôpitaux iraniens enchaînent des gardes exténuantes — souvent jusqu’à 36 heures sans repos — pour un salaire dérisoire, tout en subissant insultes et humiliations de la part de leurs supérieurs. Beaucoup décrivent une culture toxique où la fatigue, la peur et la honte sont normalisées, et où toute faiblesse apparente est perçue comme une faute.
Des professionnels de santé dénoncent une épuisement psychologique, des abus émotionnels et une précarité économique qui ne sont pas des incidents isolés, mais des composantes intégrées du système. Comme l’a noté Shargh, les suicides recensés parmi les internes ne représentent que la partie visible d’une crise bien plus vaste : nombre de tentatives passent sous silence, étouffées par les administrations hospitalières.
Un médecin interrogé par le journal met en garde contre la montée d’une « phobie de l’internat » parmi les étudiants en médecine — une peur si généralisée que beaucoup voient désormais dans l’émigration leur seul échappatoire. « Le système hospitalier iranien est conçu pour exploiter les internes, pas pour les former », dénonce-t-il sans détour.
Alerte internationale et mise en garde du Lancet
Le prestigieux journal médical The Lancet, publié depuis le XIXᵉ siècle, a consacré en juin 2024 un dossier spécial à la montée du taux de suicide parmi les internes iraniens.
Le rapport rappelle que, dans le monde, le taux de suicide chez les médecins est déjà alarmant — entre 2,5 % et 5 % des praticiens déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours de leur carrière, un chiffre bien supérieur à la moyenne mondiale. Mais la section consacrée à l’Iran est particulièrement inquiétante : le suicide des internes y est devenu un phénomène structurel.
Selon des études locales, 34 % des internes iraniens déclarent avoir eu des idées suicidaires, tandis que The Lancet estime qu’environ treize internes se suicident chaque année dans le pays. Le rapport pointe un enchaînement fatal : surcharge de travail, horaires interminables, bas salaires, service obligatoire dans des hôpitaux publics sous-financés, et surtout une hiérarchie humiliante et hostile qui alimente ce cercle vicieux.
Une tragédie sociale au-delà de la médecine
L’une des proches de Yasaman a confié à Shargh que « beaucoup d’internes ont déjà tenté de se suicider plusieurs fois. Ce n’est pas seulement un problème de santé, c’est une catastrophe sociale. »
Une infirmière ayant travaillé avec elle raconte : « Nous voyons des personnes qui semblent tout avoir — talent, dévouement, avenir prometteur — mais le perfectionnisme, la pression sociale et un système qui traite les êtres humains comme des outils les poussent au bord du gouffre. »
Un autre médecin se souvient de la collègue de sa fille, qui a tenté de se suicider après avoir été humiliée en public par un professeur superviseur. « Après 36 heures de garde d’affilée, ni le corps ni l’esprit ne tiennent », dit-il. « Mais tout le système repose sur l’humiliation et la pression. Il transforme la vie des internes en enfer. »
La responsabilité du régime
Pour de nombreux professionnels, cette crise n’est pas seulement la faillite des hôpitaux, mais le résultat direct d’un régime qui a systématiquement détruit la dignité, le moral et la santé mentale de ses soignants. Des années de sous-financement, de corruption et de contrôle autoritaire ont transformé l’un des secteurs autrefois les plus respectés d’Iran en un espace de coercition et de désespoir.
Ce qui fut jadis un symbole de service public et de fierté nationale — le médecin iranien — est aujourd’hui l’incarnation de l’épuisement, du désenchantement et de la peur.
Sous ce régime, même ceux qui guérissent les autres ont désormais besoin de soins — et, bien trop souvent, ils sont au-delà du secours.


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