Le témoignage poignant d’Ali Zolfaghari, un ancien prisonnier politique iranien, lors du procès de Hamdi Noury, un responsable pénitentiaire iranien dans les années 1980, éclaire de nouveaux aspects du massacre de 1988 en Iran. Le témoignage de Zolfaghari a révélé comment les jeunes résistants iraniens ont défendu leurs convictions pour un Iran libre et démocratique au prix de leurs vies.
Noury est actuellement jugé en Suède pour son rôle dans le massacre de 1988 de plus de 30 000 prisonniers politiques en Iran.
Zolfaghari a été arrêté en 1981 alors qu’il n’avait que 17 ans et a passé douze ans en prison. Le 20 octobre dernier, lors du procès d’Hamid Noury en Suède, il a partagé comme témoin ce qu’il a vu dans les prisons iraniennes et lors du massacre de 1988 en Iran. Selon de nombreux juristes, le massacre de 1988 est le plus grand crime contre l’humanité de la fin XXe siècle et un génocide. La majorité des victimes du massacre de 1988 étaient des membres et partisans de l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI/MEK). Ce massacre s’est produit en quelques mois sur la base d’une fatwa du Guide suprême du régime de l’époque, Rouhollah Khomeini.
La sinistre fatwa de Khomeini condamnait tous les prisonniers politiques à être punis par la peine capitale s’ils exprimaient leur loyauté aux valeurs de l’OMPI, même s’ils avaient purgé leurs peines de prison.
Hamid Noury, arrêté en novembre 2019 à son entrée en Suède, a participé au génocide de 1988 à la prison de Gohardasht.
Le témoignage d’Ali Zolfaghari devant le tribunal a décrit comment les partisans de l’OMPI ont été contraints de choisir entre la défense de leurs idéaux de justice aux côtés de l ‘OMPI, et le désaveux de ces valeurs pour rester en vie. 90% des prisonniers ont choisi la première option et ont sacrifié leur vie pour la liberté en Iran.
Tous les prisonniers étaient confrontés à la dite « commission de la mort », qui décidait de leur sort. La commission n’a posé qu’une seule question : « Quelles sont vos charges ? Si les prisonniers disaient soutenir l’OMPI nommément, ils étaient immédiatement envoyés à la potence. Si les prisonniers disaient « Monafeqin » ou hypocrites (un nom péjoratif utilisé par le régime pour désigner l’OMPI), la commission de la mort continuait à interroger le prisonnier. Ils demandaient aux prisonniers s’ils étaient prêt à coopérer avec le régime, dénoncer leurs camarades ou participer à leur exécution. Ce dialogue ne prenait pas plus de deux à trois minutes.
Choisir entre la vie et la mort
Ali Zolfaghari, qui a fait face à la commission de la mort, a déclaré au tribunal suédois : « on était obligé de choisir entre la vie et la mort. Si tu voulais défendre tes idéaux, tu devais choisir la mort, et malheureusement, j’ai choisi la vie et rester en vie. Ceux qui sont morts ont choisi leur idéal et confronté la mort. C’était une situation tellement épouvantable. Je ne peux pas décrire cette situation avec des mots », a-t-il ajouté.
« Avant de rencontrer la commission de la mort, Gholamreza Hassanpour, un partisan de l’OMPI qui a été exécuté plus tard lors du massacre de 1988, nous a dit : ‘Les gars, ils vont nous exécuter tous. C’est à vous de choisir la position à adopter », a déclaré Zolfaghari.
« La seule chose qui m’a donné la force de continuer après tant d’années, c’est le soutien à l’idéal des personnes massacrées et d’essayer d’être leur voix. Je veux être la voix de ces 30 000 prisonniers politiques exécutés. »
Zolfaghari a également déclaré que Hamid Noury l’avait emmené avec dix autres prisonniers devant la commission de la mort. D’après Zolfaghari, le 1er août 1988, « en milieu de journée, Hamir Noury est venu me chuchoter aux oreilles : « est-ce que ton père s’appelle Abdollah ? » puis il m’a emmené à la commission de la mort.
Nasserian, un haut gardien de la prison, m’a reçu devant une porte et m’a emmené dans une pièce, et je me suis assis sur une chaise. Il m’a ordonné d’enlever mon bandeau. Il m’a fallu un certain temps pour m’adapter à la lumière, car j’avais eu les yeux bandés pendant longtemps. Ensuite, j’ai vu des mollahs et des tas de gens en civil assis devant moi.
« Ils m’ont demandé mon nom, le nom de mon père et mes charges. Quand ils ont posé des questions sur mes accusations, je savais que le résultat final serait l’exécution. J’ai réfléchi un instant. Je n’ai pas pu m’en tenir à mes idées et j’ai cédé à la pression. Mais je n’oublie pas que ceux qui ont été pendus ont persisté dans leur défense de l’OMPI. Je ne l’ai pas fait et j’ai survécu. Je le regrette toujours. Nayeri, le chef de la commission de la mort, m’a dit : sors et écris ce que tu as dit. J’ai pris la décision la plus difficile de ma vie », a expliqué Zolfaghari, ému.
« J’ai entendu Nasserian dire qu’ils allaient massacrer les prisonniers de l’OMPI (…) Alors que j’étais assis dans le couloir de la mort, j’ai vu Nasserian tenir un stylo contre le mur et dire : aujourd’hui, c’est l’Achoura de l’OMPI. Ceux qui savent la signification de l’Achoura comprennent que cela signifie la mise à mort de tous les prisonniers de l’OMPI. Nasserian semblait joyeux », a déclaré Zolfaghari.
« Le même jour, ils ont annoncé des noms à plusieurs reprises et ont emmené les prisonniers dans un autre endroit. Davoud Lashkari, un gardien de prison, Nasserian, et Hamid Noury sont venu appeler les noms des personnes à Hussainieh [un lieu de culte] pour les emmener à l’exécution. Ces personnes étaient notemment Farzin Nosrati, Hamid Karkooti, Ebrahim Choobdar, Ahmad Moravej et Gholamreza Ghazanfarpour-Moghadam.
« L’un de nos détenus avait étudié aux États-Unis et connaissait très bien le code morse (pour communiquer en secret). Il avait passé deux ans à l’isolement et avait beaucoup appris. Il était responsable de notre code morse. J’étais de garde pendant qu’il communiquait avec d’autres cellules via le code morse.
J’ai appris qu’Ebrahim Akbari-Sefat, qui était de la même ville que moi, se trouvait dans la cellule adjacente. Je le connaissais depuis 1980. Il était le fils unique d’une famille très pauvre. Il lui restait un mois avant la fin de sa peine. J’étais proche de sa famille. Plus tard, son père m’émouvais en venant souvent dans mon magasin et en disant que je lui rappelais son fils tué », a déclaré Zolfaghari.
« Une semaine plus tard, les gardiens de la prison sont venus, nous ont alignés et nous ont emmenés dans le couloir de la mort. Il y avait beaucoup de prisonniers là-bas, et il n’y avait pas de place pour nous. Je me suis assis à peine à côté d’un autre prisonnier. Nous savions qu’il y avait un massacre et qu’ils voulaient régler notre compte. Ils nous nous avaient menacé de le faire depuis quelques années. Ils nous avaient dit que nous ne vous laisserons pas sortir de prison. J’ai demandé au prisonnier près de moi comment il s’appelait et il s’est présenté comme étant Behrooz Shahmogheni.
Il était originaire de Téhéran et il était une personne très résiliente. Je lui ai dit que tu dois faire attention, ils veulent exécuter tout le monde. Il a dit que je suis allé au tribunal et que j’ai défendu l’OMPI quoi qu’il m’arrive. Il a chanté l’hymne « Iran Zamin » pour moi. Il voulait que je sache qu’il défendait fermement ses idéaux et qu’il était prêt à mourir pour eux. Hamid Abbassi [Noury] s’est approché de nous, a donné un coup de pied à Behrooz et a commencé à déplacer Behrooz en disant « je te tuerais ». Il a pris Behrooz par son col et il est parti. Je n’ai plus revu Behrooz depuis.
« Il y avait un autre prisonnier, je lui ai demandé qui êtes-vous, et il s’est identifié comme Hadi Mohammadnejad. Le régime avait pendu ses trois frères et il a lui-même été exécuté plus tard.
« Ils m’ont emmené à la commission de la mort. Le temps de prière est alors arrivé. Nayeri a dit, allons prier et déjeuner, et nous continuerons. Ils m’ont emmené dehors. Au cours de la journée, Nasserian m’a demandé à plusieurs reprises si j’étais allé au tribunal, et j’ai dit oui, j’y suis allé.
« Ils m’ont emmené à l’isolement, et j’y suis resté jusqu’à la fin du massacre. C’était très dur pour moi. On n’est exécuté qu’une seule fois, mais j’attendais l’exécution tous les jours, et c’était une torture terrible. J’y suis resté près d’un mois, attendant le jour où ils m’emmèneront à la potence.
Malheureusement, je ne connaissais pas le code morse, donc je ne pouvais pas communiquer avec d’autres cellules. Pendant mon séjour en cellule d’isolement, les gardiens sont venus à quelques reprises et m’ont battu, me demandant d’insulter Massoud Radjavi. Au bout d’un mois, ils m’ont emmené dans une autre salle. Il ne restait que 150 prisonniers dans toute la prison de Gohardasht.
« Lorsque j’ai ensuite été transféré à Evine, les autorités nous ont dit que nous aurions dû vous exécuter tous à ce moment-là. »
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