Amnesty International, le 24 janvier 2019 - Les autorités iraniennes ont mené une répression sans vergogne en 2018, brisant des manifestations et arrêtant des milliers de personnes dans le cadre d’une campagne à grande échelle contre la dissidence, a déclaré Amnesty International un an après le début d’une vague de protestation contre la pauvreté, la corruption et l’autoritarisme dans tout le pays.
Le 24 janvier 2019, l’organisation a révélé de nouveaux chiffres stupéfiants qui montrent l’ampleur de la répression orchestrée par les autorités iraniennes en 2018. Au cours de l’année, plus de 7 000 manifestant·e·s, étudiant·e·s, journalistes, militant·e·s écologistes, travailleurs/travailleuses et défenseur·e·s des droits humains, y compris des avocat·e·s, des défenseur·e·s des droits des femmes, des défenseur·e·s des droits des minorités et des syndicalistes, ont été arrêtés, souvent arbitrairement. Des centaines ont été condamnés à des peines d’emprisonnement ou de flagellation et au moins 26 manifestant·e·s ont été tués. Neuf personnes arrêtées dans le contexte des manifestations sont mortes en détention dans des conditions suspectes.
« En Iran, 2018 restera dans les mémoires comme l’année de la honte. Tout au long de l’année, les autorités ont tenté d’étouffer tout signe de dissidence en intensifiant la répression des droits aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique, et en arrêtant de nombreux manifestant·e·s, a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et de l’action de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« L’ampleur ahurissante des arrestations, des incarcérations et des condamnations à la flagellation montre jusqu’où les autorités sont allées pour réprimer la dissidence pacifique. »
Pendant toute l’année, et plus particulièrement en janvier, juillet et août, les autorités iraniennes ont violemment dispersé des manifestations pacifiques : des manifestant·e·s sans armes ont été battus et des munitions réelles, du gaz lacrymogène et des canons à eau ont été utilisés. Des milliers de personnes ont été arrêtées et détenues arbitrairement.
Parmi les victimes de la vague d’arrestations de janvier figuraient des étudiant·e·s, des défenseur·e·s des droits humains et des journalistes. Les gestionnaires de chaînes sur l’application de messagerie mobile Telegram, très utilisée dans le pays et qui a servi à diffuser des informations sur les manifestations et à mobiliser des manifestant·e·s, ont aussi été visés.
Au total, 11 avocat·e·s, 50 professionnel·le·s de médias et 91 étudiant·e·s ont été placés en détention arbitrairement, dans le contexte des manifestations ou en raison de leurs activités.
Au moins 20 professionnel·le·s des médias ont été condamnés à de sévères peines d’emprisonnement ou de flagellation à l’issue de procès iniques. Mohammad Hossein Sodagar, un journaliste appartenant à la minorité azérie, a reçu 74 coups de fouet dans la ville de Khoy (province de l’Azerbaïdjan occidental) après avoir été déclaré coupable de « diffusion d’informations mensongères ». Un autre professionnel des médias, Mostafa Abdi, administrateur du site Internet Majzooban-e-Noor, qui fait état des atteintes aux droits humains visant la minorité religieuse des derviches Gonabadi, a été condamné à 26 ans et trois mois de réclusion, 148 coups de fouet et d’autres peines.
En outre, au moins 112 défenseures des droits humains ont été arrêtées ou maintenues en détention en Iran en 2018.
Pendant toute l’année 2018, de courageux défenseur·e·s des droits des femmes de l’ensemble du pays ont participé à un mouvement de protestation sans précédent contre les lois abusives et discriminatoires imposant le port du voile. Des femmes sont descendues dans la rue et ont brandi en silence leur voile au bout d’un bâton, du haut d’estrades installées dans des lieux publics. Les autorités ont réagi violemment par des agressions brutales, des arrestations, ainsi que des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Certaines femmes ont été condamnées à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès manifestement iniques.
Shaparak Shajarizadeh a été condamnée à 20 ans de réclusion, dont 18 avec sursis, pour avoir protesté pacifiquement contre le port obligatoire du voile. Elle a fui l’Iran après avoir été libérée sous caution. Depuis lors, elle a raconté dans des interviews qu’elle avait été soumise à des actes de torture et d’autres mauvais traitements en détention à l’isolement, et privée d’avocat.
Nasrin Sotoudeh, une éminente avocate spécialiste des droits humains et défenseure des droits des femmes, qui a représenté Shaparak Shajarizadeh, a été elle-même arrêtée le 13 juin 2018 pour avoir défendu des personnes qui avaient manifesté contre le port obligatoire du voile. Elle fait l’objet de plusieurs charges liées à la sécurité nationale qui pourraient la faire condamner à plus de 10 ans de prison, outre la peine de cinq ans qu’elle purge déjà pour son travail contre la peine de mort.
« Tout au long de l’année 2018, les autorités iraniennes ont mené une répression particulièrement sinistre contre les défenseur·e·s des droits des femmes. Au lieu de punir de façon cruelle les femmes qui revendiquent leurs droits, les autorités devraient mettre fin à la discrimination et aux violences endémiques et fortement enracinées dont elles sont victimes », a déclaré Philip Luther.
Droit du travail et syndicalistes
En 2018, l’Iran était également en proie à une crise économique qui ne faisait que s’aggraver et qui a déclenché de nombreuses grèves et poussé des milliers de travailleurs/travailleuses à descendre dans la rue pour réclamer de meilleures conditions de travail et une protection de l’État. Le paiement tardif ou le non-paiement des salaires sur fond d’inflation galopante, de flambée du coût de la vie et de conditions de travail précaires ont aussi provoqué des manifestations.
Cependant, au lieu de répondre aux revendications, les autorités iraniennes ont arrêté au moins 467 travailleurs/travailleuses, dont des enseignant·e·s, des routiers et des ouvriers/ouvrières, convoqué des personnes pour des interrogatoires et infligé de nombreux actes de torture et autres mauvais traitements. Des dizaines de personnes ont été condamnées à des peines d’emprisonnement. Par ailleurs, les tribunaux iraniens ont prononcé contre 38 travailleurs/travailleuses des peines de flagellation totalisant près de 3 000 coups de fouet.
Le 10 mai, à Téhéran, les autorités iraniennes ont dispersé violemment une manifestation pacifique d’enseignant·e·s en faveur d’une hausse des salaires et d’un meilleur financement de l’enseignement public. À la fin de l’année, elles avaient arrêté au moins 23 enseignant·e·s à la suite de grèves nationales organisées en octobre et en novembre. Huit de ces personnes ont été condamnées à des peines d’emprisonnement allant de neuf mois à 10 ans et demi, à 74 coups de fouet chacune et à d’autres peines.
Au cours de l’année, au moins 278 routiers ont été arrêtés et certains ont été menacés de la peine de mort après avoir participé à des grèves nationales en faveur de meilleures conditions de travail et d’une hausse des salaires. À la suite de grèves organisées en février et en novembre, des dizaines d’employé·e·s de l’entreprise d’exploitation de la cane à sucre Haft Tapeh Sugar Cane, implantée à Suse (sud-ouest de l’Iran), ont été arrêtés.
« Les personnes qui osent revendiquer leurs droits en Iran aujourd’hui, qu’il s’agisse d’enseignant·e·s sous-payés ou d’ouvriers/ouvrières qui peinent à nourrir leur famille, le paient au prix fort. Au lieu de veiller à ce que les demandes des travailleurs/travailleuses soient entendues, les autorités réagissent par la brutalité, les arrestations en masse et la répression », a déclaré Philip Luther.
Minorités ethniques et religieuses
En 2018, l’Iran a aussi intensifié sa répression discriminatoire contre des minorités religieuses et ethniques en arrêtant et en emprisonnant arbitrairement des centaines de personnes, ainsi qu’en limitant leur accès à l’éducation, à l’emploi et à d’autres services.
Les membres du principal ordre soufi, la minorité religieuse des derviches Gonabadi, ont fait l’objet d’une répression particulièrement brutale après qu’une manifestation pacifique qu’ils avaient organisée en février 2018 a été étouffée violemment. Des centaines de personnes ont été arrêtées et plus de 200 ont été condamnées au total à 1 080 années d’emprisonnement, 5 995 coups de fouet, ainsi qu’à l’« exil » intérieur, des interdictions de quitter le territoire et des interdictions de s’affilier à des partis politiques ou des groupes à caractère social. Une personne, Mohammad Salas, a été condamnée à mort à l’issue d’un procès manifestement inique et exécutée rapidement.
Au moins 171 chrétien·ne·s ont été arrêtés en 2018 simplement pour avoir pratiqué leur foi de manière pacifique, selon l’organisation Article 18. Certains ont été condamnés à des peines allant jusqu’à 15 ans d’emprisonnement.
En outre, les autorités ont continué à persécuter de façon systématique la minorité religieuse baha’i : elles ont placé arbitrairement en détention au moins 95 de ses membres, selon la Communauté internationale baha’i, et ont commis d’autres violences à leur égard.
Des centaines de personnes appartenant à des minorités ethniques, y compris des Arabes ahwazis, des Azéris, des Baloutches, des Kurdes et des Turkmènes, ont aussi été victimes d’atteintes aux droits humains, notamment de discrimination et de détention arbitraire.
En avril, des centaines d’Arabes ahwazis ont été arrêtés après des manifestations contre une émission diffusée par la télévision publique qui les excluait d’une carte des minorités ethniques d’Iran. En octobre, à la suite d’une attaque armée meurtrière contre un défilé militaire organisé à Ahvaz le mois précédent, plus de 700 Arabes ahwazis ont été détenus au secret, selon des militant·e·s de l’étranger.
Des centaines d’Azéris, dont des défenseur·e·s des droits des minorités, ont aussi été arrêtés avec brutalité dans le contexte de rassemblements culturels pacifiques qui se sont tenus tout au long de l’année ; au moins 120 personnes ont été arrêtées rien qu’en juillet et août. Plusieurs militant·e·s ont été condamnés à des peines d’emprisonnement et de flagellation. Le défenseur des droits des minorités Milad Akbari a été flagellé dans la ville de Tabriz (province de l’Azerbaïdjan oriental) après avoir été déclaré coupable de « trouble à l’ordre public » parce qu’il avait pris part à des « rassemblements illégaux » et chanté des « chansons excentriques » à un rassemblement culturel.
Au moins 63 militant·e·s écologistes et chercheurs/chercheuses spécialistes de l’environnement ont été arrêtés en 2018, selon la presse. Sans présenter aucune preuve, les autorités iraniennes ont accusé un certain nombre d’entre eux d’avoir recueilli des informations confidentielles sur les questions stratégiques iraniennes sous prétexte de mener des projets environnementaux et scientifiques. Au moins cinq ont été inculpés de « corruption sur la Terre », une infraction passible de la peine de mort.
« Pendant toute l’année 2018, les autorités iraniennes ont tenté d’entamer la détermination des manifestant·e·s et des défenseur·e·s des droits humains qui demandaient le respect des droits humains en se livrant à des arrestations en masse et en prononçant de grotesques peines de flagellation, a déclaré Philip Luther.
« Les États engagés dans un dialogue avec l’Iran ne doivent pas rester silencieux alors que l’étau de la répression se resserre rapidement. Ils doivent dénoncer la répression avec la plus grande fermeté et faire pression sur les autorités iraniennes pour qu’elles libèrent immédiatement et sans condition toutes les personnes emprisonnées pour avoir exercé de manière pacifique leurs droits aux libertés d’expression, d’association et de réunion, y compris en défendant les droits humains. »
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