Lors du premier jour du colloque des associations iraniennes d’Europe, le samedi 3 septembre 2016, A Auvers-sur-Oise, l’ancien ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner est intervenu pour réclamer la constitution d’un tribunal spécial pour juger les crimes des mollahs en Iran.
Ce colloque consacré au du massacre de 30.000 prisonniers politiques en 1988 en Iran, s’est déroulé en présence de Maryam Radjavi, la présidente élue de la Résistance iranienne mais aussi de nombreux personnalités, parmi lesquelles Edward Rendell, président de la convention du parti démocrate américain de ce juillet; Struan Stevenson, président de l'Association européenne pour la liberté de l’Irak (EIFA) ou Tahar Boumedra, ancien chef du Bureau des droits de l’homme de l'ONU en Irak et en charge de l'affaire d'Achraf auprès de l'ONU.
Voici la transcription de l’essentiel de l’intervention de l’ancien ministre français.
Vous m'avez présenté cher amis, comme un défenseur des droits de l'homme. Après vous avoir entendu, après avoir écouté, lu, les documents que vous m'avez envoyés, et après vous avoir entendu, je me demande ce que faisaient les défenseurs des droits de l'homme pendant tout ce temps-là. Je sais qu'il y en a de très valeureux. Je sais qu'il y a eu des gens qui ont protesté, très peu nombreux, pas assez nombreux, lorsque ces exactions ont eu lieu.
Et puis il y a toujours cette raison d'État, à laquelle je me suis heurté toute ma vie, qui fait qu'on préfère ne pas soulever les pierres, retourner les pierres pour savoir de quel sang a été nourrie la terre. Je sais que la raison d'État nous impose le silence.
Et après on constate que nous avons eu tort de nous taire. On constate, que certes ça n'était pas très clair, cette affaire de mollahs, qui succédaient au Shah d'Iran. Certes, ce vieillard barbu avec ses gros sourcils, nous était présenté comme un homme sympathique qui allait restaurer la démocratie. Certes les équilibres de la région étaient fragiles, et ils le sont encore. Mais, petit à petit on a oublié, on a voulu oublier ce qui se passait en Iran. Et puis il y avait d'autres problèmes, il y avait eu la guerre Irak-Iran, la position de tous les protagonistes ou même les pays biens lointains, les États-Unis d'Amérique, l'Europe, et puis les pays de la région. Alors nous nous sommes tus. Quelques-uns ont protesté. Quelques groupes ont manifesté dans les rues, mais pas beaucoup. Et maintenant, nous découvrons, ce que fut l'ampleur de ce massacre de 88.
33 000 personnes. Et on se demande ce que la Cour Pénale Internationale de La Haye par exemple, ou tous les tribunaux qui se sont constitués sur des massacres précis, dans un pays précis ; je ne pense pas seulement au tribunal Russell, mais aux tribunaux sur les massacres au Rwanda, sur les massacres au Liban, etc. Il faut absolument maintenant que l'on puisse créer un tribunal spécial si on nous dit que les massacres ont eu lieu tant d'années et c'est fini, il y a prescription. Parce qu'on dira cela. Il faut qu'il y ait un tribunal pour juger les crimes des mollahs.
Facile à applaudir, mais le réaliser, c'est difficile. Très difficile... On se tourne toujours vers la communauté internationale. C'est qui la communauté internationale ? Qu'est-ce qu'a fait la communauté internationale, et l'ONU en particulier ?
J'ai été très longtemps un agent des Nations Unies, et j'étais responsable de pays entiers. Cette communauté internationale doit aussi malheureusement tenir compte des influences, des jeux politiques, de la balance des puissances. Alors, pour ce qui concerne ce tribunal, il faudra que chacun d'entre vous et tous les amis viennent rappeler ce qui s'est passé depuis les années 80 et jusqu'à maintenant, et en disant, Madame Radjavi l’a dit, combien il y a eu de massacres le mois dernier, pas seulement en 88. Combien y-a-t-il eu de pendaisons ? Combien y-a-t-il eu d'exécutions ? Puisqu'on rapporte les exécutions au nombre d'habitants, ce qui est un calcul assez sordide, mais qui existe, et bien, ce pays d'Iran, c'est lui qui massacre le plus.
Et c'est lui qui a massacré beaucoup plus depuis que l'accord a été signé entre non seulement les États-Unis d'Amérique, mais le groupe de contact et l'Europe, avec l'Iran. Ceux seront les obstacles qu'on fera jouer devant nous… Vous savez, nous en parlons avec nos amis les moudjahidines on veut la stabilité dans cette région. Dans la région la plus instable du monde, c'est-à-dire le Moyen Orient, on souhaite la stabilité.
Tout ce qui fait bouger un peu plus et c'est vrai que ces temps-ci tout ce qui se passe en Syrie, en Irak, en Turquie, et dans les pays environnants, et la grande lutte entre les sunnites et les chiites. Ça existe. Ça existe. L'Arabie Saoudite, Ça existe, et vous avez d'ailleurs fait parler à votre réunion du Bourget, un Saoudien qui a bien exprimé les choses. Il y en a quelques-uns. Donc, tous ces obstacles existeront toujours, ils seront là devant nous. Si on réclame un tribunal, et il faut réclamer un tribunal, je compte d'ailleurs sur l'élection d'Hillary Clinton, pour qu'elle rejoigne ce combat. J'espère que je ne me trompe pas. Je suis sûr que je ne me trompe pas…
J'ai travaillé longtemps avec Hillary Clinton, et je sais qu'elle sera élue présidente des États-Unis d'Amérique, et j'espère que la configuration générale pourra changer vers les droits de l'homme, et vers la cessation des massacres. Mais, les obstacles seront très nombreux, je le répète, mais c'est un message très défensif et très pessimiste de dire ça. Malgré ces obstacles, malgré la guerre qui se poursuit, malgré l'offensive turque, malgré le combat héroïque d'un certain nombre de kurdes, et j'ai appris que 25 d'entre eux, venaient encore d'être exécutés en Iran.
Malgré tout cela, il faut que nous nous acharnions, à faire la lumière sur ce massacre, il faut que l'on sache ce que c'est que le pouvoir religieux, cette théocratie, qu'ici on déteste, à juste raison. Ce mélange entre le bon Dieu, et la République, soi-disant République. En tout cas le pouvoir politique, et la religion, l'inégalité entre les hommes et les femmes, tout ce que vous détestez aussi.
Tout cela a des conséquences terribles sur la population iranienne, quotidiennement, tous les jours. Rien n'a changé depuis qu'on a signé l'accord, et je ne dis pas que j'étais contre l'accord. Parce que si on vous demande de choisir entre une possibilité de paix et une possibilité de guerre, atomique éventuellement, évidemment, on préfère la paix. Et malgré tout ça, il faut qu'on sache la réalité quotidienne.
Tout le monde se précipite pour aller signer des contrats, à Téhéran. Et puis on s'aperçoit que les contrats sont signés avec les Gardiens de la révolution. Et on s'aperçoit que toute l'économie est aux mains des Gardiens de la révolution. Malgré tout ça, et peut-être à cause de tout ça, il faut que les combattants des droits de l'homme qui avaient le drapeau en berne ces temps-ci, parce que regardez, ce n'est plus à la mode le combat des droits de l'homme, ça n'est plus à la mode de faire des manifestations à Paris, parce qu'il y a des massacres en Syrie, ou ailleurs.
Malheureusement, il n'y a pas eu de grande démonstration, et malheureusement, la façon dont un certain nombre de pays d'Europe, dont le mien, n'ont pas accueilli les réfugiés, donne aussi beaucoup de tristesse, pour les combattants des droits de l'homme. Malgré tout ça, il faut donner cette occasion-là, car c'est un service que nous devons rendre à la mémoire de ceux qui sont morts. Qu’eux, nous fassent bouger une fois de plus, et qu’on n’oublie pas toutes ces violations actuelles des droits de l'homme. Et qu'en souvenir de leur sacrifice, et que leurs noms soient répétés, et que l'on dise à chaque fois, combien à eux, nous devons cet espoir qui nous habite tous, et qui vous habite ici. Merci de ne pas les avoir oubliés et merci de nous avoir fait nous souvenir de la nécessité de cette bataille quotidienne que l'on doit livrer au nom de ceux qui sont morts, mais aussi que l'on doit livrer contre soi-même. Il ne faut pas laisser mourir l'idée des droits de l'homme. Merci, Madame.
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