Plusieurs autres représentants de l’ONU ont fait des demandes répétées et infructueuses depuis 2004 pour enquêter sur les allégations volumineuses rapportées par les Iraniens, alors même que l’Iran a adressé en 2002 une invitation permanente à toutes les procédures spéciales de l’ONU à se rendre dans le pays. Il s’agit notamment de discrimination à l’égard des femmes et des filles, des minorités ethniques, linguistiques et religieuses, d’allégations de détention arbitraire, de disparitions forcées, de torture, d’exécutions et de violations de la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
Le mandat sur les mesures coercitives unilatérales est unique en ce sens qu’il demande au titulaire du mandat d’évaluer principalement – sinon exclusivement – la responsabilité des États qui imposent des sanctions pour les violations des droits dans la juridiction des États sanctionnés. En invitant le seul expert dont le mandat consiste à examiner la responsabilité des acteurs extérieurs pour les violations des droits dans le pays, les autorités iraniennes profitent de cette visite pour tenter d’éviter que l’on examine son manque de coopération avec le système des droits de l’homme des Nations unies. Il s’agit également d’un stratagème banal pour rejeter sur les sanctions la responsabilité de la situation actuelle des droits de l’homme en Iran.
Si l’Iran prend au sérieux cette visite, il doit donner un accès non censuré à des données et des statistiques fiables et complètes, et permettre un accès sans entrave aux observateurs indépendants de la société civile. Dans un contexte marqué par le manque de transparence, un espace civique fortement restreint et la persécution des défenseurs des droits humains, y compris certains de ceux qui documentent de manière indépendante l’impact des sanctions sur le droit à la santé, nous craignons que le gouvernement ne remplisse pas ces conditions.
Dans son dernier rapport à l’Assemblée générale des Nations Unies, le Rapporteur spécial sur la situation des droits humains en Iran, M. Javaid Rehman, s’est dit » [préoccupé] par l’impact des sanctions, compte tenu notamment des effets persistants de la pandémie du coronavirus (COVID-19), mais aussi… par l’insuffisance des mesures prises par le gouvernement pour protéger les droits économiques et sociaux « [3]. Sur la question des bas salaires, le Rapporteur spécial a déclaré que « tout en notant l’impact que les sanctions ont eu, la mauvaise gestion économique et la corruption ont également contribué à la situation actuelle » [4].
En tant qu’organisations documentant la situation des droits humains en Iran, y compris l’impact des sanctions sur les droits humains et les conditions humanitaires [5], et plaidant pour la réalisation de ces droits pour tous dans le pays, nous savons que les sanctions économiques non ciblées ont eu des conséquences négatives pour la population iranienne et affectent la vie quotidienne de beaucoup dans le pays.
Mais nous savons bien que la pauvreté, le manque d’accès aux soins de santé, la discrimination dans l’emploi et l’éducation, l’insécurité alimentaire, le manque d’accès à Internet et les logements inadéquats n’ont pas commencé avec des mesures imposées par l’étranger et ne peuvent être imputés uniquement aux sanctions. Ces conditions ont été et continuent d’être également le produit de la mauvaise gestion, de la corruption, du manque de responsabilité et de l’absence d’État de droit. Elles sont également le résultat de décennies de négligence économique à l’égard des régions où résident des populations minoritaires et de lois, politiques et pratiques discriminatoires sanctionnées par l’État, qui excluent et marginalisent de larges pans de la société iranienne.
Par conséquent, les préoccupations légitimes concernant l’impact des sanctions ne peuvent et ne doivent pas occulter la responsabilité des autorités iraniennes, qui ne garantissent pas – et parfois restreignent activement – l’accès à la santé, au travail, à l’éducation, à Internet et à un niveau de vie adéquat pour tous en Iran. La tentative du gouvernement de mettre sur le compte des sanctions le lourd tribut payé par sa population lors de la pandémie de la COVID-19, tout en refusant récemment des vaccins dont l’efficacité a été scientifiquement validée en raison de considérations géopolitiques [6], en dit long sur ce point.
Parmi tous les éléments qui rendent la situation des droits humains en Iran si désastreuse, les autorités iraniennes ont décidé de se concentrer uniquement sur les actes d’autres États, dans une tentative manifeste de détourner l’attention internationale de leur propre responsabilité. Une fois de plus, elles démontrent qu’elles ne sont pas sérieuses lorsqu’il s’agit d’aborder leurs propres lois, politiques et pratiques et leur responsabilité première dans les défis actuels du pays en matière de droits humains.
- La communauté internationale ne doit pas être dupe. Et l’Iran ne doit pas être récompensé pour sa tentative d’éviter de rendre des comptes.
- Centre Abdorrahman Boroumand pour les droits de l’homme en Iran (ABC)
- Tous les droits de l’homme pour tous en Iran
- ARTICLE 19
- Association pour les droits humains du peuple azerbaïdjanais en Iran (AHRAZ)
- Ensemble Contre la Peine de Mort (ECPM)
- Impact Iran
- Iran Human Rights (IHRNGO)
- Centre de documentation sur les droits de l’homme en Iran (IHRDC)
- Association des droits de l’homme du Kurdistan – Genève (KMMK-G)
- Fondation Siamak Pourzand (SPF)
- United for Iran
[1] Communiqué de presse du HCDH, Iran : Un expert en droits de l’ONU évalue l’impact des mesures coercitives unilatérales, 5 mai 2022, accessible à l’adresse https://www.ohchr.org/en/press-releases/2022/05/iran-un-rights-expert-assess-impact-unilateral-coercive-measures.
[2] Les procédures spéciales de l’ONU qui ont demandé une visite comprennent (dans l’ordre chronologique des demandes de visite) le Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées et involontaires (1997), le Rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires (2004), le Rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté de religion ou de croyance (2004), le Rapporteur spécial de l’ONU sur les questions relatives aux minorités (2008), le Rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’expression (2010), le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (2010), le rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des juges et des avocats (2011), le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme en République islamique d’Iran (2011), le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation (2011), le groupe de travail des Nations unies sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles (2014), le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (2014), le rapporteur spécial des Nations unies sur les mesures coercitives unilatérales (2015), le rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’association et de réunion pacifique (2017), l’expert indépendant des Nations unies sur l’ordre international démocratique (2022).
[3] Rapport du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme en République islamique d’Iran à l’Assemblée générale des Nations unies, 16 juillet 2021, A/76/160, par. 3, accessible sur : https://undocs.org/A/76/160
[4] Rapport du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme en République islamique d’Iran à l’Assemblée générale des Nations unies, 16 juillet 2021, A/76/160, paragraphe 25, accessible à l’adresse suivante : https://undocs.org/A/76/160.
[5] Rapport de l’organisation de défense de la liberté d’expression ARTICLE19 sur les coupures d’Internet de novembre 2019 en Iran, et l’impact des sanctions américaines sur le complément et la facilitation des politiques étatiques permettant les coupures de l’Internet international. https://www.article19.org/wp-content/uploads/2020/09/TTN-report-2020.pdf
[6] https://www.aljazeera.com/news/2022/2/22/iran-returns-donated-covid-vaccines-because-they-were-made-in-us
Source : IHR
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