vendredi 15 mars 2019

Malgré son sexisme institutionnel, l’Iran se voit accorder une place au Comité des droits des femmes de l'ONU


femmes onu iran Mercredi, le Comité des droits de la femme des Nations Unies a annoncé la nomination de la République islamique d'Iran dans un groupe de travail sur « les communications sur le statut des femmes ».
Cette nomination donne aux délégués iraniens une voix sur les questions pour lesquelles le régime iranien a fait l’objet de critiques bien fondées et très médiatisées.

C’est pourquoi la décision du comité a suscité des réactions prévisibles de la part des défenseurs des droits humains et des groupes politiques ayant un intérêt pour les affaires iraniennes. UN Watch, qui a déclaré que la nomination de l’Iran envoie le « pire message possible » concernant les engagements fondamentaux de l’organisme international.
Comme UN Watch l'a également souligné, la décision du comité a été annoncée juste un jour après l'annonce de la condamnation de Nasrin Sotoudeh, une avocate renommée des droits de l'homme, à 33 ans de prison pour des accusations vaguement définies, en plus des sept années précédentes, prononcées pour « insultes envers le Guide suprême » et pour collusion avec des États étrangers dans le cadre de son travail en faveur des droits de l'homme.
Le régime iranien rejette régulièrement les critiques sur son bilan en matière de droits humains, notamment sur les droits des femmes, en tant qu'exemples de l’impérialisme étranger, bien qu'il soit partie à de nombreux documents qui codifient les normes internationales dans ces domaines. Les travaux de l’ « observateur des droits de l’homme » interne à Téhéran sont presque entièrement consacrés à la contestation de comptes-rendus indépendants des violations du régime.
Compte tenu de ce comportement passé, il va de soi que l'Iran utilisera sa position au sein de la commission des droits de la femme dans le même sens, soit en s'opposant à des informations mettant en avant le statut de secondaire des femmes iraniennes, soit en promouvant sa propre vision rétrograde des droits des femmes sur la scène internationale. Ce dernier projet a été un élément de la propagande iranienne, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, tout au long des 40 années d’histoire du régime, mais particulièrement au cours des dernières années.
Coïncidant avec l'administration du prétendu président modéré Hassan Rouhani, l’ultime autorité cléricale du pays, le Guide suprême, Ali Khamenei a fait pression pour le renforcement du statut des femmes en tant qu'épouses et mères, décourageant leur entrée sur le marché du travail et leur pression croissante en faveur de l'égalité des droits.
À cette fin, le bureau du Guide suprême et d'autres institutions radicales ont réduit l'accès au contrôle des naissances, élargi la ségrégation des hommes et des femmes dans les lieux publics, habilité les milices radicales à réprimer de manière plus agressive les femmes sur les violations présumées des lois du pays en matière de voile obligatoire, etc.
Simultanément, les médias publics et les pourvoyeurs semi-indépendants de la propagande intransigeante ont travaillé dur pour contrôler les images publiques concernant le rôle des femmes dans la société. IranWire a présenté cette tendance, la semaine dernière, dans un rapport célébrant la Journée internationale de la femme.
L'article décrivait des panneaux d'affichage qui avaient été installés par un groupe de médias, l'Organisation Owj, proche des pasdarans. Ces expositions publiques excluent les femmes des images censées célébrer l'unité nationale, tout en promouvant activement des scènes de maternité et aucun autre rôle social féminin.
Cela a poussé un utilisateur iranien de Twitter à dire que, en prétendant simplement que les femmes n'existaient pas à l'extérieur de la maison, Owj avait entrepris un projet encore pire que « l'humiliation et les insultes ».
Cela ne veut pas dire que les humiliations et les insultes n’ont pas été aussi des éléments de la contre-pression du régime contre la libération des femmes. En effet, au cours des derniers mois, il y a eu une véritable avalanche de vidéos virales illustrant le harcèlement de la police de la moralité, souvent violemment, de femmes dont la tenue vestimentaire était jugée insuffisamment conforme à l’interprétation de la loi islamique édictée par le régime théocratique.
Bien que de tels incidents constituent un phénomène qui dure depuis longtemps, le nombre de programmes moraux a été délibérément renforcé ces dernières années et la dernière recrudescence des affrontements reflète probablement leur tentative de réprimer les protestations au sujet des droits des femmes dans le sillage du mouvement appelé « Girls of Revolution Street » (« Les filles de la rue de la Révolution »).
Faisant référence au lieu de la première manifestation au cours de laquelle une femme a ôté publiquement son hijab blanc pour le brandir au-dessus de sa tête, le mouvement s'est développé en impliquant des dizaines de femmes depuis décembre 2017, dont beaucoup ont été accusées d’avoir « encouragé l'immoralité et la prostitution ». C’est pour avoir tenté de défendre ces manifestants devant les tribunaux que Nasrin Sotoudeh a été arrêtée l’année dernière puis condamnée à plus de trois décennies de prison sur la base de sept chefs d’accusation à caractère politique.
Mohammad Moghimi, un confrère qui avait représenté Sotoudeh dans d'autres affaires, avait identifié les chefs d'accusation comme suit : « rassemblement et collusion contre la sécurité nationale » ; « propagande contre l'État » ; « appartenance au Defenders of Human Rights Centre, au Groupe Legam ( Étape par étape pour mettre fin à la peine de mort et le Conseil national de la paix) ; « encouragement à la corruption et la prostitution » ; « présentation devant la justice sans le hijab islamique » ; « trouble à l'ordre public » et « publication de mensonges dans le but de perturber l'opinion publique ».
La justice iranienne avait initialement reconnu que seulement sept années avaient été ajoutées à sa peine antérieure, mais les récits de son affaire ont été détaillés par le biais des médias sociaux, notamment par le mari de Sotoudeh et par son ami et aussi prisonnier politique, Reza Khandan, parmi d’autres avocats.
On ignore cependant combien d’années, sur les 38 ans, elle devra purger. Les récents changements apportés au code pénal iranien exigent que les prisonniers ne purgent que la plus longue des multiples peines prononcées simultanément.
Ainsi, certains rapports indiquent que Sotoudeh pourrait effectivement être condamnée à une peine de 10 ans seulement, bien que cela n’a guère atténué les critiques selon lesquelles elle est punie uniquement pour avoir défendu les droits des femmes et tenté d’exercer son métier d’avocate.
Une peine effective de 10 ans ne serait pas la pire des sanctions contre une femme associée aux manifestations de Revolution Street. Au moins un des manifestants a été condamné à 20 ans de prison. De telles condamnations réactionnaires reflètent sans doute un sentiment de panique au sein du régime iranien devant non seulement, la montée en puissance du plaidoyer public en faveur de l'égalité des sexes, mais aussi la contestation politique et sociale actuelle en général.
Un jour seulement après la première manifestation de la rue de la Révolution, la ville de Mashhad est devenue le premier site de ce qui allait devenir une série de manifestations massives qui ont généré des appels explicites à un changement de régime dans plus de 100 villes et villages iraniens.
Les poursuites engagées contre Nasrin Sotoudeh sont importantes pour les mesures de répression générale et spécifique prises par le régime. En plus d’être une des dizaines de militantes des droits des femmes à avoir été ciblées au cours de l’année écoulée, elle est également l’un des sept avocats des droits humains, à avoir été poursuivi au cours de la même période, selon la BBC.
Les tendances globales ont été largement rapportées dans les médias internationaux, de même que les irrégularités commises dans l'affaire Sotoudeh. À ce titre, un certain nombre de gouvernements et d’organisations internationales ont condamné presque simultanément ces deux phénomènes.
Par exemple, le département d'État américain a condamné la condamnation de Mme Sotoudeh « dans les termes les plus forts possibles », la qualifiant comme allant « au-delà de la barbarie » le même jour où le secrétaire d'État Mike Pompeo a présenté son rapport annuel sur les droits humains et a mis un accent particulier sur les exécutions arbitraires perpétrées par l'Iran, les attaques contre des manifestants pacifiques et le « schéma de cruauté » qui dure depuis 40 ans.
Jeudi, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits humains (ONU) a publié une déclaration dans laquelle il se déclarait « choqué » par la durée de la peine infligée à Sotoudeh. Il a attiré l’attention sur le refus de l’application régulière de la loi par des pratiques telles que l’interdiction pour le défendeur de sélectionner tout avocat autre que les avocats préapprouvés et répertoriés par le pouvoir judiciaire.
La Commission s’est associée à une déclaration antérieure de l’Action extérieure de l’Union Européenne en exhortant le gouvernement iranien à libérer immédiatement Sotoudeh et son mari, dans l’attente d’une révision de leur affaire.
Quelques jours auparavant, l’UNHRC, le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU, avait également publié une déclaration soulignant les conclusions générales du premier rapport de Javaid Rehman, l'actuel Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme en République islamique d'Iran. La déclaration commençait par : « Les schémas inquiétants d'intimidations, d'arrestations, de poursuites et de mauvais traitements infligés à des défenseurs des droits humains, des avocats et des syndicalistes en Iran montrent que l'État réagit de plus en plus sévèrement aux manifestations et aux grèves dans le pays ».
Bien que les déclarations générales de l’ONU et du département d’Etat américain n’aient pas mis l’accent sur les droits des femmes, il s’agit là d’une caractéristique commune aux critiques formulées contre la République islamique depuis de nombreuses années. En outre, la relation entre ces déclarations générales et l’affaire Sotoudeh ne devrait laisser planer aucun doute quant à la nature persistante du bilan négatif du régime en matière de droits des femmes.
Même les plaintes générales concernant la répression de la dissidence par l’Iran pourraient être considérées comme suffisantes pour dissuader les délégués du régime de commenter, par l’intermédiaire du Comité des droits des femmes des Nations Unies, certaines des questions identifiées par UN Watch comme relevant du Comité. Parmi celles-ci figurent « la mort et la torture des femmes en garde à vue », « les disparitions forcées ou les enlèvements de femmes », « les menaces ou les pressions exercées sur les femmes pour qu'elles ne se plaignent pas ou qu’elles retirent leur plainte » et « la violation des droits des défenseuses des droits humains à liberté d'expression et de réunion ».
D’autres sujets de préoccupation, tels que les stéréotypes sexistes, la violence domestique, les tests de virginité et la discrimination juridique, appellent une évaluation plus ciblée du bilan de l’Iran afin de juger de la validité de son inclusion dans le groupe de travail du comité.
Les responsables iraniens peuvent essayer de contester ces évaluations, par exemple en soulignant le niveau élevé d’éducation des femmes en République islamique. Mais comme l’a souligné IranWire dans un autre article publié à l’occasion de la Journée internationale de la femme, ces caractéristiques de la société iranienne subsistent en dépit des attitudes officielles du régime en matière de genre et de sexualité, et non à cause d’elles.
Selon cet article, la discrimination institutionnalisée et les incongruités juridiques, conjuguées aux pressions du régime pour une reconnaissance plus large d’un rôle social féminin confiné, « remettent en question les perspectives d’avenir des femmes iraniennes, en les positionnant comme la population la plus vulnérable du pays ».
Source : Iran News Update

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