mercredi 7 septembre 2016

Iran - lettre d’une prisonnière : la salvatrice est en route

 Extraits d'une lettre de Maryam Akbari Monfared
Cela fait la septième année que je ne suis pas avec elle. Elle avait 3 ans et demi lorsque nous avons été séparées. Je voulais vraiment être à ses côtés pour sonopération et pendant son rétablissement. Voilà pourquoi j’ai demandé à ce qu’on m’accorde un congé, mais cela n’a pas été approuvé.

Plus tôt, en 2011, quand elle a voulu commencer la première année, j’ai demandé à être à ses côtés pour le premier jour d’école, mais cela n’a pas été accepté non plus. Et maintenant, après toutes ces années, et en ce moment, où Sara est censée subir une chirurgie, ils ont refusé ma demande d'avoir un congé.
Bien sûr, j’ai honte. Je me sens honteuse parce que mes chères sœurs et frères ont abandonné leurs proches, pour libérer leur nation enchaînée et concrétiser une grande cause en laquelle ils croient.
Ils ont abandonné leurs enfants et n’ont été témoins d’aucun des beaux moments de leur croissance. Et beaucoup d'entre eux sont morts avant même de voir leurs beaux enfants. Et maintenant, je pense au fait d’être aux côtés de Sara.
Je ne suis pas en train d'écrire ceci parce que Sara m’a manqué, parce que Sara a son père, Hassan, et ses sœurs, Pegah et Zahra, qui ont été comme une mère pour elle.
Je vous écris ceci juste pour vous donner un petit aperçu de l'oppression que nous vivons...
Comme mon esprit m’emmenait loin avec ces réflexions, les souvenirs de l'été 1988 me sont tout à coup revenus.
Je ne pourrai jamais oublier cette chaude et sombre soirée d’août 1988, où l’on pouvait entendre l'appel à la prière du soir, depuis la mosquée du quartier Hashemabad.
Fatigués de jouer, Mahnaz et moi sommes rentrées à la maison, comme d'habitude. Mais nous avons vu ma mère en train de pleurer. Cela était tellement étrange à nos yeux, parce que nous n’avions jamais vu ma mère dans un état pareil. Elle était toujours heureuse et souriait tout le temps.
Comme elle sanglotait et que les larmes coulaient sur ses joues, elle nous a dit pourquoi elle était si bouleversée.
Oui, cette fois-ci c’était le tour de ma sœur, Roghieh d’être exécutée. Et le seul nom, que ma mère ne cessait de répéter était Roghieh. « Chère Roghieh ! Oh, ma chère ! Que pourrai-je bien faire de ton Mahnaz ? Que devrais-je lui dire ? »
Après une heure, j'ai appris que mon frère, Abdi, avait également été exécuté durant cet été 1988. Mes parents avaient été informés des exécutions de Roghieh et Abdi en même temps, dans la salle de visite de la prison.
Avant eux, mon autre frère, Alireza avait été exécuté en septembre 1981, et ensuite, l'autre frère, Gholamreza en Novembre 1985
Mais la mort de Roghieh était plus difficile pour ma mère que la mort de ses trois fils, puisque Roghieh avait une petite fille. Mahnaz était seulement âgée de trois ans quand Roghieh a été arrêtée. Presque le même âge que ma propre Sara. Quand je pense à Roghieh, je pense à ce qu'elle pensait de Mahnaz, quand elle s’opposait aux oppresseurs.
Et maintenant me voilà, moi la sœur de Roghieh, en train de me soucier de l'opération de ma fille.
De temps en temps, quand je suis vraiment bouleversée, je murmure à Dieu, qu’est-ce qui pourrait arrêter une mère d'aimer son enfant. Il n'y a aucun pouvoir au monde qui pourrait remettre en cause l'amour d'une mère. Cela montre que le monde dans toute sa gloire est trop faible en comparaison à l'amour d'une mère pour son enfant.
Aujourd'hui, plus qu’à tout autre moment de ma vie, je suis rempli de douleur et d'amour. Et je sens plus fermement que jamais que j'ai fait le bon choix, et je l'ai fait, avec toute mon honnêteté.
Et je crois et ai foi que la justice est beaucoup plus forte que l'amour d'une mère pour son enfant...
Il y a des moments où la vie perd son sens, nous laissant lui donner un sens grâce à nos actes.
Les accidents ne nous remplissent pas d’espoir ou ne nous déçoivent pas. C’est la façon dont nous regardons les événements qui nous entourent et la façon dont nous regardons les choses qui nous rend heureux ou déçus.
Donc, quand je regarde les choses de cette façon, le plus amer et le plus douloureux des événements semblent inspirant et énergisant pour moi. Je peux gagner le pouvoir de mes faiblesses et je peux obtenir du calme depuis les profondeurs de la détresse. Comme si vous taillez une statue douce à partir d'un grand rocher rude ; une statue douce de la fermeté et de l'espoir pour l'avenir.
Et je crois qu'il est du devoir de chaque être humain épris de liberté de reconnaître la sauvagerie de son temps et de se tenir à la hauteur.
Oui, les feuilles d'automne tombent à vos pieds, mais un arbre solide et résistant reste toujours debout. Bien sûr, les feuilles sont une partie inoubliable de la raison d’être d'un arbre...
L'amour ne correspond pas à une grille de mots, à moins que vous ayez ressenti les souffrances de la captivité.
Pour grimper les plus hauts sommets, il y a toujours un grand groupe de personnes pour commencer à laisser un petit groupe pour en fin de compte atteindre le sommet. Le grand groupe donne toute son énergie au petit groupe afin qu'il puisse sentir le moment de conquête de la crête.
La chose la plus importante est la détermination et la foi des grimpeurs...
En raison de toutes les complications dans ma vie, j'ai personnellement eu à marcher le long de ce chemin solitaire et étroit de la séparation mille fois, sans même que mon corps ne touche les murs de cette ruelle. Parfois, je devais même courir. J'espère avoir bien couru.
Que de longues années, journées et secondes nous avons passées. Et vous, ma chère Sara, durant toutes ces années et ces jours et moments, avez été pleine de force et de patience.
Votre force me donne le pouvoir de résister aux cruautés, comme un tonnerre rugissant dans le ciel, donnant vie au sens de l'endurance et de résistance.
Et oui, c’est la route, et ceci est le prix pour elle et la salvatrice est en route.
 Maryam Akbari Monfared
Septembre 2016
Prison d'Evin

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