Le refus persistant des autorités iraniennes à révéler le sort de milliers de dissidents politiques disparus de force et exécutés extrajudiciairement dans le plus grand secret lors des massacres dans les prisons iraniennes en 1988 a déclenché une crise que la communauté internationale a largement ignorée pendant des décennies.
Amnesty International, le 28 août, dans la perspective de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées a parlé de milliers de morts qui ne sont toujours pas enregistrées et, dans tout le pays, des milliers de corps disparus inhumés dans des fosses communes non identifiées.
Depuis 35 ans, les autorités iraniennes n’ont pas officiellement reconnu l’existence de ces fosses communes et ont dissimulé leurs emplacements, causant des souffrances immenses aux familles qui cherchent toujours des réponses sur leurs proches disparus, a ajouté Amnesty International.
Il n’y a pas de crime plus cruel que la « disparition » d’un être humain. Les disparitions forcées sont un outil de terreur à l’impact dévastateur qui ne frappe pas seulement les individus et leurs familles, mais des sociétés entières laissant des cicatrices très difficiles à soigner. C’est pourquoi elles constituent un crime au regard du droit international et, si elles sont commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigées contre une population civile, elles constituent un crime contre l’humanité.
Pour la plupart des proches des personnes disparues, la perte de l’être cher continue de se sentir récente, même lorsque la logique leur dit que la personne est probablement morte. Tant qu’il y aura de l’incertitude, il y aura de l’espoir. Tant qu’il y a de l’espoir, ils restent pris au piège dans des limbes tortueux, incapables de faire leur deuil ou de continuer leur vie. Pour les parents en particulier, abandonner l’espoir est une trahison, comme s’ils tuaient leur propre enfant.
La regrettée Rapporteuse des Nations Unies sur les droits de l’homme en Iran, feue Asma Jahangir, a inclus dans son rapport les plaintes des familles concernant le massacre de 30 000 prisonniers politiques en 1988.
Selon le droit international, le crime de disparition forcée persiste jusqu’à ce que l’État révèle le sort de la victime où il se trouve. Si la personne disparue est décédée, l’État doit restituer les restes de la victime à sa famille.
Harcèlement des familles à la recherche de la vérité
La disparition forcée est l’une des pires violations des droits humains. Des personnes sont enlevées à leur famille par des autorités officielles ou par d’autres individus agissant en leur nom, qui nient par la suite que la personne est sous leur garde ou refusent de dire où elles se trouvent. Les familles sont ainsi plongées dans un état d’angoisse, essayant désespérément de garder espoir en leur vie tout en craignant le pire.
De nombreuses familles iraniennes ont été piégées dans ces limbes plus de trois décennies après le massacre de 30 000 prisonniers politiques en Iran en 1988.
Les familles et les proches ne peuvent pas apprendre la vérité et rechercher la justice, alors que nombre d’auteurs de ces crimes odieux occupent des postes élevés au gouvernement. Ceux qui ont osé le faire ont subi des conséquences.
Maryam Akbari-Monfared a été arrêtée en décembre 2009 et condamnée à 15 ans de prison. Le juge lui a dit qu’elle devrait payer le prix de ses frères et sœurs exécutés en 1988 par le régime pour leur opposition.
En février 2017, alors qu’elle était en détention, Maryam Akbari-Monfared a déposé une plainte auprès de l’ONU, demandant de l’aide pour découvrir la vérité sur le sort de son frère et de sa sœur, Roghieh et Abdolreza, exécutés lors du massacre de 1988. Le régime iranien a verbalement informé la famille de l’exécution de leurs enfants, mais n’a jamais révélé leurs lieux d’inhumation.
Le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions involontaires et forcées (WGIED) a reconnu Roghieh et Abdolreza Akbari-Monfared en tant que victimes de disparitions forcées.
Raheleh Rahemipour, âgé de 65 ans, a été condamnée par le tribunal révolutionnaire de Téhéran à un an de prison le 9 avril 2019 pour « propagande contre l’État ». Alors que le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires commençait à examiner sa plainte et demandait aux autorités iraniennes de reconnaître son frère et sa nièce, le régime s’est mis à faire pression sur elle et à la harceler.
Le frère de Mme Rahemipour, Hossein Rahemipour, un dentiste, a été arrêté avec son épouse enceinte en 1983. Au printemps 1984, la famille Rahemipour a été informée que l’enfant Golrou était née à la prison d’Evine mais était décédé plus tard. À la fin de l’été de la même année, Hossein a été exécuté. Sa mort a été annoncée à sa famille par téléphone.
Ali Saremi a été arrêté et emprisonné en 2007 pour s’être entretenu avec un groupe de familles de victimes de disparitions forcées du massacre de 1988 au cimetière de Khavaran, où se trouvaient certaines des fosses communes renfermant des corps de victimes exécutées. M. Saremi a ensuite été exécuté en 2011.
Les cas de disparitions forcées en Iran ne se limitent pas aux années 1980. Le régime en place continue à sévir avec cette méthode.
Le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires a récemment reconnu les cas de prisonniers politiques kurdes, Mme Shirin Alam Holi, M. Farzad Kamangar, M. Ali Heidarian et M. Farhad Vakili exécutés en 2010. Il s’agit de disparitions forcées étant donné que leurs corps n’ont jamais été remis à leurs familles. Le régime a continué de dissimuler la vérité sur leurs exécutions et leur enterrement. Le Groupe de travail de l’ONU demande maintenant aux autorités iraniennes de soumettre des preuves afin de connaître le détail de leur sort.
Dans son rapport de décembre 2018 intitulé « Des secrets couverts de sang», Amnesty International a déclaré qu’en continuant de dissimuler systématiquement le sort et les tombes des victimes des exécutions extrajudiciaires secrètes en 1988, les autorités iraniennes commettaient un crime contre l’humanité de disparitions forcées en cours. En vertu du droit international, les autorités iraniennes ont l’obligation d’enquêter sur ces crimes en cours et de fournir vérité, justice et réparation aux victimes. Dans tous les cas de décès, les autorités ont l’obligation de délivrer un certificat de décès, indiquant avec précision la date, le lieu et la cause du décès. Toutefois, Amnesty International a souligné dans son rapport que cela n’avait pas été fait pour des milliers de cas pour les victimes des exécutions extrajudiciaires secrètes de 1988.
Non seulement, le régime iranien n’a rendu le corps d’aucune des victimes du massacre de 1988 aux familles et refusé de révéler leurs lieux d’inhumation, mais il a aussi multiplié les efforts pour raser les fosses communes et y faire des travaux de construction dessus pour éliminer toute trace de leur crime contre l’humanité.
Visages des victimes
Parmi les quelque 30 000 prisonniers politiques massacrés en Iran en 1988, des milliers de jeunes femmes étaient victimes de disparitions forcées ou involontaires. En voici brièvement quelques-unes :
Monireh Radjavi, mère de deux filles, a été exécutée lors du massacre de 1988 pour ses liens familiaux avec le dirigeant de la Résistance iranienne, Massoud Radjavi. Elle était sa sœur cadette et ne menait aucune activité politique. Elle a purgé six années de prison avant d’être exécutée et incarne le symbole de l’innocence des victimes du massacre de 1988.
Maliheh Aghvami, 26 ans, a été violée avant son exécution. Les jeunes femmes vierges ont été systématiquement violées avant leur exécution pour les « empêcher d’entrer au paradis ». Elle a été exécutée le 7 octobre 1988, après quoi un jeune membre de la milice du Bassidj s’est rendu au domicile de ses parents, se présentant comme son époux et leur remettant une boîte de friandises et la somme de 500 tomans en guise de dot de leur fille exécutée.
Nasrine Shoja’i a également été violée avant d’être exécutée en 1988 à Ispahan.
Azam Nassabi de Kermanchah avait 28 ans au moment de son exécution, le 27 août 1988, dans la prison de Gohardacht à Karadj.
Achraf Ahmadi avait 47 ans et était mère de quatre enfants. Elle a accouché de son premier enfant dans une prison du chah et son dernier dans une prison des mollahs. Elle était en prison depuis sept ans lorsqu’elle a été exécutée le 31 juillet 1988.
Zahra Bijanyar, a été arrêtée à l’âge de 24 ans alors qu’elle était enceinte et condamnée à 10 ans de prison pour son soutien à l’OMPI. Elle a perdu son bébé trois mois après son arrestation. Elle a été détenue dans l’unité résidentielle de Ghezel Hessar où elle a été fréquemment violée et torturée selon sa sœur.
Farahnaz Zarfchi et Fatemeh Zare’i ont été exécutées au cours du massacre de 1988, après sept années de prison chacune.
Fariba Dashti et Fazilat Allameh ont été exécutés durant l’été 1988, après sept ans de prison.
Shekar Mohammadzadeh, 32 ans, était une infirmière confirmée. Elle a été exécutée au bout de sept ans de prison en été 1988.
Sakineh Delfi est née à Abadan (Iran) en 1962. Elle a été l’une des premières victimes du massacre de prisonniers politiques de 1988. Elle a été enterrée avec sept autres prisonniers politiques moudjahidine du peuple (OMPI / MEK) dans un terrain vague de l’industrie sidérurgique d’Ahwaz. Les fosses ont été recouvertes d’une épaisseur de 30 cm de ciment pour empêcher l’accès à leurs corps gravement torturés et mutilés.
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