Cette simple scène a révélé une réalité plus vaste : concernant l’eau, la monnaie nationale, l’énergie et la qualité de l’air, la dictature cléricale est confrontée à des défaillances simultanées qu’elle ne peut plus dissimuler. Même les médias officiels et proches du régime reconnaissent désormais que le système est à court de ressources et de protection politique.
Pénurie d’eau et réaction de la population
Hashem Ureii, président de la Fédération des associations scientifiques de l’énergie, a exhorté les responsables, le 5 décembre, à cesser de parler de « déséquilibre hydrique » et à nommer la crise par son vrai nom : « pénurie d’eau ». Près de 90 % de la consommation nationale d’eau est destinée à l’agriculture, a-t-il souligné ; blâmer les ménages est une diversion.
Les données propres à Téhéran confirment ce constat. Selon Mohsen Ardakani, les quatre principaux barrages de la capitale sont remplis à environ 3 % ; en incluant le réservoir de Taleghan, ce chiffre n’atteint qu’environ 9 %. Les précipitations automnales ont été inférieures de 97 % aux normales saisonnières. Un vice-ministre de l’Énergie avertit que, sans une transformation profonde des méthodes d’extraction et de consommation, même la sécurité de l’approvisionnement en eau potable sera confrontée à de « graves défis ».
La pression environnementale aggrave le déficit. Les pédologues signalent une perte annuelle de 30 000 hectares de sols due à l’érosion ou à la dégradation. Les incendies de forêts et de pâturages dépassent les 18 000 par an, dont plus de 90 % sont d’origine humaine. Il ne s’agit pas de chocs isolés, mais des symptômes d’un modèle de gouvernance qui surexploite les ressources en terres et en eau pour satisfaire des priorités politiques à court terme.
Ces tensions ont éclaté au grand jour à Yasuj. Le militant Rahman Vafanejad a interpellé Pezeshkian au sujet d’un « ordre spécial » daté du 10 novembre visant à accélérer la construction de barrages controversés tels que Mandegan et Khersan-3, malgré les protestations locales et les avertissements scientifiques concernant les dommages causés à l’écosystème du Zagros. Le président a nié avoir émis un tel ordre et a tenté de le faire taire ; la télévision d’État a interrompu la diffusion. Cependant, des documents existent et les manifestations de ces dernières semaines montrent que les conflits liés à l’eau et à la terre ne sont plus de simples questions techniques : ce sont des points chauds politiques que l’État peine à maîtriser.
Effondrement monétaire et baisse des revenus
Si l’eau est la pénurie la plus visible en Iran, l’argent est la plus déstabilisatrice. En décembre, le dollar, sur le marché libre, avait dépassé les 122 000 tomans. Les pièces d’or et les principales devises étrangères ont également atteint des niveaux records. L’inflation officielle se maintient autour de 40 %, mais des économistes proches du pouvoir avertissent désormais qu’elle pourrait atteindre 55 à 60 % en fin d’année, avec un risque réel d’inflation à trois chiffres en 2026.
L’économiste Vahid Shaqaqi affirme que « tous les moteurs de l’inflation tournent à plein régime » : un déficit budgétaire de 1 000 à 1 500 milliards de tomans ; des failles structurelles dans le système bancaire et de retraite ; et des crises concomitantes dans les infrastructures d’électricité, de gaz, d’essence et environnementales. Du côté des recettes, le rétablissement des sanctions de l’ONU le 28 septembre 2025 et le ralentissement de la demande chinoise ont freiné les ventes de pétrole. Les données de renseignement maritime montrent qu’environ 52 millions de barils de pétrole brut iranien sont bloqués dans des capacités de stockage flottantes, un chiffre bien supérieur aux 5 à 10 millions de barils enregistrés en début d’année.
Les répercussions sur les ménages sont immédiates. Des experts du marché du travail, cités par les médias d’État, situent le seuil de pauvreté urbain à plus de 55 millions de tomans par mois et estiment que plus de la moitié des Iraniens vivent désormais en dessous de ce seuil. D’autres estimations suggèrent qu’environ 40 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté relative, dont près de 7 millions sont confrontées à une insécurité alimentaire absolue.
L’inflation alimentaire rend la crise tangible. Le prix du riz iranien a bondi d’environ 125 000 tomans le kilogramme à près de 332 000 en un an. Le prix du bœuf est passé de 575 000 à environ 864 000 tomans ; celui du poulet a augmenté de 50 %. Dans de nombreuses villes, les points de vente d’État affichent désormais des prix supérieurs à 250 000 tomans pour les boîtes de 30 œufs. Un député de haut rang confirme que les allocations en devises fortes pour les importations essentielles ont chuté de 18 milliards de dollars à 11 milliards de dollars cette année, ce qui réduit la capacité du gouvernement à stabiliser l’approvisionnement en biens de première nécessité et en médicaments.
Air toxique et système de santé sous pression
La qualité de l’air s’est tellement dégradée que les autorités ne peuvent plus minimiser la situation. Téhéran n’enregistre que six jours d’« air pur » par an. Début décembre, les niveaux de pollution ont constamment atteint des seuils « malsains » et « rouges », tandis qu’Ispahan, Mashhad et plusieurs villes du Khuzestan ont enregistré des indices supérieurs à 150. Les agences météorologiques ont émis des alertes orange, avertissant que certaines régions pourraient basculer dans une situation « dangereuse » sans une réduction rapide des émissions.
Les hôpitaux subissent de plein fouet les conséquences de cette situation. Plus de 200 000 personnes se sont rendues aux urgences à travers le pays en dix jours seulement en raison de la pollution atmosphérique, avec des pics marqués à Téhéran, Mashhad, Khuzestan et Alborz. À Hormozgan, le premier décès confirmé de la saison dû à la grippe a été enregistré, tandis que les autorités sanitaires locales mettaient en garde contre une accélération de la propagation des maladies respiratoires.
Des rapports officiels expliquent la situation : les principales centrales électriques près de Téhéran et de Qazvin ont utilisé cet automne un carburant dont la teneur en soufre était jusqu’à 570 fois supérieure à la limite légale ; les poids lourds continuent de fonctionner au diesel à haute teneur en soufre, ce qui contribue à la propagation de la pollution au cœur des zones urbaines. Les fermetures temporaires d’écoles sont présentées comme des mesures de protection, mais la réalité est claire : le gouvernement tolère la pollution atmosphérique pour éviter les coupures de courant et préserver ses devises étrangères.
Prix du carburant et craintes politiques
Dans ce contexte instable, le gouvernement a instauré le 6 décembre un système de tarification de l’essence à trois niveaux : 60 litres par mois à 1 500 tomans le litre, 100 litres supplémentaires à 3 000, et tout carburant supplémentaire – ou achat sans carte à puce personnelle – à 5 000. Les autorités présentent cette mesure comme une lutte contre la contrebande, et non comme une tentative de s’accaparer des recettes. Pourtant, le député conservateur Mojtaba Zolnouri a averti que sa mise en place avait « surpris » les citoyens et risquait de déclencher une nouvelle flambée des prix.
Le souvenir des manifestations meurtrières de novembre 2019 contre la hausse des prix du carburant plane sur chaque ajustement. Aujourd’hui, l’inflation est plus élevée, les revenus sont plus faibles et la confiance est plus fragile. Même des changements modestes comportent des risques politiques.
Un système à bout de souffle
Au sein de l’élite, les signes de tension sont indéniables : querelles parlementaires, rumeurs de remaniement ministériel et médias fidèles alertant sur le fait que certaines factions ont « dépassé les limites du système ». Pezeshkian lui-même décrit son mandat comme une succession ininterrompue de « mauvaises circonstances », citant pénuries d’eau, déséquilibres énergétiques et déficits budgétaires, tout en reconnaissant la colère de la population.
Dans tous les secteurs, le constat est le même : la pénurie s’aggrave, les capacités diminuent et la marge de manœuvre de l’État se réduit comme peau de chagrin. Le gouvernement ne peut rationner l’eau, l’air pur, le carburant et la monnaie tout en limitant l’espace politique. Comme les responsables l’admettent désormais eux-mêmes, « nous sommes pris au piège » – une conclusion à laquelle une grande partie de la société était parvenue depuis des années.

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