dimanche 7 décembre 2025

Le mouvement étudiant iranien ne peut être réduit au silence : les voix s'élèvent à nouveau lors de la Journée des étudiants en Iran

 Sur les campus occidentaux, « l’activisme étudiant » évoque des campements, des tribunes et des réprimandes administratives. En Iran, il commence par la possibilité d’une arrestation nocturne et se termine souvent par une disparition forcée.

Chaque 7 décembre – le 16 Azar du calendrier iranien –, les étudiants commémorent une date qui sonne moins comme un anniversaire que comme un signal d’alarme. Le premier sang des étudiants a coulé en 1953 lorsque les forces de sécurité ont tué trois étudiants de l’Université de Téhéran qui protestaient contre la dictature et l’ingérence étrangère. Sept décennies plus tard, les portraits de ces jeunes courageux circulent dans un pays où l’université a été méthodiquement réorientée.

Cette transformation est loin d’être métaphorique. Des caméras tapissent les couloirs. Les entrées et les sorties sont enregistrées. Les agents de sécurité se mêlent aux étudiants avec autant de désinvolture que les assistants d’enseignement. L’université, conçue pour susciter des questions, est devenue une annexe de l’État sécuritaire, où la curiosité est perçue comme un danger.

Saison du virus à l’université

Le régime parle souvent d’« immunité idéologique », comme si la dissidence était contagieuse. Les étudiants ont adopté cette métaphore, mais inversée. Ils décrivent ce qui se passe sur leurs campus comme une infection délibérée : une tentative d’anesthésier une génération et de la plonger dans la passivité.

Le premier symptôme est une répression visible : expulsions, interrogatoires, une peur latente. Vient ensuite une forme plus subtile, ce que les étudiants appellent la « répression blanche » : l’infiltration de la dépendance, la culture du cynisme, l’extinction progressive de toute ambition. Inutile d’emprisonner les gens si l’on peut les convaincre que rien n’a d’importance.

Enfin, la chirurgie intellectuelle : les professeurs respectés – ceux qui jouissent d’une autorité scientifique et d’une réputation d’indépendance – sont écartés ou exilés. Leurs remplaçants sont des fidèles dont la principale qualité est la fiabilité idéologique. Un campus autrefois ouvert sur le monde est contraint de se replier sur lui-même, de se cantonner à un récit unique et étouffant. La raison d’être de l’université n’est pas simplement contrôlée ; elle est réinventée.

L’effacement de la mémoire et la résistance des souvenirs

L’autoritarisme ne se contente pas d’exiger l’obéissance ; il exige l’amnésie. En Iran, les cours d’histoire sont transformés en instruments d’oubli. Les élèves en ressortent persuadés que le Dr Mohammad Mossadegh, ancien Premier ministre iranien qui a nationalisé les ressources pétrolières du pays, est présenté comme un agent des puissances étrangères, et que le 16 Azar commémore la prise d’otages de l’ambassade en 1979 plutôt qu’un massacre perpétré sous le Shah. La généalogie du mouvement étudiant – de 1999 à 2009, en passant par le soulèvement de 2017-2018 et la révolte de 2022 – est effacée des programmes officiels.

Pourtant, la mémoire est tenace. Elle survit dans des livres clandestins, des récits chuchotés, des canaux cryptés. Elle resplendit à travers des dates qui refusent d’être domestiquées : les descentes dans les résidences universitaires de 1999 ; le soulèvement de 2009 ; le slogan de 2017 « Réformistes, radicaux – c’est fini ! » ; les manifestations contre le carburant en 2019 ; la rébellion nationale après la mort de Mahsa (Jina) Amini en 2022. Chaque instant nous rappelle que les tentatives de pacifier les étudiants ont échoué à chaque décennie.

Pactes des cellules de prison

Les textes les plus poignants qui émergent aujourd’hui d’Iran ne sont pas des manifestes, mais des lettres manuscrites, clandestines, empreintes d’urgence. Leurs auteurs sont de jeunes universitaires désormais considérés comme des ennemis de l’État : des médaillés olympiques comme Ali Younesi et Amir Hossein Moradi ; des étudiants comme Ehsan Faridi, condamné à mort à Tabriz.

Leurs messages partagent un thème unique : le 16 Azar n’est pas un rituel, c’est un pacte. « Mort à l’oppresseur, qu’il soit Shah ou Leader ! » n’est pas un slogan archaïque, mais bien le fil conducteur de la lutte. La liberté, insistent-ils, ne peut être déléguée. Ni à des réformateurs promettant des chaînes moins dures, ni à des puissances étrangères dont les missiles ne sauraient instaurer la démocratie. Si le pays est devenu une prison, alors la libération doit être construite par ceux qui y sont enfermés.

Ces lettres sont remarquables non par leur désespoir, mais par leur lucidité. Même face à la répression, ces étudiants refusent la sécurité du cynisme. Ils décrivent l’Iran qu’ils souhaitent avec la précision décomplexée de ceux qui s’attendent à le voir.

Blouses blanches, voix claires

Si les lettres de prison révèlent l’anatomie morale de ce mouvement, une récente déclaration d’étudiants de l’Université des sciences médicales de Téhéran en révèle le pouls institutionnel.

La déclaration commence par l’urgence : des camarades de classe détenus, dont un en danger de mort. Mais elle s’élargit rapidement. L’inflation des frais de scolarité, l’effondrement des résidences universitaires, la commercialisation de l’enseignement et l’accès restreint à Internet pour la recherche scientifique ne sont pas de simples problèmes techniques ; ils témoignent d’une tentative systématique de détruire l’université en tant qu’espace de dignité.

Et puis vient la phrase que les autorités redoutent : « 16 Azar appartient à la voix indépendante des étudiants. » Dans un pays qui orchestre la vie publique avec la précision d’un panoptique de surveillance, cette phrase est explosive. Elle affirme que la légitimité ne découle pas des tribunes officielles, mais de l’expérience vécue sur le campus lui-même.

La main insaisissable

Le 16 Azar, l’État accomplira sa cérémonie scénarisée ; les étudiants répondront par une réponse que le régime n’a jamais réussi à contrôler. Des décennies d’endoctrinement, d’infiltration des Bassidj et de militarisation des campus ont échoué. Chaque soulèvement a révélé la même vérité : l’université demeure le bastion moral de l’Iran et le centre intellectuel de ses révoltes, et non le laboratoire d’obéissance des religieux.

Ainsi, lorsqu’une main se lève dans une salle de classe où les questions sont interdites, c’est plus qu’un acte de défiance : c’est… La défaite du régime est désormais manifeste. L’État le sait. Les étudiants le savent. Et le 16 Azar, ils refusent non seulement de se souvenir, mais aussi de se rebeller.

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