dimanche 9 juin 2024

Lettre de Mme Ingrid Berancourt au journal Le Monde

Directrice de la rédaction

Le Monde

Chère Madame,

Un membre du Conseil National de la Résistance Iranienne (CNRI) m’a informée que Le Monde envisage de publier un rapport d’enquête sur la résistance iranienne, et en particulier sur l’un de ses membres, l’OMPI. J’ai aussi pris connaissance du questionnaire qui a été envoyé au CNRI hier, avec un délai de 48 heures pour y répondre.

Je voudrais tout d’abord clarifier que je ne représente ni l’OMPI ni le CNRI. Cependant, j’aimerais partager avec vous mon expérience personnelle les concernant. Il y a près de 15 ans j’ai moi-même été confrontée aux mêmes allégations reprises dans le questionnaire envoyé, après avoir participé à Paris à une conférence de soutien de la résistance iranienne. Je m’y étais rendue en compagnie d’Elie Wiesel qui avait été très actif pour ma libération et celle des otages des FARC en Colombie, ainsi qu’avec d’autres personnalités européennes et américaines, reconnues pour leur défense des droits humains.

Très inquiète de ces accusations, et d’autres tout aussi graves, j’ai décidé de lire tous les articles, documents, et enquêtes supportant ces allégations. J’ai aussi parlé avec plusieurs dizaines de personnes de la résistance iranienne, non seulement des membres de l’OMPI mais aussi des personnes iraniennes habitant à Paris, à Stockholm et à Berlin, qui avaient elles aussi participées à la conférence et dont j’avais gardé les contacts. A cette époque, il faut le dire, l’OMPI avait été incluse dans la liste des organisations terroristes de l’Europe, du Royaume Uni et des États-Unis, ce qui accroissait ma prévention.

Néanmoins, après mes recherches, et malgré les pressions de toutes parts — en particulier celles du gouvernement américain —, je suis arrivée à la conclusion que ces allégations étaient pour certaines infondées, pour d’autres le fruit d’une distorsion évidente et dans la plupart des cas la répétition d’accusations en provenance des appareils de propagande du régime iranien. J’ai bien vite réalisé que le régime iranien menait une campagne de désinformation systématique à l’encontre de l’OMPI, et tout spécialement envers la femme qui la dirige, Madame Radjavi. De fait, durant ces dernières années, j’ai été approchée par un certain nombre de personnes, sous divers prétextes, missionnées pour me dissuader d’exprimer mon soutien à cette organisation.

Ce qui me préoccupe, et la raison de ma lettre, est que sur une enquête d’une telle importance, — puisqu’elle est liée à notre capacité en tant qu’occidentaux à faire face à un narratif qui justifie, sous couvert de religiosité, la dictature, la misogynie, et le terrorisme—, d’autres voix ne soient pas entendues en dehors de celles des détracteurs de l’OMPI. Les membres de l’OMPI ont certes été contactés, en dernière minute, mais uniquement pour répondre à un questionnaire fermé.

On peut être en désaccord avec l’OMPI ou avec le CNRI, mais il est utile de souligner que l’OMPI a été retirée des listes terroristes européennes, britanniques et nord-américaines, à la suite d’actions en justice ayant montré le caractère infondé de ces allégations.

J’étais à Villepinte en juin 2018, lorsqu’un diplomate iranien et ses acolytes ont entrepris un attentat à la bombe lors d’un meeting de soutien aux femmes iraniennes. Des milliers de personnes auraient été assassinées. Grâce à l’intervention des forces de sécurité françaises, belges et allemandes, l’attentat à été déjoué et les coupables arrêtés puis condamnés.

Le régime Iranien emprisonne des ressortissants européens et américains innocents pour les utiliser comme monnaie d’échange contre les criminels qui le servent à l’étranger. Aujourd’hui, il y a plus d’une dizaine d’otages européens dans les geôles du régime, ce qui a permis à l’Iran d’obtenir le rapatriement des terroristes de Villepinte contre la libération de l’un de nos ressortissants. Par ailleurs, l’ONU et les organisations les plus emblématiques dans la défense du DIH ont condamné l’extermination de milliers de militants de l’OMPI dans les prisons Iraniennes dans les années 80 par Khomeini et ensuite par ses successeurs. Il est utile de noter enfin, que c’est bien l’OMPI qui alerté de la reprise du programme nucléaire iranien.

Le régime iranien est un régime dangereux, qui s’impose à travers le chantage, le terrorisme et la désinformation.

Un article du Monde ciblant la seule opposition qui ait survécu, la seule à faire face sur le terrain à la dictature, sera porteur d’un message politique de désaveu pour ses militants qui bravent dans les rues de l’Iran au jour le jour la police des mœurs et les gardes révolutionnaires.

Je me permets donc de vous inviter à prendre le temps nécessaire pour aller au fond de cette enquête, quitte à parler avec plus de témoins, car les questions soulevées par l’enquête, telles que j’en aie eu connaissance, me semblent exprimer un point de vue qui gagnerait à être contrasté.  Je me tiens évidemment à votre disposition, si vous le jugez nécessaire.  Avec l’expression de mes meilleurs sentiments,

 Source : CNRI/ Ingrid Betancourt

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