Le quotidien Sharq a publié le 16 novembre une interview avec un sociologue iranien, le Dr Asef Bayat, intitulée « La protestation d’une génération inconnue », expliquant en quoi le soulèvement de novembre 2019 différait des précédentes manifestations en Iran. Un incident qui est en effet devenu un tournant dans le conflit social entre les Iraniens et le régime des mollahs.
« Les manifestations de novembre 2019 ont éclaté avec l’augmentation soudaine des prix du carburant et se sont rapidement propagées à travers le pays », lit-on au début de l’article. « Les indicateurs économiques avaient tiré la sonnette d’alarme depuis des mois, mais l’ampleur de ces manifestations était sans précédent depuis la révolution [de 1979].
« Selon Asef Bayat, la classe moyenne appauvrit et la classe des pauvres ont convergé. [La classe moyenne-pauvre] est une classe sociale différente que nous ne connaissons pas bien. Il se compose de personnes instruites mais pauvres, conscientes de leur pauvreté », a écrit Sharq.
Selon Asef Bayat, « les manifestations de novembre 2019 ont commencé en raison de l’augmentation des prix du carburant, mais en fait, elles ont résulté d’une série de différents mécontentements économiques, sociaux et politiques dans le pays qui se sont manifestés de cette manière ».
Il a ensuite comparé le soulèvement de novembre 2019 aux manifestations de 2019 au Liban qui ont commencé lorsque le gouvernement libanais a imposé des taxes sur WhatsApp, mais ces manifestations sont rapidement devenues politiques.
« Il semble que lors des manifestations de novembre 2019, les facteurs économiques aient joué un rôle important, mais la justification politique était plus critique », a éstimé Asef Bayat.
Pour Sharq, le système au pouvoir ne peut pas « répondre aux besoins de la société ». « Les gens ont le sentiment que leur volonté ne se reflète pas dans la gestion du pays et que le gouvernement est en train de concrétiser ses propres idées, ce qui a peu à voir avec les demandes et les attentes des citoyens. Ces griefs incluent la politique intérieure ainsi que la politique étrangère et les relations internationales, en particulier dans la région. »
La population a montré son opposition aux objectifs néfastes du régime, tels que l’aventurisme régional, en scandant des slogans comme « laissez la Syrie, pensez à nous » et « Ni Gaza ni le Liban, ma vie uniquement pour l’Iran ».
Le quotidien Sharq a également cité Asef Bayat, comparant les principales manifestations iraniennes de 2019 avec le printemps arabe : « Ces manifestations sont les actions collectives de divers groupes sociaux qui exigent de profonds changements économiques et sociaux. Désormais, de nouveaux moyens de communication comme Internet, Twitter, Telegram, etc., ont rendu la mobilisation plus facile et plus rapide.
Il y a une grande insatisfaction dans la société. Il existe de grands groupes d’activistes, la demande sociale de changement est claire et le gouvernement n’est pas responsable dans la pratique. Dans ces circonstances, ces outils et méthodes transforment les manifestations séparées de différents groupes tels que les femmes, les travailleurs, les villageois, les chômeurs ou les jeunes en un sursaut national. »
Pour Bayat le soulèvement de novembre 2019 était différent de tout autre mouvement social en Iran au cours des 40 dernières années. Les manifestations de 2018 étaient le fait de divers secteurs de la société qui se sont réunis et ont formé un soulèvement national qui a duré dix jours.
« Chaque secteur social a également revendiqué ses propres griefs. Les agriculteurs ont protesté contre les pénuries d’eau, les travailleurs ont exigé leurs salaires différés, les créanciers fraudés ont demandé leurs économies, les pauvres ont exigé un emploi décent et certains ont exigé la sécurité. Il y avait des slogans politiques mais pas beaucoup », a souligné Bayat.
« À mon avis, ce tournant était si important parce que la responsabilité du gouvernement dans la création des échecs et des crises actuels est devenue le discours commun des manifestants d’origines sociales différentes. »
« J’avais dit que les pauvres de la classe moyenne avaient joué un rôle majeur lors des manifestations de 2018 et 2019. En novembre 2019, les protestations des citadins pauvres et des pauvres de la classe moyenne ont convergé. Les membres de la classe moyenne pauvre sont instruits, titulaires de diplômes universitaires.
Ils savent ce qui se passe dans le monde. Ils connaissent parfaitement la technologie des médias sociaux et la façon de les utiliser. Ils ont les aspirations de la classe moyenne, mais ils ont rejoint la classe des pauvres », a déclaré Bayat, décrivant une nouvelle classe sociale et une nouvelle génération composée de jeunes. «Beaucoup de ces personnes sont au chômage ou ont des emplois à faible revenu et instables. Leurs occupations ne sont pas liées à leur domaine d’expertise ou d’éducation. Beaucoup de ces personnes sont contraintes de vivre dans des quartiers pauvres ou des bidonvilles. »
Selon les médias officiels iraniens, la population iranienne pauvre a triplé ces dernières années en Iran, tandis que le taux de chômage, l’inflation et les prix montent en flèche quotidiennement. Ainsi, de plus en plus de personnes tombent dans l’indigence.
Bayat a ensuite averti les responsables du régime que « les manifestations de novembre 2019 auraient pu être un avertissement aux hauts responsables pour ajuster le système de gouvernance et les politiques socio-économiques et trouver une solution à ces problèmes économiques et sociaux ».
Mais le régime a accru ses mesures de répression. « Au lieu de cela, il semble que les autorités traitent ce phénomène social dans une perspective politico-sécuritaire. Il semble que la priorité pour eux soit de savoir comment traiter les manifestants et vouloir les neutraliser. Nous avons vu comment le gouvernement a résolu ce problème », ajoute Bayat, faisant référence à la répression sanglante des manifestations de novembre.
« La vérité est que tant que ces problèmes socio-économiques, ces lacunes et ce mécontentement du public ne sont pas résolus, un soulèvement de masse comme celui de novembre [2019] est très susceptible de se reproduire », a Bayat. « Ce qui ne peut pas être prédit, c’est quand il aura lieu et qu’est-ce qui le déclenchera. »
Près de la moitié de la population iranienne est constituée de jeunes de moins de 30 ans. Cette génération n’a subi que des pressions sociales et économiques sous le régime des mollahs. Cette génération s’est avérée être une menace pour l’existence du régime en formant la majorité des manifestants iraniens lors du soulèvement de masse en 2018 et 2019.
La jeunesse iranienne rejoint de plus en plus les rangs des « unités de résistance », un réseau de l’opposition iranienne des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI), menant chaque jour des dizaines d’activités contre le régime.
En juin 2021, l’agence de presse (SSN), géré par l’État, écrivait : « Cet ennemi opportuniste recrute des jeunes à grande échelle. Si l’État avait prêté attention à ces jeunes et qu’ils n’étaient pas frustrés, si le cycle économique était basé sur les capacités nationales, nous n’aurions pas été témoins de groupes de deux à trois personnes de jeunes opérant sous le commandement de l’OMPI. Les efforts des agences de sécurité 24 heures sur 24 et même le grand nombre d’arrestations n’ont pas pu arrêter la propagation des activités de l’OMPI. C’est un problème des plus dangereux. »
Ainsi, la peur du régime de la société agitée de l’Iran et de la jeunesse rebelle n’est pas infondée et continue normalement de croître.
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