Malgré les raids des forces de sécurité sur leur sit-in et l’incendie de leurs tentes la nuit dernière, les agriculteurs d’Ispahan ont commencé à manifester vendredi. Ils avaient convoqué leurs concitoyens pour un grand rassemblement dans la zone de Pol-e Khaju tôt le matin. Mais la police anti-émeute et les forces de la milice Basij les ont attaqués avec des gaz lacrymogènes et des matraques.
Pourtant, les agriculteurs ont tenu bon et ont résisté aux forces de sécurité. Même si les forces anti-émeutes du régime avaient incendié les tentes des agriculteurs et les avaient forcés à se disperser jeudi matin, les médias d’État ont tenté de blâmer les agriculteurs et les « opportunistes ».
Les manifestants à Ispahan scandent des slogans anti-régime
Le quotidien d’État Mostaghel a averti le 24 novembre que les manifestations à Ispahan, «qui ont commencé en raison d’une pénurie d’eau, représentaient de nombreux griefs de la population qui n’ont pu être exprimés pendant des années en raison de problèmes économiques et sociaux, ainsi que de la gravité de la situation à cause des actions du gouvernement. En conséquence, après avoir brisé ce tabou, nous verrons plus de gens oser crier leurs revendications. »
Le 9 novembre, les agriculteurs protestataires se sont installés dans le bassin asséché de la rivière Zayandeh Roud. Les manifestations ont continué à devenir plus intenses et plus nombreuses. Le 19 novembre, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dans le lit asséché de la rivière Zayandeh Roud pour appuyer les revendications des agriculteurs.
Lors des manifestations du 19 novembre, la population a scandé : « Le peuple d’Ispahan mourra plutôt que de céder à la disgrâce », « Où est notre Zayandeh Roud », « Zayandeh Roud est notre droit indéniable » et « Nous ne rentrerons pas chez nous tant que nous n’aurons pas récupérer notre eau ».
Il y a eu des spéculations sur la véritable source de la crise de l’eau à Ispahan et dans d’autres provinces iraniennes. « La mafia de l’eau et ses tunnels aspirent les eaux souterraines. Ils en profitent tandis que les gens vivent dans la pauvreté », a écrit le quotidien d’État Mostaghel le 21 novembre.
Qu’est-ce que cette « mafia de l’eau » et qu’a-t-elle fait ces dernières années ? « Sur les 85 millions d’habitants de l’Iran, environ 28 millions vivent dans des zones souffrant de pénuries d’eau, principalement dans les régions du centre et du sud du pays », a reconnu Aftab News le 14 juillet 2021.
En juillet, les habitants de la province riche en eau du Khouzistan ont manifesté pendant plusieurs semaines, réclamant leur droit à l’eau. La crise de l’eau en Iran est due aux politiques destructrices du régime, telles que la construction non règlementaire de plusieurs barrages, la gestion de grands projets industriels dans des régions pauvres en eau ou le transfert d’eau vers d’autres parties de l’Iran pour poursuivre des projets militaires.
Avant la révolution de 1979, il n’y avait que 30 barrages en Iran. Mais aujourd’hui, selon les statistiques officielles, 1330 barrages sont à divers stades d’exploitation, de réalisation ou d’étude.
Sur la base des ordonnances du Conseil suprême de l’eau et du Conseil de coordination de Zayandeh Roud, 74,3 % de l’eau du fleuve était censée être affectée à l’agriculture, et environ 25,7 % étaient consacrées au ministère de l’Énergie. Néanmoins, aucun de ces projets n’a porté ses fruits et les agriculteurs n’ont désormais aucun moyen d’irriguer leurs terres. Au lieu de cela, les installations gérées par l’État utilisent la pleine capacité de l’eau qui coulait autrefois dans la rivière Zayandeh Roud.
« Dans la province d’Ispahan, environ 300 millions de mètres cubes d’eau sont utilisés à des fins industrielles. Selon les plans de développement, il est prévu que ce chiffre atteindra 500 millions de mètres cubes par an au cours des dix prochaines années », a écrit le journal public Hamdeli le 22 novembre.
Parmi eux se trouve Foolad Mobarakeh Steel Industry Group. Cet immense conglomérat sidérurgique appartient aux Gardiens de la Révolution (CGRI). Le CGRI a dominé l’économie iranienne au cours des deux dernières décennies.
« Le Basij et le CGRI soutiendront le groupe sidérurgique Mobarakeh et d’autres industries du pays de toutes leurs forces », a déclaré Ali Hossein Raiatifard, chef de la branche des travailleurs et des usines de l’Organisation Basij, selon le journal Jahan- e Sanat.
« Comme mentionné, il est très important que l’entreprise continue à produire avec toute sa capacité et plus fort qu’auparavant, car tout arrêt des lignes de production de cette usine entraînera des problèmes à de nombreuses industries », a-t-il déclaré à Jahan-e Sanat le 19 octobre. Le CGRI contrôle également Isfahan Steel Company, un autre conglomérat avec des centaines d’employés.
« Le développement dans la province d’Ispahan, comme dans de nombreuses autres régions du pays, n’a pas été réalisé sur la base d’un plan de gestion des terres approuvé. Bien qu’Ispahan se trouve dans une région aride et semi-aride, le type d’industrie implantée dans la province nécessite de l’eau. Ces industries comprennent entre autres l’acier et la pétrochimie », a écrit un écologiste iranien.
« Les experts pensent que l’une des principales raisons de l’assèchement de la rivière Zayandeh Roud est la surexploitation de cette rivière ainsi que la conduite de projets de transfert d’eau vers Yazd, Kashan, a écrit le quotidien Jahan-e Sanat le 20 novembre. Le captage d’eau en amont de la rivière du barrage au pont de Koleh par pompage, l’implantation de grandes industries, raffineries, centrales électriques le long de la rivière sont d’autres facteurs qui ont contribué aux conditions critiques de Zayandeh Roud. »
« Le plan Ben-Brojen, qui comprenait la fourniture d’un énorme approvisionnement en eau aux grandes usines industrielles et l’utilisation de l’eau pour d’autres zones et de nombreuses décisions résultant d’une mauvaise gestion, a provoqué la colère de la population », a déclaré Hesam Nazari, avait déclaré un responsable à l’agence de presse ILNA le 28 janvier 2019.
Le régime avait promis de transférer de l’eau d’autres régions du pays à Ispahan, une solution peu pratique qui n’a pas abouti. « Les agriculteurs n’ont pas besoin de l’eau du tunnel de Beheshtabad ou de l’eau du golfe Persique. Si le pompage illégal effectué pour développer les jardins et les villas de certains membres des familles des responsables (au pouvoir) s’arrêtait, nous pourrions récupérer notre eau », a déclaré un agriculteur à l’agence de presse Mehr en octobre lors d’une manifestation d’agriculteurs.
« Les moyens de subsistance d’environ 300 000 agriculteurs d’Ispahan sont liés au Zayandeh Roud. Sa sécheresse a créé des problèmes tels que l’affaissement des terres ainsi que des défis environnementaux pour la population d’Ispahan », a écrit le quotidien Jahan-e Sanat le 20 novembre.
« L’affaissement des terres à Ispahan est si grave que certains experts pensent que si aucune solution immédiate et efficace n’est trouvée, la ville ne sera pas habitable dans les dix prochaines années. »
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