jeudi 5 septembre 2024

Gilles Paruelle appelle à la justice pour les victimes du régime iranien

 Lors de la récente conférence sur la Résistance iranienne à Auvers sur Oise, Gilles Paruelle, avocat au Tribunal pénal international pour le Rwanda et ancien bâtonnier du Barreau du Val d’Oise, a souligné l’urgence de demander des comptes pour les crimes commis par le régime iranien.

Revenant sur son travail au Rwanda après le génocide de 1994, Paruelle a souligné
l’importance de la justice internationale pour demander des comptes aux auteurs des
atrocités. Il a noté que si le Tribunal pénal international pour le Rwanda a joué un rôle
clé dans la poursuite des responsables du génocide, des obstacles politiques et
juridiques ont souvent entravé la justice. Il a établi des parallèles entre l’expérience
rwandaise et la situation en Iran, soulignant l’importance de la compétence universelle
comme moyen de poursuivre ceux qui commettent des crimes contre l’humanité, quel
que soit l’endroit où ils se trouvent.

En ce qui concerne l’Iran, Gilles Paruelle a exprimé son soutien à l’opposition iranienne
et à sa lutte contre l’impunité. Il a plaidé pour la création d’un tribunal international
chargé de juger les crimes commis par le régime iranien, reconnaissant les défis liés à
la dynamique géopolitique et au droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU.

Gilles Paruelle a conclu en soulignant la nécessité d’un changement politique pour
permettre la poursuite des responsables des violations des droits de l’homme, appelant
à mettre fin à la culture de l’impunité qui perdure depuis trop longtemps.

Dans son intervention, maître Gilles Paruelle a déclaré :
(…) Alors, je me suis demandé ce que je pouvais dire, et c’est peut-être mon humble
expérience de praticien, d’avocat depuis trente ans, qui a travaillé avec le peuple
rwandais au lendemain du génocide des Tutsis.

Le génocide des Tutsis est quelque chose qui a laissé des traces profondes. Quand on
parle de justice internationale, de compétence universelle, on ne peut pas passer sous

silence le génocide des Tutsi au Rwanda qui, il faut le rappeler, a fait un million de
morts en cent jours, du 6 avril 1994 au 4 juillet 1994, à raison d’environ dix mille morts
par jour par armes traditionnelles.

Cela dit, je ne vais pas revenir sur les raisons pour lesquelles je me suis retrouvé au
Rwanda à la fin de l’année 1994. Pourtant, j’étais là et j’ai vu les ravages de ce qui était
un génocide. J’ai entendu les témoignages des quelques survivants et je me suis
demandé ce que je pouvais faire, moi, simple bâtonnier de province en France.

Je pensais que la première chose à faire était de reconstruire la justice qui avait été
complètement détruite. Il n’y avait plus de magistrats parce qu’ils avaient été tués, plus
de tribunaux parce qu’ils avaient été démolis, plus d’avocats parce qu’il n’y en avait tout
simplement pas jusque-là, seulement des représentants judiciaires.

Ce que je pouvais faire, c’était quelque chose au niveau de la justice. J’ai créé un
barreau parce que je pensais que c’était important. La défense était importante, et les
droits des victimes étaient importants.

J’ai écouté avec plaisir plusieurs intervenants parler des droits des victimes, et j’en
parlerai plus tard dans le cadre de la compétence universelle telle qu’elle est appliquée
en France, qui me semble vraiment essentielle.

Bien sûr, il y a eu le Tribunal pénal international, et je pensais que l’intervenant
précédent en parlerait. Je me suis donc demandé de quoi j’allais parler. Le Tribunal
pénal international, qui a duré vingt ans, a poursuivi quatre-vingt-douze personnes si
ma mémoire est bonne, les plus responsables, mais pas toutes. Soixante-deux ou
soixante-quatre personnes ont été condamnées, et le Tribunal a dépensé deux milliards
de dollars.

Au Rwanda, en même temps, les tribunaux gacaca ont été créés. Ce sont des tribunaux
populaires, villageois, qui ne répondent clairement pas aux normes de justice
internationale. Mais en tout état de cause, un million de personnes ont été jugées.

Il fallait mettre un terme à la culture de l’impunité. Il était impératif que la plupart des
Rwandais qui avaient participé au génocide des Tutsis soient traduits devant les
tribunaux.

J’ai fait partie des commissions de réforme législative. En tant qu’avocat, je me suis
opposé à la création de tribunaux gacaca, car ils n’avaient pas d’avocats, pas de
procureurs non plus – et je ne pouvais pas cautionner une juridiction où la défense
n’était pas représentée.

Il faut cependant reconnaître que le résultat des tribunaux gacaca a été relativement
positif. En tout état de cause, il n’y a pas eu d’amnistie, contrairement aux massacres
précédents de 1959, 1963, 1973 et 1992, même avant le génocide de 1994.

Mais mon problème, mon inquiétude, c’était ceux qui ne comparaissaient pas devant le
Tribunal pénal international ou les tribunaux gacaca – ceux qui avaient assez d’argent
pour fuir, en s’échappant vers des pays comme la France, où beaucoup étaient
hébergés. Cette situation était particulièrement préoccupante pour la France, compte
tenu de ses liens politiques avec le Rwanda.

Le gouvernement rwandais m’a chargé de représenter les procédures d’extradition. Des
plaintes ont été déposées par des victimes contre des génocidaires présumés qui
s’étaient réfugiés en France. J’ai cherché à extrader les personnes responsables,
notamment des ministres et des maires, qui avaient réussi à rejoindre la France.

Mais j’ai essuyé des refus catégoriques de la plus haute juridiction française, la Cour de
cassation. J’ai obtenu des décisions favorables des cours d’appel provinciales pour
l’extradition des personnes impliquées dans le génocide de 1994, mais la Cour de
cassation les a annulées en invoquant le principe de légalité des crimes et des peines
et de non-rétroactivité des lois. Malheureusement, le code pénal rwandais ne définissait
pas à l’époque le crime de génocide, même s’il existait. En conséquence, la Cour de
cassation a systématiquement refusé l’extradition sur la base de ce principe.

La seule option qui restait était la compétence universelle. Depuis lors, nous
poursuivons les suspects dans ce cadre. Nous n’avons pas atteint le niveau de la

Belgique, mais nous avons fait mieux que l’Allemagne ou l’Angleterre, avec sept procès
à ce jour. Lorsque les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda se sont
améliorées sous les présidents Sarkozy et Macron, nous avons enfin vu des affaires
portées devant les cours d’assises.

Les premiers procès ont coïncidé avec le 20e anniversaire du génocide des Tutsis au
Rwanda, ce qui a plu à Kigali et amélioré les relations diplomatiques. Depuis, plusieurs
procès ont eu lieu.

Mais comme vous l’avez entendu d’autres intervenants, la compétence universelle n’est
pas la même dans tous les pays. Certains ont une compétence universelle absolue,
mais la nôtre en France est relativement limitée. Il y a quatre obstacles à la compétence
universelle en France. L’accusé doit résider habituellement en France, la Cour pénale
internationale ne doit pas s’être saisie de l’affaire, le procureur de la République a le
monopole de l’ouverture des poursuites (ce qui signifie que les victimes ne peuvent pas
directement engager de poursuites devant les cours d’assises en vertu de la
compétence universelle), et la législation doit être cohérente entre notre pays et le
Rwanda.

Ces contraintes expliquent pourquoi il y a si peu de procès, et je crois qu’il y a un autre
obstacle qui mérite d’être mentionné. En France, la diplomatie est très valorisée et
souvent considérée comme primordiale. Beaucoup de gens au pouvoir considèrent la
compétence universelle comme un obstacle à la diplomatie, qui est une affaire de
compromis, parfois même de complaisance – un mot que vous connaissez bien,
Madame la Présidente, et qui est malheureusement trop vrai.

La diplomatie et la compétence universelle sont donc souvent en conflit, et le pouvoir
exécutif fait parfois en sorte que certaines affaires soient bloquées. Nous avons deux
affaires de ce type concernant le Rwanda qui sont en attente depuis 2017, comme celle
d’Agathe Kansiga, la veuve du président Habyarimana, et de Serubuga, un ancien
officier de haut rang de l’armée. Ces affaires restent non résolues, probablement pour
des raisons politiques.

C’est mon expérience de la compétence universelle et de la justice internationale pour
le Rwanda.

En ce qui concerne l’Iran, je suis aux côtés de l’opposition iranienne et de votre
mouvement, Madame la Présidente, depuis quarante ans. Vous êtes proche de mon
cœur et j’aimerais pouvoir faire pour vous ce que j’ai fait pour le Rwanda.

C’est malheureusement difficile. La compétence universelle, telle que définie dans notre
cadre juridique en France, semble difficile à appliquer.

J’avais peut-être pensé à proposer un tribunal ad hoc. Mais la création d’un tel tribunal
nécessite une volonté politique, et cela implique le Conseil de sécurité de l’ONU, où des
puissances disposant d’un droit de veto comme la Russie bloqueraient probablement
toute tentative en raison de leurs liens avec l’Iran. Il faut être réaliste.

Lorsque j’ai relu mes notes de la réunion de l’année dernière, j’ai réalisé qu’elles étaient
toujours d’actualité.

Au fond, je crois que la solution est simple. Elle réside dans ce que nous espérons tous
: que vous, Madame la Présidente, preniez le pouvoir le plus rapidement possible.

Car une fois au pouvoir, vous pourriez vous affranchir de la justice internationale et de
la juridiction universelle, et traduire en justice dans vos propres tribunaux ceux qui ont
dévasté la justice en Iran.

Merci.

Source: NCRI 

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