mardi 2 décembre 2025

Sécheresse, air vicié et monnaie en chute libre : l’hiver commence sous tension en Iran

 L’Iran a entamé le mois de décembre avec une série de perturbations inhabituellement simultanées : fermeture des écoles dans plus d’une douzaine de provinces, mise à l’arrêt d’une importante centrale hydroélectrique, dépréciation du toman au-delà de 116 000 pour un dollar et démission d’un haut responsable de la santé suite à des allégations de corruption. Aucun de ces chocs n’est inédit en soi ; ce qui frappe, c’est leur nombre et la fréquence à laquelle les avertissements émanent désormais des institutions mêmes du régime.

Un des automnes les plus secs de ces 50 dernières années

Lundi 1er décembre, Ahad Vazifeh, directeur du Centre national de gestion du climat et des crises, a déclaré aux médias d’État que l’Iran connaissait « l’un des automnes les plus secs de ces 50 dernières années ».

Son discours laissait entendre un phénomène naturel, mais les détails qu’il a fournis révélaient une autre réalité : près de 70 jours après le début de la saison, de vastes régions « n’ont reçu aucune pluie » – une situation que les experts attribuent à des décennies de mauvaise gestion de l’eau, d’épuisement des nappes phréatiques et de construction de barrages motivée par des considérations politiques.

L’agence IRNA a confirmé ces conséquences lundi en annonçant que la centrale hydroélectrique du barrage de Karkheh – longtemps présentée comme un chef-d’œuvre du génie civil iranien – avait dû être mise hors service, le niveau du réservoir étant désormais inférieur d’environ 40 mètres à son niveau de fonctionnement. Il ne reste qu’environ un milliard de mètres cubes d’eau, une pénurie due non seulement à la faiblesse des précipitations, mais aussi à une surexploitation chronique en amont, à une demande agricole non réglementée et aux pressions politiques passées visant à tenir des promesses d’irrigation que le fleuve ne pouvait plus assurer.

Smog, grippe et un pays à l’arrêt

Parallèlement, la pollution atmosphérique et une vague de grippe qui se propage ont contraint les écoles et les universités à fermer leurs portes ou à assurer un enseignement à distance pour le neuvième jour consécutif. Le dimanche 30 novembre, les salles de classe étaient fermées ou l’enseignement se faisait en ligne à Téhéran, en Azerbaïdjan oriental et occidental, au Khuzestan, à Alborz, au Kurdistan, à Markazi, à Gilan, à Ispahan, à Kermanshah, à Hamedan, à Bushehr et à Hormozgan. Les cinémas, galeries et musées de Téhéran ont reçu l’ordre de fermer leurs portes les 30 novembre et 1er décembre.

Lundi, les autorités ont déclaré que la qualité de l’air dans la capitale avait atteint un niveau « extrêmement critique ». Les provinces de Téhéran, Hamedan, Semnan, Gilan, Alborz et Qom ont prolongé les mesures de confinement jusqu’en décembre. Dans l’Alborz, les administrations ont reçu l’ordre de fonctionner avec seulement un quart de leurs effectifs.

Un nouveau rapport de l’Organisation pour l’environnement du régime pointe du doigt la composition du carburant utilisé dans les centrales électriques voisines. Selon l’agence, les niveaux de soufre dans le diesel des centrales de Rey, Parand et Montazeri-qaem étaient 120 à 135 fois supérieurs à la limite légale, tandis que les émissions de mazout de la centrale de Rajai étaient 592 fois supérieures à la norme. L’écologiste Hossein Akhani, proche du pouvoir, a déclaré que l’« inaction » des autorités avait transformé la pollution atmosphérique en « catastrophe meurtrière ».

Les autorités sanitaires ont averti que l’épidémie de grippe n’avait pas encore atteint son pic. Le vice-ministre Raisi a indiqué que les infections « continuent d’augmenter » et pourraient persister jusqu’à fin février ou mars. Les médias locaux de Qom ont rapporté que 30 à 40 % des consultations médicales sont désormais liées à des symptômes respiratoires.

La crise a débordé jusqu’au Parlement. Le député Alireza Salimi a déclaré que « le souffle de Téhéran et de nombreuses grandes villes est compté », citant des estimations officielles faisant état de 58 000 décès liés à la pollution et de 18 milliards de dollars de pertes annuelles. Un autre député, Fatemeh Mohammad Beigi, a affirmé que 37 % des 35 millions de véhicules iraniens sont obsolètes et polluants, accusant le gouvernement d’avoir abandonné un programme de prime à la casse malgré les économies de carburant constatées. « La population suffoque sous le poids de la pollution », a-t-il déclaré.

Chute du rial et plan carburant du régime

Les pressions économiques s’ajoutent aux pressions environnementales. Dimanche, selon des analystes de marché informels, le dollar s’échangeait à 116 800 tomans et l’euro à 135 450 tomans. L’agence IRNA a rapporté que le marché de l’or à Téhéran a connu une « journée de forte volatilité », une pièce d’or se vendant à près de 123 millions de tomans après une hausse de 2 millions de tomans.

La politique des carburants a ajouté une nouvelle dose d’incertitude. Ghodrati, porte-parole de la commission du budget et de la planification du Parlement, a affirmé que le nouveau plan de tarification de l’essence du gouvernement – prévoyant un troisième palier, plus cher, pour une consommation supérieure à 160 litres par mois – avait été adopté « sans en informer ni se concerter avec le Majlis ».

Même les médias occidentaux ont souligné que ce changement « risque d’entraîner de nouvelles manifestations », faisant écho aux précédentes protestations contre la hausse des prix du carburant. En Iran, les critiques portent moins sur le manque de transparence que sur la confusion générale ; des responsables du ministère du Pétrole ont publié des déclarations contradictoires concernant l’attribution des quotas, notamment pour les véhicules neufs et les voitures bicarburant.

Parallèlement, la politique salariale pèse sur le budget des ménages. Le quotidien Ebtekar a rapporté que le projet de budget pour le Nouvel An iranien ne prévoit qu’une augmentation de 20 % des salaires et des pensions, bien en deçà de l’inflation des biens de première nécessité. Les travailleurs et les retraités, déjà fragilisés par les coûts des soins médicaux et des transports, y voient une nouvelle année d’érosion de leur pouvoir d’achat.

Un État qui gère par l’interruption

Ciel sec, air pollué, monnaie en dépréciation, politique énergétique improvisée, barrage à l’arrêt et confluence de crises socio-économiques imbriquées : cette convergence a engendré un début d’hiver où l’Iran semble gouverner principalement par l’interruption : fermeture des écoles, coupures d’électricité, distribution d’eau tournante, directives de dernière minute et remplacement des responsables en cas de crise.

Même dans les rapports officiels – et même dans les analyses proches du régime – l’ampleur des problèmes apparaît de plus en plus clairement. L’incertitude demeure : l’État parviendra-t-il à passer des fermetures d’urgence à des solutions structurelles, ou ce schéma observé en début d’hiver deviendra-t-il la norme pour les mois à venir ?

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