Il ne s’agit pas seulement d’un régime qui censure l’opposition. C’est un régime qui fabrique l’opposition, en produisant une dissidence soigneusement gérée et des slogans orchestrés pour tromper le public et le monde.
Parmi ces outils, l’utilisation périodique du slogan « Reza Shah, repose en paix » se distingue, non pas par sa popularité, mais par son objectif.
Reza Shah Pahlavi, également appelé Reza Khan ou plus communément Reza le Brute, était le fondateur de la dynastie Pahlavi et a dirigé l’Iran d’une main de fer jusqu’à son abdication forcée par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale.
En coulisses : la véritable bataille est terminée. Les alternatives
Ce que craignent le plus les dirigeants iraniens, ce n’est pas la colère, mais l’orientation. Le mécontentement peut être maîtrisé. Mais une opposition organisée, motivée par des objectifs précis et ancrée dans une alternative politique claire, constitue une menace d’un autre ordre.
Pour la prévenir, le régime investit massivement dans la guerre de l’information et la gestion de la perception. Par le biais de médias étroitement contrôlés, de religieux loyalistes et d’agents infiltrés dans les espaces politiques et culturels, il s’efforce de convaincre les citoyens – et les observateurs internationaux – qu’il n’existe aucune voie d’avenir au-delà du système actuel. Si le changement doit advenir, suggèrent-ils, il doit venir de l’intérieur : par l’intermédiaire de soi-disant réformistes, de la nostalgie royaliste ou d’autres acteurs délibérément affaiblis.
Cette démarche n’est pas nouvelle. Mais sa sophistication s’est accrue, notamment à l’heure où les troubles sociaux commencent à se cristalliser autour d’exigences de véritable changement de régime.
Un slogan sans passé et à vocation politique
L’un des éléments les plus révélateurs de cette stratégie est l’apparition orchestrée de slogans au service du discours du régime. Le slogan « Reza Shah, repose en paix » en est un parfait exemple. Avant la fin des années 2010, cette expression était quasiment inexistante dans le vocabulaire contestataire iranien. Elle a fait surface lors des manifestations de 2017, initialement motivées par des revendications économiques, mais qui ont rapidement évolué vers des expressions plus larges de dissidence.
Ce qui rendait ce slogan remarquable n’était pas son message, mais son timing et sa chorégraphie. En juillet 2018, le journal d’État Jomhouri-e-Islami publiait un article critiquant les manifestants devant le Parlement qui avaient utilisé ce slogan. L’article laissait toutefois entendre que les manifestants étaient escortés par la police et qu’il s’agissait des mêmes individus que l’on croisait souvent lors des prières du vendredi et des rassemblements publics soutenus par le régime. La page fut rapidement supprimée, mais l’aveu avait déjà été repris par d’autres médias, confirmant ce que beaucoup soupçonnaient : il ne s’agissait pas d’un slogan populaire, mais d’un slogan installé.
« Ce groupe est devenu si effronté qu’il a envoyé des gens au Parlement scander des slogans inédits comme “Reza Shah, repose en paix” et “Mort aux pique-assiettes”. Ces mêmes individus assistent régulièrement aux prières du vendredi à Téhéran et aux rassemblements organisés par le régime. Ils étaient même accompagnés de la police, défilant librement », écrivait Jomhouri-e-Islami le 5 juillet 2018.
Nostalgie instrumentalisée comme fumisterie politique
L’objectif de ces slogans n’est pas d’appeler à la monarchie, mais de perturber la dynamique de la véritable opposition. Lorsque les manifestations prennent de l’ampleur, notamment lorsqu’elles risquent de se transformer en mouvements anti-régime, le régime ressuscite des symboles soigneusement choisis d’une époque révolue. Ces symboles, dénués de tout contexte politique et présentés comme une nostalgie apolitique, offrent une soupape de sécurité : ils absorbent la colère tout en la dirigeant vers une direction dont le visage, Reza Pahlavi, a mené une vie fastueuse pendant près d’un demi-siècle et appelle ouvertement à la coopération avec les forces de sécurité actuelles pour « une transition pacifique du pouvoir ».
Mais le système sait quand la ruse échoue. Lors du soulèvement de novembre 2019, puis lors des manifestations de Mahsa Amini en 2022, le slogan a complètement disparu. À ces moments-là, les rues résonnaient de slogans visant directement le Guide suprême. Le régime a réagi par ce qu’il maîtrise le mieux : arrestations massives, coupures d’internet et tirs à balles réelles.
Chaque fois que les Iraniens se sont soulevés en masse pour exiger la chute de la dictature, l’establishment clérical a préféré le bain de sang à la négociation. Mais lorsqu’il craint qu’une répression ouverte n’enflamme davantage la société, il a recours à une panoplie de tromperies.
L’anatomie d’une opposition factice
Cela s’inscrit dans une stratégie plus large du régime : simuler le pluralisme, étouffer les alternatives.
Pendant des années, le système a présenté les réformistes comme son opposition loyale – inoffensifs au pouvoir, indispensables en temps de crise. Les monarchistes jouent le rôle de faire-valoir : nostalgiques, fragmentés et incapables d’organiser une résistance significative. Ensemble, ils créent l’illusion d’un espace politique contesté.
Des fuites internes et des commentaires du régime ont même décrit cette approche en termes stratégiques. Un média conservateur a qualifié cette tactique de « parasite » – un bruit parasite injecté dans le discours national pour brouiller les distinctions et obscurcir la perception du public. Les services de renseignement auraient donné pour instruction aux médias d’État de toujours mentionner les monarchistes lorsqu’ils évoquent la dissidence, garantissant ainsi qu’aucune alternative nationale organisée ne soit jamais au centre de l’attention.
Il en résulte une forme de manipulation politique : la dissidence est autorisée, tant qu’elle reste inefficace.
Révolution, pas transition
L’arme la plus dangereuse du régime clérical n’est ni ses prisons ni ses balles. C’est sa capacité à organiser le champ de bataille, à façonner non seulement les propos des gens, mais aussi leurs conceptions du possible.
Le slogan « Reza Shah, repose en paix » n’est pas un appel à la monarchie. C’est un miroir brandi par le régime pour détourner l’attention du présent. Ce n’est pas de la dissidence, c’est une diversion. Et lorsqu’il ne fonctionne plus, le masque tombe. Gaz lacrymogènes et balles prennent leur place.
Alors que la communauté internationale cherche à comprendre la trajectoire de l’Iran, elle doit résister à la mise en scène du régime. L’opposition fabriquée, les slogans simulés et les mouvements cooptés ne sont pas des signes de pluralisme ; ils montrent jusqu’où le régime est prêt à aller pour survivre. Le défi aujourd’hui n’est pas seulement de soutenir le droit du peuple iranien à manifester, mais de reconnaître la différence entre une véritable résistance et les imitations soigneusement préparées par le régime.
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