À partir du 16 septembre 2022, une nouvelle vague de démonstrations anti-régime éclatait en Iran. Le soulèvement a été signalé dans au moins 180 villes des 31 provinces du pays, et dans 16 universités. Au cours de cette période, on a relevé certains jours au moins trente lieux qui ont été traversés à Téhéran par un vent de révolte. Jusqu’à présent, plus de 400 manifestants ont été tués par les tirs des forces répressives du régime, des centaines ont été blessés, plus de 20.000 ont été arrêtés.
Alors que les protestations se poursuivaient face à la répression, les familles des détenus convergeaient vers la porte de la tristement célèbre prison d’Evin, pour exiger la libération de leurs proches. Dans des dizaines de cas, des personnes arrêtées par la police ou des groupes en civil (milices Bassij affiliées au corps des Gardiens de la révolution islamique ou au ministère du Renseignement) ont été libérées par des contre-attaques de jeunes Iraniens. Plusieurs membres du Bassij ont été tués lors des affrontements.
Alors que le meurtre de la jeune Mahsa Amini, mise en garde à vue par la soi-disant «police de la moralité », a été le déclencheur des manifestations, les revendications populaires sont allées dès le premier jour au-delà d’une protestation contre cette mort tragique. On a pu entendre les slogans suivants : « Mort au dictateur », « Mort à Khamenei », « Je tuerai celui qui a tué ma sœur », « Khamenei est un meurtrier, son règne est illégitime », « Mort au tyran, que ce soit le Shah ou le Guide Suprême », « Même si nous mourrons, nous reprendrons l’Iran »…
Des slogans unifiés : la détermination d’un peuple
Ce soulèvement a des traits spécifiques, qui le rendent différent des précédents : les manifestations se sont poursuivies malgré la répression brutale du régime et les arrestations généralisées ; les protestations sont à l’échelle nationale. Les villes et provinces, restées calmes lors des soulèvements de 2009 et 2019, se sont soulevées avec des slogans unifiés, exigeant la chute du régime dans son intégralité ; des manifestations simultanées dans les grandes villes et à Téhéran, avec parfois trente localités en mouvement, expriment des revendications similaires.
Le soulèvement est soutenu, au-delà de quelques secteurs sociaux, par l’ensemble de la société iranienne. Les classes défavorisées, autrefois considérées à tort comme la base sociale du régime, ainsi que la classe moyenne et les intellectuels, y sont largement présents. La totale détermination du peuple, en particulier celle de la jeunesse, contre la répression brutale du régime, a conduit à l’émergence d’un esprit combatif omniprésent et visible.
Les attitudes soumises, défaitistes et passives n’ont plus cours ; Des affiches, bannières ou statues du guide suprême Ali Khamenei, du commandant défunt de la force Qods de l’Armée des Pasdarans, Qassem Soleimani, et d’autres dirigeants, et tout ce qui porte la marque du régime, ont été incendiés par des jeunes dans la plupart des villes.
La stratégie des Unités de résistance
L’une des caractéristiques majeures de ces protestations est le rôle direct et indirect des Unités de résistance qui relèvent du CNRI (Conseil national de la résistance iranienne). À partir de 2014, le CNRI a mis en place ces Unités de résistance qui regroupent des citoyens ordinaires et développé une communication sur les lieux de travail, dans les bureaux, les hôpitaux et dans la société en général. Au cours des dernières années, des Unités de résistance se sont progressivement installées dans tout le pays et ont entamé leurs activités en écrivant des slogans, en distribuant des messages de la Résistance iranienne ou en installant des affiches dans des lieux publics.
Malgré la répression sévère et les arrestations généralisées, le régime n’a pas été en mesure de les anéantir. Au contraire, la formation des Unités de résistance s’est déployée dans tout le pays. En un an, malgré un système brutal de terreur, la résistance a connu une croissance de 500 % du nombre de ces Unités. Les Unités de résistance ont été activement présentes dans les manifestations et ont joué un rôle de premier plan dans de nombreux domaines.
Les slogans, remarquablement unifiés dans tout le pays, traduisent le caractère concerté du soulèvement. Un tel niveau d’organisation est redevable à ces Unités de résistance.
Le régime a envoyé des forces paramilitaires Basij pour infiltrer les manifestants, sorte de figurants mêlés à la foule ; il a proféré des slogans de diversion pour créer des divisions parmi les manifestants, tenté de focaliser les revendications sur des questions civiques… Les Unités de résistance ont pu neutraliser, identifier et expulser les agents du régime des rangs des manifestants.
Une autre fonction des Unités de résistance a été d’affronter les forces oppressives du régime, en particulier les agents « en civil » qui avaient joué un rôle crucial dans la répression des manifestations de 2019 et 2017. Leur rôle ne se limite pas aux protestations, au cours de l’année écoulée, elles ont joué un rôle notable dans la fissuration du mur de la répression dans tout l’Iran. On peut citer l’incendie de la statue de Qassem Soleimani (Général iranien, commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique, tué le 3 janvier 2020 à Bagdad), quelques heures seulement après son inauguration en janvier 2022 dans la ville de Shahr-e Kord à l’ouest du pays. Cibler les centres de répression du régime, hautement honnis par la société, a constitué un objectif emblématique pour de nombreux jeunes lors des récentes manifestations.
ECOLIÈRES ET ÉCOLIERS À TÉHÉRAN UNIS POUR SCANDER "A BAS LE DICTATEUR" MERCREDI 12OCT #IRAN #IRANPROTESTS2022 #IRANREVOLUTION #MAHSAAMINI #IRANREVOLUTION2022 #IRANPROTESTS PIC.TWITTER.COM/61FSPBNCOZ
— AFCHINE ALAVI (@AFCHINE_ALAVI) OCTOBER 12, 2022
Le courage et l’audace des Unités de résistance ont propulsé en eux un esprit de résistance et la capacité de tenir tête au régime et à ses forces répressives. La population en révolte considère ces opérations contre le régime, comme l’expression d’un droit légitime de se défendre contre des oppresseurs armés.
Elle se réserve ce droit reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Au moment de l’anniversaire de la mort de Khomeiny, les Unités de résistance, avec ceux qui s’étaient joints à eux, ont mené de vastes opérations : contrôle et destruction de 5.138 caméras de vidéosurveillance installées dans le mausolée de Khomeiny, les centres gouvernementaux et diverses autres institutions.
Début 2022, les Unités de résistance ont réussi à prendre le contrôle de plusieurs chaînes de la télévision d’État et à y diffuser des messages de Maryam Radjavi, présidente élue de la Résistance iranienne. Cet exploit a eu un impact énorme sur la population, qui n’avait jamais connu de telles incursions dans la télévision d’État depuis quarante-trois ans.
Des enjeux géopolitiques majeurs
Dans les démocraties occidentales, on n’a pas pris la mesure de la redoutable malfaisance du régime des mollahs en Iran, au Moyen-Orient et au-delà dans tous les continents. En témoigne sa belligérance mortifère en Syrie aux côtés du dictateur Bachar Assad, la tutelle qu’il exerce sur le Liban, aujourd’hui dans l’impasse, le Hezbollah financé et armé par l’Iran, la tutelle qu’il exerce sur l’Irak, que rejette une population violemment réprimée lorsqu’elle manifeste pour s’en affranchir.
En témoigne aussi le fanatisme de ce régime lorsqu’il évoque « le grand Satan » (les États-Unis) ou « le petit Satan » (l’État d’Israël) qui, pour Ali Khameneï est une « tumeur cancéreuse » qui doit être « éradiquée ». Le régime des mollahs cultive par ailleurs l’axe stratégique Téhéran-Moscou avec son allié Vladimir Poutine qui a lancé une guerre en Ukraine et multiplie les crimes pour s’emparer de ce pays. En solidarité avec la cause d’une Ukraine et d’un Iran libres, Kira Rudyk, députée ukrainienne, dirigeante du parti Voix et vice-présidente de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, avait rencontré Maryam Radjavi le 5 juin 2022.
Ce régime des mollahs est par ailleurs bienveillant avec les talibans de l’Afghanistan, avec des factions islamistes du Pakistan. Il a adhéré à l’Organisation de coopération de Shanghai, menée par la Russie et la Chine afin de renforcer le modèle totalitaire contre les velléités d’ouverture des populations dans les pays qui y sont membres ou associés.
Enfin, le régime des mollahs n’a cessé d’engloutir les ressources du pays pour son programme de missiles balistiques et pour son projet de se doter de l’arme nucléaire, en utilisant le faux semblant d’une limitation au nucléaire civil.
Un rejet qui dessine une alternative
Au-delà des protestations sporadiques ou même des soulèvements à l’échelle nationale, ce qui se joue dans l’Iran d’aujourd’hui ouvre la voie à une révolution démocratique.
Alternative qui rejette toute forme de dictature et de gouvernement par un individu, qu’il s’agisse d’une dictature héréditaire ou opérant sous couvert de la religion ou au nom de Dieu. Alternative qui rejette la misogynie, reconnaît la pleine égalité des sexes dans tous les aspects, en particulier politique.
Une révolution en faveur d’une république démocratique fondée sur la séparation de la religion et de l’État, comme le précise le Plan en dix points 6 de la Résistance iranienne.
La persistance des manifestations dans tout le pays, la passion et l’enthousiasme des jeunes générations pour affronter les forces répressives, traduisent une aspiration de la société iranienne à renverser le régime, et un désaveu de toute idée de coopération avec des forces répressives comme le Corps des gardiens de la révolution. Une révolution démocratique est en marche. Il ne fait aucun doute que le renversement du régime des mollahs va arriver tôt ou tard.
(Avec la coordination de Gérard Lauton)
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