Une grève nationale des chauffeurs routiers prend rapidement de l'ampleur en Iran, constituant l'un des défis les plus sérieux pour le régime ces dernières années. Débutée le 22 mai dans la ville portuaire stratégique de Bandar Abbas, elle s'est propagée à plus de 150 villes en seulement dix jours, paralysant une grande partie du réseau de transport du pays. À mesure que le mouvement s'amplifie, son potentiel à déclencher une résistance civile plus large s'accroît.
Initialement déclenchée par la réduction des quotas de carburant, la grève s'est rapidement transformée en une puissante manifestation de désobéissance collective, révélant de profonds griefs structurels au sein de la classe ouvrière iranienne. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des autoroutes désertes dans des villes comme Marivan et Bandar Abbas, autrefois saturées de circulation, aujourd'hui étrangement calmes. Ces routes silencieuses parlent plus fort que des slogans.
Dans un communiqué, le syndicat des camionneurs a exprimé sa gratitude aux nombreux Iraniens qui ont manifesté leur solidarité :
« Cette unité et cette solidarité sont le fruit de votre volonté. Merci à tous les chauffeurs, enseignants, retraités, travailleurs et citoyens épris de liberté qui nous ont rejoints. Notre voie est claire et nous la maintiendrons. »
Plus que les prix du carburant
Les revendications des routiers en grève sont simples et pourtant urgentes : un prix du carburant équitable, une couverture d'assurance adéquate et des tarifs de fret adaptés à la hausse du coût de la vie. Pourtant, cette grève ne se résume pas à une question économique : c'est une protestation contre la corruption, la mauvaise gestion et l'incapacité du gouvernement à répondre aux besoins les plus élémentaires de ses citoyens.
Les chauffeurs routiers iraniens, qui gagnent moins de 200 euros par mois tout en payant des prix comparables à ceux pratiqués en Europe pour la nourriture et les produits de première nécessité, sont devenus le visage d'une crise nationale plus profonde. Alors que plus de 60 % des Iraniens peinent à satisfaire leurs besoins caloriques quotidiens, la situation difficile des chauffeurs routiers reflète un effondrement général du niveau de vie. Depuis 2011, le rial iranien a perdu 98 % de sa valeur et l'inflation reste supérieure à 40 %.
Les réseaux sociaux sont inondés de messages et de vidéos témoignant de cette épreuve : longues files d'attente, réfrigérateurs vides et familles aux prises avec la survie quotidienne. Telle est la réalité de l'Iran d'aujourd'hui.
Un défi unique pour le régime
Ce qui rend cette grève particulièrement difficile à contenir pour le régime, c'est sa structure. Le secteur du fret iranien est très décentralisé, avec plus de 550 000 chauffeurs exploitant 433 000 camions, dont 93 % sont privés. La plupart des chauffeurs routiers sont propriétaires de leurs véhicules et n'ont enfreint aucune loi en refusant de travailler. Ils n'appellent pas à un changement de régime et ne participent pas à des manifestations violentes. Ils disent simplement : « On ne peut pas continuer comme ça. »
Cette ambiguïté a placé le régime dans une position précaire. Réprimer la frappe par la force risque d'aggraver la crise. Offrir des concessions, en attendant, pourrait être interprété comme une faiblesse, surtout à un moment où le régime est engagé dans des négociations nucléaires sensibles avec les États-Unis.
Malgré cela, le gouvernement a commencé à sévir. Au moins 20 personnes ont été arrêtées à ce jour, dont des chauffeurs accusés d'avoir filmé et partagé des images de la grève avec des médias étrangers.
Échos de 1979 et 2019
L'Iran a une longue histoire de manifestations économiques se transformant en soulèvements politiques. En 2019, une hausse soudaine de 200 % du prix de l'essence a déclenché le soulèvement de « Novembre sanglant », qui s'est rapidement transformé en révolte anti-régime et a été réprimé avec une violence brutale. La grève des camionneurs porte un avertissement similaire. Les analystes suggèrent que si d'autres secteurs essentiels – comme les opérateurs de bus et de trains ou les travailleurs du secteur de l'énergie – se joignent à la grève, le pays pourrait être confronté à un paralysie totale rappelant les grèves de masse qui ont conduit à la chute du Shah en 1979.
Le régime utiliserait des camions affiliés au Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) pour assurer le transport des marchandises, mais les experts préviennent que cette solution n'est pas durable. Si les revendications des camionneurs restent sans réponse, la grève pourrait s'étendre et rallier d'autres syndicats, des étudiants, des enseignants et des groupes marginalisés déjà solidaires.
Un mouvement alimenté à la fois par le désespoir et l'espoir
Contrairement à de nombreuses manifestations précédentes, cette grève ne se présente pas comme une contestation directe du régime. Pourtant, son impact est profondément politique. Elle met en lumière les vulnérabilités du régime et la distance croissante entre l'élite dirigeante et le peuple. Ce mouvement est nourri non seulement par le désespoir, mais aussi par un espoir grandissant : la justice, la dignité et un avenir meilleur.
Alors que les grèves se poursuivent et que l'inflation grimpe, l'Iran pourrait s'approcher d'un tournant critique. Les grèves économiques sont particulièrement perturbatrices : elles sont non violentes, juridiquement ambiguës et trouvent un profond écho auprès de la population. Elles ne scandent pas de slogans, mais elles paralysent le pays.
La grève des camionneurs, qui s’étend de jour en jour, pourrait bien devenir le moteur d’une transformation plus large en Iran.


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