Une perte de 4 milliards de dollars pour l'économie iranienne
Selon Alireza Rashidian, directeur du quartier général iranien de lutte contre la contrebande de biens et de devises, la quantité quotidienne moyenne de carburant de contrebande s'élève désormais à environ 20 millions de litres, principalement du diesel et du gasoil. S'adressant à l'agence de presse Tasnim , M. Rashidian a souligné que d'importantes quantités de carburant subventionné destiné aux centrales électriques et à l'agriculture ont été systématiquement détournées vers des marchés illicites ces dernières années.
Il a ajouté qu’un programme pilote de surveillance mené dans cinq provinces avait permis de découvrir près de 69 000 cas d’irrégularités en suivant environ 200 000 expéditions de carburant, soulignant ainsi l’ampleur et la complexité du réseau de contrebande.
L'invraisemblance du récit du petit contrebandier
Le régime attribue souvent la contrebande à des opérateurs de bas niveau utilisant des réservoirs de 2 000 à 2 500 litres montés sur des pick-up Nissan Junior. Cependant, la simplicité de la logistique révèle les failles de cette affirmation. Le transport de 50 millions de litres nécessiterait au moins 20 000 camions de ce type, formant un convoi de plus de 140 kilomètres s'ils étaient alignés avec un espacement minimal.
Même le chiffre le plus prudent de 20 millions de litres nécessiterait 8 000 véhicules, rendant impossible que ces opérations se déroulent sans être détectées et sans l'aide des autorités. Par ailleurs, l'utilisation de gros camions-citernes d'une capacité de 40 000 litres nécessiterait encore 500 à 1 250 camions par jour, selon le volume de contrebande.
Signes de corruption systématique et institutionnalisée
Le volume de carburant trafiqué, combiné aux infrastructures nécessaires, suggère fortement que la contrebande de carburant est systémique. Les rapports faisant état d'oléoducs souterrains et de routes maritimes non surveillées, notamment depuis les ports sous contrôle du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), renforcent les soupçons d'implication des autorités.
En 2023, Mohammad Jafari, directeur adjoint du quartier général de lutte contre la contrebande, a admis que jusqu'à 25 % du carburant destiné aux centrales électriques était détourné à des fins de contrebande, sans toutefois en préciser les détails. Le constat est clair : de larges pans du réseau iranien de distribution de carburant sont compromis.
Arrestations de fonctionnaires liés à la contrebande
Les arrestations très médiatisées de ces dernières années ont encore davantage mis en évidence l’implication institutionnelle :
- En décembre 2022, Aref Akbari, procureur public et révolutionnaire de la province d'Hormozgan, a annoncé l'arrestation de six maires ruraux, de trois employés du ministère de l'Industrie et de deux membres de l'Organisation d'ingénierie pour avoir délivré des permis frauduleux permettant de fausses déclarations de carburant subventionné.
- En mai 2021, Saeed Rashki, procureur général et révolutionnaire d'Iranshahr, a révélé que la quasi-totalité des employés de la compagnie pétrolière locale avaient été arrêtés dans le cadre d'une importante affaire de contrebande. L'un des principaux suspects était le chef du bureau d'un parlementaire local.
Ces cas illustrent comment les réseaux de corruption s’étendent à différents niveaux de gouvernement, fournissant la couverture nécessaire à des opérations massives de détournement de carburant.
Le rôle central du CGRI
L'un des aspects les plus alarmants de la crise est l'implication présumée des forces armées iraniennes, en particulier du CGRI. En tant que puissante force militaire et économique, le CGRI contrôle une grande partie des infrastructures de transport et de la sécurité aux frontières iraniennes. Compte tenu de ce contrôle, il est hautement improbable que des millions de litres de carburant puissent être introduits en contrebande chaque jour sans leur surveillance ou leur participation directe.
De nombreux rapports ont impliqué des ports et des postes-frontières contrôlés par le CGRI dans des activités de contrebande, de petits cargos opérant clandestinement sous protection militaire. Les observateurs affirment que le trafic de carburant contribue au financement des opérations régionales et des dépenses officieuses du CGRI, ce qui en fait une activité lucrative et politiquement protégée.
Conclusion
La crise de la contrebande de carburant en Iran ne se résume plus à de simples vols transfrontaliers. Le volume considérable de carburant volé, estimé à 4 milliards de dollars par an pour l'économie iranienne, combiné aux preuves croissantes de la complicité de l'État et de l'armée, dresse un tableau inquiétant de corruption institutionnalisée.
Tant que les principaux centres de pouvoir, comme le CGRI, resteront au-dessus des lois et que les entités gouvernementales continueront de tirer profit de systèmes opaques de distribution de carburant, il y a peu d'espoir de résoudre cette crise. Au contraire, elle risque d'aggraver les difficultés économiques du pays et d'éroder davantage la confiance du public dans les institutions de l'État.


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